Média indépendant, en accès libre pour tous, sans publicité, financé par les dons de ses lecteurs

Japon : comment le discours du gouvernement français a évolué


Eric Besson, le ministre chargé notamment de l’énergie, a finalement jugé, lundi 14 mars, que la situation dans les centrales japonaises est « préoccupante » et convient que l’hypothèse d’une « catastrophe nucléaire » n’est plus à exclure.

A chaud, au lendemain du séisme de vendredi, le ministre avait dénoncé ceux qui voulaient sonner le « tocsin » et tenaient un discours jugé catastrophiste. Sa sortie avait été immédiatement dénoncée, notamment par les écologistes et le Parti socialiste. En trois jours, le ton du ministre a changé au gré des événements.

-  SAMEDI : « PAS UNE CATASTROPHE NUCLÉAIRE »

« Ça n’a rien à voir avec Tchernobyl », lance Eric Besson au lendemain du tremblement de terre suivi d’un tsunami qui a frappé le Japon et mis à mal la sécurité des installations nucléaires nippones, avec une première explosion signalée à la centrale de Fukushima Dai-Ichi. Il précise qu’à « ce stade et selon les informations dont on dispose, [on est en présence] d’un accident grave mais pas une catastrophe nucléaire ».

Plus tard, lors d’une conférence de presse à laquelle assistent des dirigeants d’Areva et d’EDF, ainsi que la secrétaire d’Etat à l’écologie, Nathalie Kosciusko-Morizet, il appelle « à ne pas sonner un tocsin qui n’existe pas à l’heure où l’on parle », dans une allusion aux écologistes. « La question nucléaire n’est qu’une petite partie, certainement pas la plus importante de ce drame qui a frappé le Japon », ajoute Eric Besson.

Il insiste aussi sur la sûreté du nucléaire français : « Toutes les centrales françaises ont été conçues en intégrant le risque sismique et le risque inondation », dit-il. Excluant un risque pour les populations des territoires d’outre-mer, Nathalie Kosciusko-Morizet estime que la France va s’efforcer de « comprendre, évaluer ce qui est en train de se passer au Japon ».

Les premières sorties d’Eric Besson déclenchent une salve de riposte chez les écologistes et les socialistes. « Oser dire que les accidents nucléaires ont été pensés, intégrés dans la construction de nos centrales nucléaires françaises est scandaleux, c’est insultant », lance Eva Joly dimanche, soulignant le fait que le personnel japonais est « hautement qualifié ». « Dénoncer, comme vient de le faire, le ’catastrophisme’ de ceux qui s’inquiètent des conséquences des accidents nucléaires au Japon n’est pas responsable de la part d’un ministre », juge le PS.

-  DIMANCHE : « POUR L’INSTANT, LE RISQUE MAJEUR (...) EST MAÎTRISÉ »

« Le risque majeur, [c’est celui d’] une explosion du cœur du réacteur, et là ce serait une catastrophe nucléaire ; pour l’instant, ce risque n’existe pas ou plus exactement il est maîtrisé par les autorités japonaises et par l’opérateur japonais », explique Eric Besson sur Europe 1, dimanche. « Pour l’heure, il faut rester prudent, le cœur du réacteur et son enveloppe n’ont pas cédé », ajoute-t-il. Sur BFM-TV, il regrette de n’avoir que des « informations fragmentaires ».

Eric Besson évoque les dégazages faits par les Japonais, précisant : « Ils acceptent de laisser partir dans l’atmosphère (...) de la vapeur faiblement radioactive pour protéger ce qui est le plus sensible, le cœur du réacteur. » Déjà, le ministre doit répondre de ses propos jugés trop rassurants la veille : il affirme qu’il n’est « pas là pour atténuer quoi que ce soit ». « Si c’était très inquiétant, je le dirais de la même façon, assure-t-il. Si aujourd’hui se produisait la catastrophe nucléaire que tout le monde redoute, il faudrait le dire ». Il martèle cependant à l’attention de ses détracteurs : « Je ne suis pas pour sonner le tocsin avant que quelque chose de très important se soit produit. »

Plus tôt dimanche, le premier ministre, François Fillon, est intervenu pour faire savoir que la France allait « tirer les enseignements utiles des événements japonais ». Tout en précisant que la France avait toujours « privilégié le maximum de sécurité pour ses centrales ». Nathalie Kosciusko-Morizet affirme, elle, dans un débat sur BFM TV, que « l’électricité nucléaire bien maîtrisée reste une bonne énergie ».

-  LUNDI : « LA SITUATION EST PRÉOCCUPANTE »

Après deux explosions dans des réacteurs au Japon, le ministre estime que le scénario d’une « catastrophe » n’est pas inenvisageable : « On ne peut pas l’écarter, absolument. » Le fond du propos reste proche de celui de la veille mais le ton semble moins rassurant : « La situation est préoccupante », dit notamment le ministre.

Selon M. Besson, les responsables japonais ont procédé à des dégazages « relativement importants », avec des risques de contamination pour les populations à proximité des sites, dans le but de faire chuter la pression et protéger l’enceinte de béton qui recouvre le réacteur. « Tant qu’elle tient, cette enceinte de béton, on est dans un accident nucléaire grave puisqu’il y a eu des fuites radioactives mais on n’est pas dans une catastrophe ». « La catastrophe, ce serait la fusion du réacteur et surtout la rupture de cette enveloppe qui enserre le réacteur », précise-t-il. Sur le plan politique, Eric Besson estime que le débat, que les écologistes veulent rouvrir, est « permanent » mais aussi « légitime ». Un ton qui apparaît moins polémique que celui des jours précédents.

En fin de journée, Nathalie Kosciusko-Morizet participe à une réunion des ministres européens de l’environnement. Son intervention confirme que désormais, au sein du gouvernement, on semble accepter la nécessité d’envisager le pire : « Le risque de très grande catastrophe ne peut être écarté », déclare-t-elle depuis Bruxelles.


Alors que les alertes sur le front de l’environnement continuent cet été, nous avons un petit service à vous demander. Nous espérons que 2023 comportera de nombreuses avancées pour l’écologie. Quoi qu’il arrive, les journalistes de Reporterre seront là pour vous apporter des informations claires et indépendantes, tout au long de l’année.

Les temps sont difficiles, et nous savons que tout le monde n’a pas la possibilité de payer pour de l’information. Mais nous sommes financés exclusivement par les dons de nos lectrices et lecteurs : nous dépendons de la générosité de celles et ceux qui peuvent se le permettre. Ce soutien vital signifie que des millions de personnes peuvent continuer à s’informer sur le péril environnemental, quelle que soit leur capacité à payer pour cela. Allez-vous nous soutenir cette année ?

Contrairement à beaucoup d’autres, Reporterre n’a pas de propriétaire milliardaire ni d’actionnaires : le média est à but non lucratif. De plus, nous ne diffusons aucune publicité. Ainsi, aucun intérêt financier ne peut influencer notre travail. Être libres de toute ingérence commerciale ou politique nous permet d’enquêter de façon indépendante. Personne ne modifie ce que nous publions, ou ne détourne notre attention de ce qui est le plus important.

Avec votre soutien, nous continuerons à rendre les articles de Reporterre ouverts et gratuits, pour que tout le monde puisse les lire. Ainsi, davantage de personnes peuvent prendre conscience de l’urgence environnementale qui pèse sur la population, et agir. Ensemble, nous pouvons exiger mieux des puissants, et lutter pour la démocratie.

Quel que soit le montant que vous donnez, votre soutien est essentiel pour nous permettre de continuer notre mission d’information pour les années à venir. Si vous le pouvez, choisissez un soutien mensuel, à partir de seulement 1€. Cela prend moins de deux minutes, et vous aurez chaque mois un impact fort en faveur d’un journalisme indépendant dédié à l’écologie. Merci.

Soutenir Reporterre

📨 S’abonner gratuitement aux lettres d’info

Abonnez-vous en moins d'une minute pour recevoir gratuitement par e-mail, au choix tous les jours ou toutes les semaines, une sélection des articles publiés par Reporterre.

S’abonner
Fermer Précedent Suivant

legende