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Gaz de schiste : les clés de la décision du Conseil constitutionnel et les nouvelles manoeuvres des promoteurs

Le Conseil constitutionnel a jugé compatible avec la Constitution la loi de 2011 interdisant la fracturation hydraulique. Voici les clés pour comprendre cette décision. Et aussi ce que préparent les lobbies du gaz de schiste pour revenir à l’assaut.


Ce vendredi 11 octobre à 10 heures, le Conseil constitutionnel a rendu sa décision sur la loi interdisant la fracturation hydraulique : selon les Sages, les articles 1 et 3 visés par la question prioritaire de constitutionnalité sont bel et bien conformes à laconstitution.

La société Schuepbach, qui avait saisi l’institution, avait avancé quatre « moyens » lors de l’audience : la liberté d’entreprise, deux articles de la Charte de l’environnement et une rupture d’égalité.

C’est ce dernier qui faisait croire à la plupart des observateurs que le Conseil ne validerait pas la loi. L’entreprise texane, titulaire de deux permis d’exploration des gaz de schiste depuis annulés, faisait valoir qu’il relevait de la discrimination que la technique industrielle de fracturation hydraulique soit interdite pour les activités de forage pétroliers et gaziers alors qu’elle était autorisé dans l’article 1 pour la géothermie.

Avocat en droit de l’environnement présent à l’audition, maître Alexandre Faro n’était pas convaincu par l’argument : « Ce moyen est absurde : Schuepbach compare ici l’extraction pétrolière et gazière à l’extraction d’eau chaude ! Outre ce fait, le Conseil constitutionnel a pointé que la rupture d’égalité n’avait aucune valeur dans la mesure où les sociétés d’exploration et production d’hydrocarbures et celles qui font de la géothermie ne sont pas sur un même marché, ce qui n’implique donc aucun favoritisme de la part du législateur. »

Plus intéressant, l’article 5 de la Charte de l’environnement invoqué portait sur le principe de précaution : dans ce cas, l’entreprise invoquait la notion « à l’envers », arguant notamment que l’interdiction temporaire doit se faire à un « coût économiquement acceptable » (le retard pris par Schuepbach étant jugé trop coûteux) et faisait valoir qu’aucune étude ne prouvait la nocivité de la technique. S’il avait été validé, ce point aurait ouvert la voie à bien d’autres contestations réglementaires, mais, là encore, le Conseil constitutionnel a été dans le sens de la loi votée.

Plus important, et comme le souligne Arnaud Gossement, les Sages ont soulevé le « principe de prévention », affirmant ainsi qu’il ne s’agissait pas de se prémunir contre des risques possibles mais contre des risques avérés.

L’expérimentation : prochain objectif des lobbies

La loi du 13 juillet 2011 reste donc d’actualité. Y compris dans son article 2, qui prévoit la création d’une « Commission nationale d’orientation, de suivi et d’évaluation des techniques d’exploration et d’exploitation des hydrocarbures liquides et gazeux ». Et c’est sur cette voie que s’engage déjà le syndicat des entreprises pétrolières, l’Ufip, comme le déclarait son président, Jean-Louis Schilansky, sur le site du NouvelObservateur : « Nous prenons acte de cette décision, mais à partir du moment où la loi est validée, elle doit s’appliquer non seulement dans l’interdiction de la fracturation, mais elle devrait s’appliquer également avec la création d’une commission chargée de définir les conditions d’une expérimentation sous contrôle des pouvoirs publics. »

Les collectifs anti-gaz de schiste ont d’ores et déjà lancé une pétition pour contrer cette riposte des industriels, appelant François Hollande à abroger le décret de 2012 portant sur la création de cette Commission.

Corollaire aux expérimentations, la remise du rapport sur les techniques alternatives à la fracturation hydraulique, mené par le député Christian Bataille et le sénateur Jean-Claude Lenoir sera l’occasion de nouveaux débats : bien que le rapport d’étape rendu en juin fut très contesté (y compris par Jean-Claude Chanteguet, auteur du rapport d’information sur la loi), le fait qu’il soit publié au sein de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques lui donnera un point certain dans les débats à venir.

Autre horizon des débats : les institutions européennes. Alors que le Parlement vient de soumettre un texte exigeant des études d’impact environnemental pour l’exploration et la production par fracturation hydraulique, les institutions pourraient constituer un levier puissant pour réglementer sur les plans sanitaires et industriels à l’échelle du continent. Car, si la France maintient par cet avis l’interdiction de la fracturation hydraulique, la Grande-Bretagne, l’Espagne et surtout la Pologne se pressent pour devenir les prochains champions européens des gaz de schiste.

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