Etude OGM : bras de fer entre Séralini et l’EFSA
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OGM : crise aiguë à Bruxelles
Auditionnée par une poignée de parlementaires européens à Bruxelles en présence de Gilles-Eric Séralini, auteur de l’étude choc sur le maïs NK 603, la directrice de l’Efsa (Autorité de sécurité alimentaire européenne) Catherine Geslain-Lanéelle a certes confirmé que son agence procéderait bien à l’expertise de l’étude. Mais en gardant les mêmes experts qui avaient par le passé donné leur feu vert à ce même maïs NK 603.
Gilles-Eric Séralini a réagi vivement : « Pas question que ceux qui ont autorisé le NK 603 réalisent la contre-expertise de nos données. Il y aurait un conflit d’intérêt avec leur autorité et leur carrière ». D’autant, ajoute le Dr Joël Spiroux, co-auteur de l’étude, que les conflits d’intérêt étaient alors nombreux au sein de l’Efsa et à l’intérieur du « Panel OGM ».
Résumé : Gilles-Eric Séralini est d’accord pour une expertise de l’Efsa à condition que les experts soient renouvelés de telle manière que ceux-ci ne soient conduits à devoir se contredire. La directrice de l’Efsa ne l’entend pas de cette oreille. Elle refuse le renouvellement de ses experts. Sa positon, c’est « Je maintiens. Tout ».
Blocage total à Bruxelles
Corinne Lepage, député européenne et en charge de la Commission de l’environnement au Parlement de Strasbourg, est très remontée. D’autant plus qu’elle s’est vue opposer un autre refus clair et net sur sa proposition de voir mener par l’Efsa des études comparables à celle de Séralini : c’est-à-dire sur des rats pendant toute leur vie.
« Catherine Geslain-Lanéelle m’a répondu, confie Corinne Lepage, que les études sur trois mois ou au cas par cas étaient suffisantes. C’est inadmissible ! On recommence à tourner en rond ! »
Le blocage est donc total car pour mener à bien son expertise, l’Efsa a besoin que Gilles-Eric Séralini lui communique les données brutes de son étude. A tout prendre, il dit préférer une « expertise internationale » pour lever toutes les suspicions.
L’Anses en arbitre
L’intransigeance de la Directrice de l’Efsa illustre la position extrêmement délicate de Bruxelles. Entre le principe de précaution qui régit le droit européen, les règles du commerce international et les pressions des Etats-Unis, le chemin est étroit. D’autant plus étroit que le Premier ministre Jean-Marc Ayrault a lui-même durci le ton en déclarant que « si le danger de l’OGM NK 603 était vérifié, la France défendrait au niveau européen son interdiction ». En se fondant sur l’avis de l’Anses (Agence de sécurité alimentaire française). Sous-entendu, en zappant celui de l’Efsa…
Interview de Corinne Lepage :
OGM : « Les experts ne doivent pas être juges et parties »
Députée européenne, Corinne Lepage pose des conditions très précises à la communication des données brutes de l’étude Séralini-Criigen aux agences sanitaires concernées. Elle demande le renouvellement des experts qui auraient eu à donner leur feu vert sur ce maïs transgénique. Et elle exige que les données brutes des études qui ont servi de base aux autorisations d’OGM soient également rendues publiques.
Votre impression après l’audition, hier à Bruxelles, de la directrice de l’EFSA, Catherine Geslain-Lanéelle, par la commission Environnement du Parlement européen ?
La déception. J’ai demandé à la directrice de l’EFSA (Autorité européenne de sécurité alimentaire) comment elle comptait mener la contre-expertise du maïs NK603 à la suite de l’étude de Gilles-Eric Séralini, au regard des efforts de déontologie entrepris depuis un an au sein de l’Agence. Des efforts que j’ai salués. Je m’attendais donc en bonne logique qu’elle me réponde que les experts commis par l’EFSA, qui avaient donné leur feu vert au maïs NK603, ne pouvaient pas être les mêmes que ceux qui travailleraient sur l’étude Séralini.
Réponse ?
A ma stupéfaction, Catherine Geslain-Lanéelle m’a répliqué qu’elle ne voyait aucun problème à ce qu’il s’agisse des mêmes experts. Au prétexte, que j’estime éminemment fallacieux, que ces experts n’auraient pas à évaluer l’expertise sur le NK603 de l’EFSA mais une nouvelle étude. Je récuse en long en large et en travers cette argutie. Il faut savoir en effet que ces experts, qui n’ont jamais réclamé des études de plus de 90 jours sur le NK603, pourraient dans le futur être mis en cause. Ils sont donc aujourd’hui juges et parties.
Mais comment comptez vous-faire bouger les lignes ?
Politiquement. C’est à la Commission de se prononcer sur cette divergence profonde d’appréciation. Je vais d’ailleurs écrire en ce sens à John Dalli, le commissaire européen chargé de la Santé et de la Politique des consommateurs.
Et en France ?
Les trois ministres compétents (Agriculture, Santé, Ecologie) ont de manière parfaitement justifiée annoncé qu’ils saisissaient les différentes agences sanitaires, à commencer par l’Agence nationale de sécurité sanitaire, l’Anses. Son rôle devient donc central, surtout dans l’hypothèse où l’EFSA suivrait les consignes de sa directrice Catherine Geslain-Lanéelle. La pertinence de son avis serait alors aussi relative que contestable et contestée.
Comment voyez-vous les conditions de saisie de l’Anses ?
D’abord, je souhaite que son avis puisse être obtenu dans les meilleurs délais. Et surtout que le format de cette saisie soit le plus large possible pour laisser aux experts commis par l’Anses la plus grande latitude possible d’appréciation. Il est cependant bien évident à mes yeux que ce qui vaut pour l’EFSA vaut aussi pour l’Anses : tout expert de l’Afsaa (ancêtre de l’Anses), qui aurait eu à donner son feu vert sur le maïs NK603 dans le passé doit être renouvelé pour que l’on puisse s’assurer de la sérénité et de l’équité des débats.
Gilles-Eric Séralini transmettra donc à l’Anses les données brutes de son étude si l’agence le lui demande ?
C’est son souhait le plus vif. Mais à une condition : celle de la transparence qui doit valoir pour toutes les études. La sienne et celle des autres.
Précisez…
Je ne vois pas pourquoi Gilles-Eric Séralini devrait être le seul à rendre public les données brutes de son étude. Je demande que toutes les données brutes qui ont servi de base aux autorisations de commercialisation OGM dans le passé soient communiquées à tous. Je crois que ça pourrait être très instructif.
Vous n’avez pas évoqué le Haut conseil des biotechnologies (HCB) qui a également été saisi par le gouvernement français pour rendre un avis…
S’agissant du HCB, il conviendrait que ce ne soit pas seulement le collège « scientifique » qui rende son avis, car de notoriété publique, ses membres sont tous des partisans déclarés des OGM alimentaires. Le HCB devra statuer en formation complète, c’est-à-dire avec le second collège : le comité économique, éthique et social (CEES).
Propos recueillis par Guillaume Malaurie