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Grands projets inutiles

Face aux alternatives, le PSG pourrait perdre à Grignon

Le club de football Paris-Saint-Germain veut installer son centre d’entrainement sur des terres agricoles et un centre de recherche de Grignon, dans les Yvelines. Mais des alternatives permettent d’éviter ce gaspillage des terres. Reporterre les présente et offre au PSG une porte de sortie honorable. Sinon, ce sera la relégation dans la Division de la Honte.

Ce soir, le PSG n’aura guère le choix : il devra sans doute l’emporter à Manchester s’il veut croire encore au sacre européen cette saison. En dehors du terrain, le club parisien nourrit toutefois un autre rêve de grandeur : s’offrir un centre d’entraînement dernier cri. Les propriétaires qatariens seraient prêts à investir au moins 300 millions d’euros pour construire une vingtaine de terrains de football et tous les auxiliaires — parkings, hôtels, restaurants, etc — que la folie commerciale extrasportive permet aujourd’hui d’envisager.

C’est là une toute autre partie qui s’engage pour l’actuel champion de France. Car depuis plusieurs semaines, l’opposition grandit à l’endroit pressenti pour accueillir le projet, le site domanial de Grignon, dans les Yvelines, qui héberge actuellement les classes de l’AgroParisTech et les laboratoires de l’Inra. Aux côtés des personnels et étudiants des instituts agronomiques, plusieurs associations de défense de l’environnement et des riverains s’organisent pour résister et faire entendre leur voix.

Une pétition en ligne avoisine aujourd’hui les 24.000 signatures, tandis qu’ils étaient plus de trois cents à manifester, le 12 mars dernier, dans les rues de ce petit village champêtre d’un millier d’habitants. Depuis, la Fondation Nicolas Hulot (FNH) a rejoint la longue liste des opposants, qui se sont par ailleurs adjoint les services de Me Arnaud Gossement pour mener les recours juridiques, le cas échéant.

En cause, l’incroyable patrimoine agricole, fossilifère et historique qui se retrouve ainsi menacé de bétonisation [1]. La FNH dénonce ainsi « le risque de sacrifier l’intérêt général à des intérêts particuliers sans rechercher d’alternative ». Pourtant, dans ce match-ci, d’autres voies d’avenir pour le site de Grignon sont possibles comme pour le centre d’entraînement du PSG. Reporterre vous en présente trois.

1 — Le regroupement d’AgroParisTech

L’arrivée du PSG est officiellement corrélée au départ de l’Inra et de l’AgroParisTech pour Saclay à l’horizon 2020. Par un vote particulièrement serré et indécis — 22 voix pour, 20 contre — le conseil d’administration de l’Agro a en effet scellé en mars 2015 son ralliement au grand projet de cluster scientifique de l’université Paris-Saclay. Coût estimé de l’opération : au moins 250 millions d’euros. « En fait, plutôt 450, si on y intègre les coûts de maintenance et d’entretien prévus par le contrat », corrige Cyril Girardin, ingénieur syndiqué à la CGT de l’Inra-Grignon.

Le campus de l’école Polytechnique, à Palaiseau, sur le plateau de Saclay. L’école est une pièce du grand projet de « cluster » scientifique de l’université Paris-Saclay.

Dans ce contexte, la vente du domaine de Grignon, évaluée à 35 millions d’euros minimum, se justifierait donc par les besoins de financement du projet de Saclay. Sauf qu’en interne, les représentants du personnel dénoncent l’absurdité économique de ce projet. « À Grignon, nous avons déjà la surface nécessaire et un certain nombre d’infrastructures installées récemment », explique Cyrille Barrier, assistant à l’animation du pôle pédagogique de l’AgroParisTech-Grignon. Une référence directe au bâtiment Eger, un laboratoire de recherche construit en 2002 pour 7 millions d’euros et parfaitement équipé des hottes, paillasses, et autres circuits de gaz et d’électricité spécifiques pour les recherches en chimie et en biologie.

Il y a quelques jours, le journal Le Parisien publiait pourtant un article particulièrement à charge sur l’état du site, « désaffecté », « délabré » et « presque en ruines ». « Pure affabulation », répond Sophie Sauteur, élue locale et membre du CFSG (Collectif pour le futur du site de Grignon) tandis que les représentants des instituts agronomiques listent les nombreux travaux effectués ces dernières années : des transformateurs mis aux normes électriques, de nouvelles chaudières, la fibre optique installée, la toiture du château rénovée…

« Cela n’a aucun sens de délaisser ces infrastructures récentes pour investir dans de nouvelles, quelques kilomètres plus loin », poursuit Cyril Girardin. Avec ses collègues, ils défendent un regroupement de tous les AgroParisTech (dispersés sur quatre lieux différents en Ile-de-France) sur le site même de Grignon et demandent pour cela une étude financière alternative au projet de Saclay. « Il y aurait des travaux supplémentaires à engager, comme par exemple des locaux d’enseignement pour accueillir les promotions d’étudiants supplémentaires. Mais il ne devrait pas y en avoir pour plus de 125 millions d’euros au total, selon nos estimations. » Soit moitié moins que le montant officiel du projet à Saclay.

2 – Un centre international d’échanges et de formations pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement de demain

C’est à Grignon, notamment, que la recherche agronomique française travaille sur la séquestration du carbone dans le sol, dans le cadre d’un programme intitulé « 4 pour 1.000 » lancé l’année dernière dans la perspective de la COP21. Là qu’elle étudie aussi la microbiologie des sols avec les parcelles Dehérain, « des essais patrimoniaux engagés à la fin du XIXe siècle [qui] visent à analyser et à comparer des processus lents de minéralisation de matières organiques sur le long terme », comme l’a expliqué à Reporterre Olivier Rechauchère, ancien élève à l’Agro. « Nous sommes orientés vers l’agroécologie et la lutte contre le réchauffement climatique », assure le corps des enseignants et chercheurs, sur place.

Comment préserver cela si le regroupement d’AgroParisTech à Saclay s’avère définitivement acté ? Le principal collectif d’opposants, le CFSG, constitué en association de droit commun le 12 mars dernier, met en avant le projet du Ciefaland, pensé comme « une alternative à la transformation de Grignon, une alternative pour sauvegarder au mieux son héritage scientifique et culturel, tout en répondant au besoin de notre société au lendemain de la COP21 », précise Georges d’Andlau, membre du conseil d’administration du CFSG et ancien « grignonnais » de la promo 1963-1966.

L’idée ? Une structure qui ferait l’interface entre la recherche d’un côté et les producteurs-consommateurs de l’autre. Le Ciefaland se veut une structure d’expérimentation et de vulgarisation : « Le mot “échange” est important, il faut à la fois transmettre ce qui a été expérimenté mais aussi convaincre la population et les producteurs d’adopter des modes de production de consommation, des modes de vie, participant à la lutte contre le réchauffement climatique », développe Joël Dine, président du CFSG.

Si le Ciefaland ne se pense pas comme un concurrent des laboratoires officiels de recherche agronomique — « qui doivent rester dans des centres étatiques comme l’Inra », précise-t-on du côté du CFSG — il s’entend comme une structure complémentaire de promotion du recyclage, de l’antigaspi ou de l’économie circulaire. « On pourrait très bien envisager de dispenser des formations courtes sur les métiers verts, par exemple », poursuit Joël Dine.

Reste l’aspect économique. Si l’État est bien décidé à vendre, il faudra trouver les moyens d’investir dans le rachat du site. Sans compter, bien sûr, l’exigence pour le centre d’équilibrer ensuite ses comptes à partir de ses propres activités. Le projet reste encore au stade prospectif. « Nous voulons mener une étude de faisabilité, pour avoir un projet crédible à proposer à l’administration et à nos différents interlocuteurs, avec des chiffres et des propositions, admet Georges d’Andlau. L’essentiel, c’est de montrer qu’on peut tout à fait envisager un avenir au site de Grignon qui soit cohérent avec son passé et son histoire. »

3 – Le PSG à Poissy ou à Saint-Germain-en-Laye

Il n’y a pas de fatalité à voir le PSG s’installer sur le domaine de Grignon et, dans les Yvelines, le combat fait rage pour tenter d’attirer les pétrodollars qatariens. Le maire de Saint-Germain-en-Laye, effrayé à l’idée de voir le club parisien déserter son territoire historique, pousse ainsi un autre choix avec la plaine d’Achères, qui jouxte l’une des plus grosses stations d’épurations d’Europe. Une proposition qui nécessiterait d’importants travaux de dépollution des sols mais qui semble avoir la préférence de la Confédération paysanne : « Ces terres […] portent des cultures de colza et de blé finissant en agrocarburant car impropres à la consommation humaine et animale. Une alternative à pousser ? » écrivait Xavier Morize, le représentant d’Ile-de-France du syndicat agricole dans le numéro de février de Campagnes solidaires.

Autre possibilité : les Terrasses de Poncy, à Poissy. Un espace d’une centaine d’hectares, coincé entre l’A13 et l’A14, tombé à l’abandon depuis les promesses d’un aménagement jamais mené à terme. « Il y a un vrai projet urbanistique à mener sur ces terres inoccupées », avance David Douillet, député de la circonscription, qui assure qu’il ne s’y cultive rien aujourd’hui.

Le projet de centre d’entraînement du PSG sur le site des Terrasses de Poncy, à Poissy.

Sa circonscription s’étendant jusqu’à Grignon, David Douillet suit de près ce dossier, dont il dit n’avoir « aucune nouvelle ». Une opacité qui caractérise depuis quelques mois cette affaire, désormais largement relayée dans les différents médias. Chaque semaine, une nouvelle date semble annoncée pour l’officialisation du choix parisien. Après celle du 6 avril, correspondant au match aller du PSG en quart de finale de Ligue des champions, la « mi-avril » a été évoquée par différentes sources. Selon nos informations, la décision aurait désormais été reportée au 23 avril — sans que le PSG n’ait toutefois confirmé. Au cabinet du ministre de l’Agriculture, on assure n’avoir aucune information nouvelle. « La préfecture de la région nous l’a confirmé aujourd’hui, aucune offre n’a pour l’heure été déposée », assure Philippe Mauguin, directeur du cabinet de Stéphane Le Foll.

Une hésitation qui confirme probablement la sensibilité du dossier Grignon, donné grand favori aux yeux des dirigeants parisiens. À moins que ceux-ci n’étudient d’autres solutions, encore.

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