Gaz de schiste : contestation autour de l’eau en Pologne
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En Pologne, on multiplie les forages. Encore timides, des contestations s’organisent autour de la crainte pour la pureté de l’eau.
A trois heures au nord-ouest de Varsovie, dans la région des lacs, une activité inhabituelle agite la petite bourgade de Brodnica en plein milieu de l’hiver. Le parking du collège affiche complet. Les couloirs de l’école résonnent des voix des invités venus de tout le pays à l’appel du maire, soucieux de répondre aux inquiétudes de la population locale.
La raison de cette agitation : le gaz de schiste. L’entreprise américaine Marathon Oil vient en effet d’effectuer des forages de reconnaissance dans cette région très touristique.
Les habitants de Brodnica et des environs sont venus nombreux, certains avec des pancartes contre le gaz de schiste. Leur principal reproche : la désinformation.
Mieczyslaw Rutkowski est propriétaire d’un terrain de 70 hectares situé à un kilomètre à peine du forage. Il voulait se lancer dans l’agrotourisme, comme beaucoup de ses voisins. Maintenant il craint que le bruit, les dangers de pollution et les installations minières vont faire fuir le touriste.

« Halte au gaz de schiste ». Les habitants de Brodnica craignent pour le tourisme dans la région si elle se couvre de tours de forage - RFI/Maya Szymanowska
Les dangers pour l’environnement
Selon Tomasz Derkowski, qui vient de fonder une association pour préserver cette région faisant partie du programme Natura 2000, l’extraction du gaz de schiste présente de sérieux dangers de pollution.
Derkowski cite l’exemple américain où un forage sur cent a un problème : « Il suffit d’une panne. Le forage est près du lac Skarlinski qui alimente en eau tous les autres lacs de la région. Si le lac Skarlinski vient à être pollué, c’est toute la région qui va trinquer ».
De plus, la fracturation hydraulique, la seule technologie connue pour extraire du gaz de schiste, nécessite un grand volume d’eau. C’est en effet de l’eau sous pression qui est pompée dans le sol pour faire sortir le gaz. La région de Brodnica, qui souffre souvent de sécheresse en période estivale, craint de manquer complètement d’eau si les entreprises d’extraction commencent à pratiquer la fissuration hydraulique.
Selon Andrzej Szesniak, un expert indépendant en énergie, le gros problème concerne le partage des bénéfices. Les agriculteurs polonais ne reçoivent que quelques centaines d’euros par hectare loué aux entreprises d’extraction. On est loin du modèle américain où les richesses du sol appartiennent au propriétaire du terrain.
L’eau semble au cœur de toutes les craintes. Pas loin de Brodnica, plus au Sud, un autre forage de reconnaissance est réalisé par l’entreprise polonaise Upstream Orlen. Zbigniew possède une ferme juste en face du site. L’eau de son puits est brune depuis le début des travaux de forage.
Les stations thermales menacées
Avec 111 concessions, qui couvrent 29% du pays, attribuées à une vingtaine d’entreprises et une centaine d’autres demandes qui attendent le feu vert des autorités, la Pologne est le leader de la recherche du gaz de schiste en Europe.
Ces recherches sont menées souvent dans des endroits aussi touristiques que la région des lacs, dans les Kachouby, une région située au nord du pays, ou encore ici à Cichocinek, une station thermale connue depuis deux siècles pour ses revigorantes eaux salées.
Robert Zareba est un enfant du pays qui voudrait développer cette richesse de la région. Son rêve : remettre à neuf la plus grande piscine d’Europe qui a été fermée à Cichocinek en 2001. Mais son projet est en sursis, la faute au gaz de schiste. Robert Zareba multiplie les consultations avec la mairie et tente d’intervenir auprès des députés.
Le rêve d’indépendance pour les autorités
Les autorités polonaises se veulent, au contraire, rassurantes, et font tout pour promouvoir le gaz de schiste. Le Premier ministre Donald Tusk vient d’annoncer qu’un fonds de prêts de 10 milliards d’euros était débloqué pour les investissements gaziers. L’engouement est né d’une étude américaine. Selon l’Agence américaine de l’énergie, la Pologne serait assise sur 300 milliards de mètres cubes de gaz. Soit 300 ans d’indépendance gazière.
Une aubaine pour le gouvernement polonais qui rêve de ne plus dépendre du géant russe Gazprom. Le ministre du Trésor, Mikolaj Budzanowski, est allé jusqu’à boire devant les caméras le liquide de fissuration pour prouver qu’il n’était pas nocif.
Pourquoi tant d’obstination ? « Même si l’on sait déjà qu’il y a dix fois moins de gaz que l’on ne l’a cru, cela représente quand même trente à cinquante ans d’indépendance énergétique. Donc l’enjeu est de taille », explique Stéphane Portet, expert du secteur d’énergie de S Parner.
Reste à savoir si ce nouvel eldorado en lequel le gouvernement polonais croit dur comme fer va s’avérer rentable. Le géant russe Gazprom vient en effet de baisser de 15% les prix du gaz fourni à la Pologne.