Tribune —
Et si l’on arrêtait ITER ?
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Plutôt que dépasser des milliards dans le mirage de la fusion thermonucléaire, il serait plus utile d’affecter cette somme à la transition énergétique.
L’urgence climatique fait désormais l’objet d’un large consensus. Toutefois, dans les réponses à apporter, il existe un vrai clivage entre les tenants d’un techno-productivisme éculé mais tenace et les partisans d’une écologie qui prône des solutions qui impliqueraient des changements majeurs de nos modes de vie. Dans la panoplie des solutions qu’ils proposent, les partisans du techno-productivisme, à droite comme dans la plus grande partie de la gauche, mettent en avant le fait que le progrès technique, à lui seul, sera en mesure de résoudre les problèmes que nous connaissons.
La France, à l’instar de nombreux pays développés, est confrontée à un défi : faire face à la nécessité de diminuer nos émissions de gaz à effets de serre tout en répondant aux besoins en énergie qui doubleront d’ici à 2050. Comment nos élus pensent-ils résoudre cette délicate équation ? En produisant toujours et davantage sans remise en cause majeure de nos manières de consommer. Le nouveau mirage après lequel ils courent est la fusion nucléaire. L’objectif d’ITER, réacteur d’essais qui ne produira pas d’électricité, est la maîtrise de cette technologie. A l’inverse de la fission qui produit de l’énergie en cassant des atomes, la fusion en dégage en faisant fusionner deux isotopes de l’hydrogène, le deutérium et le tritium. La réaction forme un plasma dont la température atteint près de 150 millions de degrés et qui est confiné à l’aide d’aimants supra-conducteurs (le tokamak).
Deux principaux arguments sont présentés pour défendre ITER. Le premier est qu’il est une technologie propre et qui répondra à nos besoins en énergie tout en résolvant le problème des déchets. Le second est qu’il permet de lutter contre le réchauffement climatique. Pourtant, la liste des difficultés techniques sont nombreuses et montrent l’inanité des arguments employés en faveur de ce projet. En outre, en trois ans, les coûts ont triplé passant de 5 à 15 milliards d’euros. Enfin, l’exploitation de la fusion nucléaire, n’interviendrait qu’entre 2070-80.
En ce qui concerne les difficultés techniques, la première est celle concernant l’approvisionnement en tritium. En effet, cet isotope de l’hydrogène indispensable à la fusion, n’est pas présent naturellement sur terre et il est prévu d’en produire au sein du tokamak. Pour cela, une série de réactions en chaîne devra être maîtrisée. La faisabilité de cette opération complexe n’est pas démontrée.
La seconde difficulté est celle posée par la fusion qui provoquerait une température atteignant 150 millions de degrés. Deux problèmes se posent. D’une part, il faudrait des matériaux capables de résister à une telle chaleur. Or, pour le moment, ils n’existent pas. En outre, elle provoquerait une irradiation permanente de particules de haute énergie, ce qui rendrait les matériaux ordinaires friables et radioactifs. D’autre part, la fusion provoquerait un plasma qu’il faudrait contrôler 24 heures sur 24 durant 90% du temps de l’exploitation d’un réacteur à fusion sur quelques décennies. Or, à présent, on ne parvient à contrôler le plasma que durant quelques secondes.
Enfin, faut-il rappeler que ce projet est loin de faire l’unanimité au sein de la communauté scientifique ? Il paraît utile de rappeler l’opposition de trois lauréats du prix Nobel de physique. Pierre Gilles de Gennes avait le premier déclaré : « Quoique grand défenseur des grosses machines communautaires, il y a trente ans, je n’y crois malheureusement plus […] on se lance dans quelque chose qui, du point de vue de l’ingénieur est une hérésie. » Pour Masatochi Koshiba, Iter ne présente pas un certain nombre de conditions, à savoir la sûreté et les coûts économiques. Malgré son adhésion à la recherche sur le nucléaire, Georges Charpak dénonçait récemment un projet « hors de prix et inutilisable. » Selon lui, le coût du financement se fera au détriment d’autres programmes de recherche et les faits lui donnent raison.
En effet, pour combler le besoin de financement supplémentaire de 1,4 milliard d’euros, les budgets européens non exécutés ont été ponctionnés. La Commission européenne a proposé de transférer 400 millions d’euros du budget agricole et 460 millions du budget recherche à ITER. Les Etats membres, dont le soutien à ce projet pharaonique ne faiblit pas, ne veulent pourtant pas augmenter leurs contributions. Pour les 560 millions restants aucune solution n’a pour le moment été trouvée. Les paysans, dont une part importante vit des minimas sociaux, subissent de plein fouet une crise agricole européenne, notamment dans le secteur laitier. De fait, c’est à eux qu’il est demandé de faire l’effort pour faire face à la dérive financière du projet ITER. Le budget de la PAC devrait plutôt être employé à soutenir leurs revenus, à développer des exploitations durables et à réguler certains marchés déprimés. De la même manière, le redéploiement des crédits de recherche pour financer les surcoûts d’ITER se fait au détriment de nombreux projets européens de recherche.
Les collectivités locales de PACA financent le projet à hauteur de 467 millions d’euros. A eux seuls, le Conseil Général des Bouches-du-Rhône et la Région participent aux deux tiers en apportant 152 millions d’euros chacun. Pour le premier, la somme représente 30% du projet quinquennal d’investissement ! Quant à la seconde, son président a renoncé à abaisser les tarifs du TER. Que nos élus locaux s’inspirent de l’exemple donné par les députés européens ! En effet, pour 2011, ceux qui participent à la Commission budget ont décidé de diminuer de 47 millions d’euros (soit de 10 %) les fonds alloués à ITER.
Qu’ils prennent conscience qu’une autre politique énergétique est possible. Au lieu de chercher à toujours produire davantage, commençons par économiser et diminuer notre consommation d’énergie. Le « scénario Negawatt » a démontré qu’il est possible de répondre à nos besoins par la sobriété et l’efficacité énergétique ainsi qu’en ayant recours aux énergies renouvelables. Ceci suppose une approche différente de notre mobilité en adaptant nos modes de transport, en relocalisant nos activités économiques et en produisant autrement. Réaliser des économies d’énergie, réduire la pauvreté énergétique, créer des emplois. Tout ceci est possible en lançant des actions d’envergure dans le cadre d’une vaste transition économique, sociale et écologique. Les chantiers sont vastes : l’aménagement équilibré des territoires, rénovation des logements, développement et baisse des tarifs des transports collectifs urbains.