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Jupe et string obligatoires

Une jupe longue serait un signe religieux...


Il fut un temps, pas si lointain, où les jeunes filles de notre douce France fréquentaient des lycées (non mixtes) en jupe, les pantalons leur étant strictement interdits. Les temps ont bien changé. Aucune tenue ne choque plus personne.

Pourtant, la tenue des jeunes filles semble redevenir un enjeu majeur : à partir de quelle longueur de robe celles-ci sont-elles vraiment « libérées » ? Faut-il montrer ses genoux pour faire la preuve que l’on est « libérée » ? Ou bien la mini-jupe serait-elle le seul signe de « libération » ? Ces angoissantes questions hantent l’administration d’un lycée de la région parisienne.

Comme le rapporte un communique du Collectif contre l’islamophobie en France (« Des lycéennes convoquées pour... port de robe longue unie ! ») :

« Après les propos nauséabonds de Marine le Pen sur les prières musulmanes, après l’ingérence de l’Etat dans les affaires religieuses avec le débat sur l’Islam, après la sortie scandaleuse du ministre de l’Education Nationale sur les mères musulmanes accompagnant les sorties scolaire, c’est au tour du Lycée Auguste Blanqui, à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) d’être le théâtre d’un nouveau scandale islamophobe. Depuis quelques jours, plusieurs lycéennes sont convoquées, l’une après l’autre, par la proviseure adjointe et la CPE, parce qu’elles portent…une robe longue unie ! »

Le site Soutien Palestine (« Musulmanes, ôtez cette robe longue qui nous insupporte », 15 mars) rapporte le témoignage de ces jeunes filles :

« Ce mardi matin, une élève de seconde est venue à la rencontre d’une autre jeune fille scolarisée pour sa part en classe de terminale, afin de lui faire part de ce qu’elle avait péniblement vécu vendredi dernier au sein de l’établissement. Celle-ci lui a rapporté avoir été convoquée par la proviseure adjointe du lycée ! L’objet de cette convocation était la ferme condamnation du vêtement portée par cette élève, à savoir une longue robe unie ! La proviseure adjointe lui a signifié qu’au nom du règlement intérieur de l’établissement qui applique le principe de laïcité en vigueur en France, elle ne pouvait pas arriver ainsi vêtue au sein de son établissement scolaire ! Explication de la proviseure : “Cette jupe longue ne peut être considérée que comme un vêtement ostentatoire, un signe religieux manifeste” !!! » (...)

Plus tard, dans la matinée, une jeune fille de terminale a été convoquée alors qu’elle était en cours de philosophie. « Première convocation durant toute sa scolarité au bureau d’un proviseur ! Sont présentes dans le bureau, la proviseure adjointe et la CPE. Motifs avancés ? Les mêmes que ceux présentés la semaine dernière pour la jeune fille de seconde. Le déroulé de cette rencontre : “Si je te convoque, c’est à cause de ton vêtement. Voilà, je te lis le passage du règlement intérieur sur la laïcité.” Mme la proviseure adjointe faisant remarquer que la robe longue de la jeune fille faisait référence à une religion, qu’il permettait de déterminer de quelle religion elle était, et que elle, Mme la proviseure, savait très bien pourquoi elles, toutes ces jeunes filles, portaient ce type de vêtements etc. etc. Et la jeune fille de répondre que non, il ne s’agit pas d’un vêtement religieux. Et la CPE, assez silencieuse pendant tout l’entretien, de reprendre : “Oh que si !” »

« Au cours de cette séance qu’elle a qualifiée de “violente moralement”, la jeune fille a remarqué qu’il y avait devant la proviseure une feuille sur laquelle était écrit une liste de noms de filles, dont le sien, censées subir ce même entretien. La jeune fille a demandé à la proviseure à partir de quels critères cette liste de noms de filles musulmanes avait-elle été constituée ; on lui a répondu que cela ne la regardait pas. La réalité que les jeunes filles nous ont expliquée aujourd’hui est que l’administration surveille de très près les élèves qui portent le voile à l’extérieur de l’établissement et qui sont obligées de l’enlever à l’entrée du lycée ! Similitude frappante et déconcertante avec la surveillance engagée envers les personnes que l’on soupçonnait d’être juives à une certaine époque dans notre pays. » (...)

(...) « Un certain nombre de jeunes filles qui ont eu vent de cette affaire ont refusé d’aller en cours disant que l’urgence était de débattre de ces faits qui ont provoqué chez elles une très grande indignation. Elles se sont rendues en salle de permanence afin de pouvoir en débattre entre elles. Peu de temps après, sont arrivées les trois CPE de l’établissement, la proviseure et la proviseure adjointe. Message envoyé à toutes les rebelles : toutes celles qui étaient en retard à leurs cours ou celles qui avaient décidé de ne pas s’y rendre devaient les suivre ! »

« Les jeunes filles sont donc conduites dans une des salles du lycée ; ce n’est pas un débat qui aura lieu mais bien un “monologue”, selon elles, durant lequel les cheffes auront tout le pouvoir de faire savoir à celles qu’elles qualifient “d’insolentes”, “d’immatures”, ce qu’elles pensent de ces vêtements qualifiés de religieux. “Que signifie donc cette rébellion ?”, “Comment peuvent-elles oser ?” “Ces vêtements sont interdit un point c’est tout ; c’est la laïcité, c’est le règlement… Et être habillées de la sorte est ostentatoire”, a déclaré religieusement Mme la proviseure, nouvelle ambassadrice de la religion laïque au sein de cet établissement. Que “décidément ce n’est pas un style que d’être vêtues de la sorte”. Que “regardez-moi avec ma veste et mon jean”, ça c’est un style !” “Ah bon vous êtes styliste ?”, rétorque, agacée, une des jeunes filles présentes. Silence de la proviseure. Et plus le temps passe, plus les cheffes à cours d’arguments commencent à s’enliser. “Comment ça se passe quand c’est la mode des jupes longues ?” demandent les élèves. “Elles ont droit ou pas le droit, les filles, de les porter ?” “Vous savez bien que ce n’est pas la même chose ! En haut elle porte un petit chemiser, un petit tee-shirt avec des bretelles ; ce n’est pas la même chose !” “C’est ce vêtement tout noir.” “Ah bon ! C’est la couleur maintenant qui vous pose problème ?!”... »

Le lendemain s’est déroulée une autre réunion, avec les parents des élèves, tout aussi hallucinante (« Dis-moi ton prénom, et je te dirai si ta robe longue est ostentatoire ! », 16 mars), d’où il ressort que les jeunes filles concernées seront confinées au CDI, en attendant que la hiérarchie tranche... Exclure, exclure, exclure. Au nom de la laïcité, en plus...

Ce qui indigne l’animatrice du site féministe décapant Les Entrailles de Mademoiselle, qui, dans un billet intitulé « Sois blanche et tais-toi ! » (17 mars), écrit :

« Ne pourrait-on pas demander à ces jeunes femmes de changer de prénom, afin de s’appeler Caroline, “comme tout le monde” ? Ne pourrait-on pas demander à ces jeunes femmes d’arborer un épiderme bien blanc, “comme tout le monde” ? »

« Parce que, comme le dit Môssieur Guéant, “Les Français (...) ne sont pas xénophobes. Ils veulent que la France reste la France.” (Le Monde du 15 mars 2011). »

« Ah, la France éternelle, son pâté, son camembert, ses colonies... »

« Mademoiselle pense donc qu’il faudrait de toute urgence légiférer de manière à rendre obligatoire le port de signes ostensible de francitude. Ainsi, tout(e) lycéen(ne) désireux(se) de montrer son amour de la Patrie et de la Laïcité devrait désormais venir au lycée en arborant :

Un jambon beurre et sa serviette à carreaux »

Dans le climat nauséabond du débat sur l’islam, les mesures de ce type se multiplient et contribuent à créer les conditions d’une progression de Marine Le Pen. N’est-ce pas le ministre de l’éducation Luc Chatel, qui a pris une décision héroïque et a interdit aux femmes voilées d’accompagner les sorties scolaires – décision qui sera sans doute contestée devant le Conseil d’Etat (lire Stéphanie Le Bars, « Luc Chatel ne veut pas de mères voilées pour accompagner les sorties scolaires », LeMonde.fr, 3 mars). Cette décision aura au moins un effet positif : renvoyer dans leurs foyers ces femmes qui cherchent à s’intégrer aux activités scolaires, un pas décisif dans la voie de leur émancipation.

Quant à l’égalité hommes-femmes, elle pourra toujours attendre dans un pays où 85% des députés sont des hommes, où l’inégalité des salaires est flagrante, où la violence contre les femmes persiste.


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