L’État abandonne ses chevaux de trait

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Le trait poitevin, l’une des neuf races françaises de chevaux de trait, est en péril. Alors que seulement soixante-et-une naissances ont été comptées en 2013, l’État vend ses sept mâles reproducteurs qui permettraient de préserver la génétique. L’association de la race souhaite racheter ces chevaux, notamment grâce au financement participatif.
- Saint-Jean-de-Liversay, reportage
Près de sa maison de Saint-Jean-de-Liversay (Charente-Maritime), Florent Chevreau a laissé paître l’un de ses chevaux de trait poitevins. Un jeune mâle de trois ans, imposant et paisible, à la robe gris sable. Il se repose sous un arbre, quelquefois troublé par l’attaque incessante des mouches.
Les autres chevaux sont un peu plus loin, dans les prés communaux. Parmi eux, il y a Pépito de Marigny, un des meilleurs chevaux reproducteurs de la race trait poitevine. La bête appartient à France-Haras, un groupement d’intérêt public qui possède les sept meilleurs étalons trait poitevins. Florent Chevreau le loue, afin de faire reproduire ses juments et ainsi assurer la pérennité de la race, originaire des marais du bas Poitou.
- Pépito de Marigny, l’un des huit étalons trait poitevins en vente. Crédit : Association nationale des races mulassières du Poitou. -
Soixante-et-une naissances en 2013
Mais Pépito de Marigny, tout comme les six autres étalons trait poitevins et un âne baudet du Poitou, vont être vendus en septembre prochain. Un coup dur pour ces races, dont les effectifs sont très bas. Cette année, l’association a recensé soixante-et-une naissances, un chiffre parmi les plus bas. À titre de comparaison, les naissances annuelles de chevaux de trait bretons avoisinent les 3 000.
Cette vente est la dernière étape du démantèlement des Haras nationaux, une institution publique vieille de 300 ans. « L’État a décidé d’arrêter l’étalonnage [gestion des étalons, NDLR], cela coûtait trop cher », explique Geneviève de Sainte Marie, présidente de France-Haras.
Dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP, actuelle modernisation de l’action publique) entamée en 2007, l’État a sommé les Haras nationaux de se détacher de leur rôle historique : la sélection et la reproduction des races équines françaises. L’étalonnage est temporairement transféré à France-Haras, qui assure la transmission des étalons publics au secteur privé.
18 000 euros pour huit étalons
Jusqu’alors, les Haras nationaux louaient les étalons aux éleveurs, qui pouvaient les garder chez eux trois ans maximum afin de saillir leurs juments. La dispersion de ces étalons menace la race d’extinction. « Si ces chevaux sont vendus aux enchères, des particuliers peuvent les racheter et les castrer, réduisant encore les potentielles naissances », explique Ophélie Lecampion, animatrice de l’association nationale des races mulassières du Poitou.
- Tocar 2, l’un des huit étalons trait poitevins en vente, ainsi que des étalonniers, qui s’occupent de la reproduction des chevaux, de toutes générations. Crédit : Association nationale des races mulassières du Poitou. -
L’association, qui compte environ 300 adhérents est reconnue par le ministère de l’Agriculture pour la gestion des trois races locales : le trait poitevin, l’âne baudet du Poitou et la mule poitevine.
L’association a donc décidé de racheter les huit étalons – sept chevaux de trait et un âne - à France-Haras, pour un montant de 18 000 euros. « Nous souhaitons gérer collectivement ces étalons, afin qu’il n’y ait pas d’accaparement des meilleurs chevaux par certains éleveurs », explique Ophélie Lecampion.
Un projet de financement participatif est en cours sur la plateforme Ulule. 4 745 euros ont déjà été récoltés, au-delà de la somme demandée. « Nous avons fixé un montant de 3 600 euros pour être sûrs de l’atteindre. Mais les internautes sont invités à donner davantage », explique Hélène Ferjoux, chargée de communication. « Nous espérons atteindre les 6 000 euros », ajoute Florent Chevreau.
L’association a également demandé des subventions aux départements et à la région. « Rien n’est sûr, déclare Ophélie Lecampion, elles doivent être attribuées en septembre. » Le reste sera financé par les fonds de l’association… et la poche des éleveurs.
Père de la mule poitevine
Le trait poitevin dispose d’une particularité qui lui a permis de perdurer à travers les siècles : lorsqu’une jument s’accouple avec un baudet du Poitou, elle met bas une mule poitevine, un animal hybride, donc ne pouvant pas se reproduire. Cette mule de grande taille fut réputée dans le monde entier pour sa force de travail.
Au XIXe siècle, les traits poitevins étaient destinés uniquement à la production de ces mules. Selon l’association France Trait, le Poitou en aurait exporté jusqu’à 18 000 par an.
Mais avec la mécanisation, mules, ânes et chevaux de trait poitevins disparurent peu-à-peu. Une poignée de passionnés œuvra alors à leur sauvegarde. En 1990, ils mirent en place un programme de protection avec l’aide du parc régional du marais poitevin et des Haras nationaux.
Malgré cela, en moins d’un siècle, les effectifs de juments de trait poitevines passèrent de 40 000 à 75 individus. Désormais, ces chevaux de trait aux formes allongées sont principalement utilisés pour le loisir : attelage et monte. « C’est un cheval de famille, indique Ophélie Lecampion, il est calme et attachant. » Il est aussi parfois utilisé pour le travail : tourisme, gardiennage à cheval, ramassage des ordures en ville, débardage, etc.
- Florent Chevreau, éleveur passionné et son étalon de trois ans, Buffalo. Crédit : Flora Chauveau. -
« Personne ne vit de l’élevage »
La vente des étalons par France-Haras n’est pas le seul problème rencontré par les éleveurs : perte des primes accordées par les Haras nationaux lors des concours d’élevage, équarrissage devenu payant, hausse de la TVA à 20 %, etc. « Personne ne vit de l’élevage de traits poitevins », s’exclame Florent Chevreau.
Lui-même exerce un autre métier à côté et s’occupe de ses animaux le soir et les week-ends. « Ce sont les passionnés qui maintiennent la race, poursuit-il. Mais j’ai l’impression que peu de jeunes s’intéressent à l’élevage. Quand les anciens n’assureront plus ce rôle, que deviendront les traits poitevins ? »
Si elle parvient à les racheter, l’association nationale des races mulassières du Poitou projette de continuer à louer les étalons aux éleveurs, au même tarif que celui pratiqué par les Haras nationaux. Avec l’argent récolté, elle pourrait bien acheter de nouveaux étalons, provenant d’autres lignées afin d’enrichir la génétique et de relancer cette race locale de caractère.