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Tribune

Il est impossible de prévenir le changement climatique si la croissance économique continue

Les objectifs de réduction nécessaire pour limiter le réchauffement de la température moyenne du globe de 2°C sont incompatibles avec la poursuite de la croissance. Une conclusion fondée sur l’observation des tendances économiques des soixante dernières années.


(…)

Tous calculs faits, il ne semble pas possible d’atteindre les objectifs de réduction d’émissions sans freiner drastiquement la croissance. Sur longue période, les émissions de CO2 [gaz carbonique] augmentent exponentiellement, en phase avec le PIB mondial. Elles se cumulent et font augmenter la concentration dans l’atmosphère.

Cependant, la progression des émissions de CO2 n’est pas exactement
proportionnelle à celle du PIB, comme le montre l’évolution du volume d’émission de CO2 par unité de PIB [ce rapport émissions de CO2 sur unité de PIB s’appelle intensité-CO2].

Cette intensité- CO2 atteint son maximum à la veille de la première guerre mondiale. Elle descend ensuite puis remonte après la crise des années 1930 et se stabilise à un niveau élevé au cours des « Trente glorieuses ». A partir du choc pétrolier de 1973, l’intensité- CO2 se met à baisser pour retrouver aujourd’hui le niveau enregistré en 1880. Depuis 40 ans, les émissions de CO2 augmentent donc moins vite que le PIB mondial.

Entre 1970 et 2007, ce dernier a progressé au rythme annuel de 3,5 %, alors que les émissions de CO2 n’ont augmenté « que » de 2 % par an. L’intensité- CO2 a donc baissé de 1,5 % par an.

La relation de base est donc simple : émissions de CO2 = PIB * intensité- CO2. Elle permet de calibrer les évolutions du PIB et de l’intensité- CO2 compatibles avec l’objectif de réduction d’émissions.

Rappelons les objectifs que propose le GIEC. L’objectif minimal est une réduction de 50 % des émissions entre 2000 et 2050. Il correspond à une stabilisation de la concentration de CO2 à 490 ppm et un réchauffement de 2,4 degrés. L’objectif ambitieux (et généralement considéré comme réaliste) est une réduction de 85 % des émissions qui vise à stabiliser la concentration à 450 ppm et à réduire à 2 degrés le réchauffement. Pour atteindre ces objectifs, les émissions de CO2 [et l’intensité- CO2] devraient donc baisser jusqu’en 2050 à un rythme annuel de 2,1 % et 4,8 % respectivement, alors qu’elles n’ont jamais cessé d’augmenter jusqu’ici (en tout cas avant la crise).

L’évolution de l’intensité- CO2 est évidemment décisive. On compare ici deux scénarios :
-  une hypothèse « basse » de réduction au même rythme que celui des 40
dernières années, soit 1,5 % par an,
-  et une hypothèse « haute » d’une réduction deux fois plus rapide (3 % par an).

On peut considérer que même la première hypothèse est optimiste en ce sens qu’elle postule l’absence de « rendements décroissants » de la réduction de l’intensité énergétique. Il est possible au contraire
de soutenir que cette réduction sera de plus en plus difficile et que les premières tonnes de CO2 sont les plus faciles à économiser.

Dans l’hypothèse « haute » (réduction de 3 % par an), l’intensité-CO2 retrouverait en 2050 son niveau du début de la révolution industrielle.

Malgré son caractère rustique, cette simulation donne des ordres de grandeur significatifs. L’idée générale qui en ressort est que la réalisation des objectifs du GIEC est incompatible à des degrés divers avec la poursuite de la croissance.

Dans le scénario le plus exigeant en matière de réduction d’émissions (- 85 %) et sans accélération de la tendance à la baisse de l’intensité de CO2, il faudrait que le PIB mondial baisse de 3,3 % par an, soit de 77 % entre 2007 et 2050 ! Seul le scénario de réduction de 50 % avec baisse accélérée de l’intensité de CO2 est compatible avec une croissance positive du PIB mondial de 0,9 %, mais celle-ci devrait de toute manière être largement inférieure à la tendance observée sur les dernières décennies.

Les objectifs de réduction de CO2 fixés par le GIEC semblent donc hors d’atteinte, à moins d’une inflexion monumentale du rythme de croissance, voire d’une inversion. La crise sociale et écologique appelle donc un renversement de perspective : plutôt que de chercher les moyens de relancer la croissance pour créer des emplois, il faut remettre les choses à l’endroit. Autrement dit, partir des besoins sociaux démocratiquement définis et réfléchir à leur satisfaction optimale, tout en intégrant les contraintes énergétiques et environnementales.

Il ne peut exister de projet alternatif sans une double remise en cause : d’abord de la répartition des revenus actuelle, qui fait dépendre le bien-être de la majorité - et notamment l’emploi - du rendement des actions ; ensuite de la propriété privée, parce que celle-ci dépossède la société du choix de ses priorités, et fait obstacle à la nécessaire mise en place d’une planification écologique.


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