La vigne au rythme des sabots

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Travailler la terre avec un cheval attelé n’est plus l’apanage des temps anciens. A Amboise, dans le berceau du Vouvray, un lycée agricole propose une formation à l’attelage équestre.
- Amboise (Indre-et-Loire), reportage
Orphée somnole entre les ceps de vigne. L’imposante jument de race auxoise vient de labourer plusieurs rangs. Le terrain est abrupt et la terre est dure. D’une brève exclamation, son meneur Philippe Chigard la réveille, non sans peine.
L’animal se remet en mouvement, contracte ses muscles pour tirer la charrue, dont le soc pénètre immédiatement le sol et retourne la terre. Le meneur maîtrise l’attelage, évite les ceps, redresse la charrue qui dévie fréquemment de sa trajectoire. C’est un travail très physique, tant pour le cheval que pour l’homme.

Philippe Chigard est responsable de la formation « Utilisateurs de chevaux attelés » au lycée agricole d’Amboise (Indre-et-Loire), l’un des douze établissements à disposer de cette option reconnue par le ministère de l’Agriculture.
Ce lundi, accompagné d’Estelle, une formatrice, ainsi que de Jean-Noël et Michaël les stagiaires, il effectue le labour de printemps d’une parcelle de vigne surplombant le village de Vernou-sur-Brenne. C’est l’occasion pour les élèves de se perfectionner dans le travail viticole, la spécialité du lycée d’Amboise. Mais c’est aussi une prestation à part entière, rémunérée par le vigneron.
Justement, Vincent Carême, le propriétaire des lieux, est venu voir l’avancée du travail. « C’est une vieille vigne qu’on a failli arracher, raconte-il. Mais on a décidé de la valoriser avec le travail du cheval. Cela tasse moins les sols, c’est silencieux et sympa à regarder ! »
Le tassement, entraîné par le passage du tracteur, empêche la vie biologique du sol, limite l’accès des minéraux aux racines et retient l’eau de pluie qui ruisselle au lieu de s’infiltrer pour constituer des réserves. Le cheval permet un travail doux, très précis et dans des zones à fort dénivelé.
L’amour des chevaux et de la terre
Michael souffle. Il arrête le gros cheval gris qu’il mène, Junior, un percheron. Le travail de cette parcelle est ardu : cela fait deux ans qu’elle n’a pas été labourée. Pourtant, le travail physique, il connait bien. « Avant, j’étais maréchal-ferrant. La relation avec le cheval est totalement différente lorsqu’on travaille avec lui dans les champs plutôt que dans les centres équestres. »
L’amour des chevaux ne doit pas être la seule motivation des stagiaires. « Il faut aussi avoir l’amour de la vigne, de la terre » explique Philippe Chigard. Michael approuve : « La vigne, c’est plein de choses : c’est les chevaux, mais c’est aussi le terrain, le vin, les hommes. »

La traction animale reste un travail difficile, soumis aux contraintes de la météo. L’entretien des chevaux coûte cher et prend du temps. Les petits viticulteurs comme Vincent Carême ne peuvent pas se permettre de travailler l’ensemble de leur domaine avec le cheval – la prestation annuelle lui coûte 4 000 euros par hectare.
Pourtant, de plus en plus de vignerons optent pour la traction animale, notamment dans les grandes régions viticoles. Les exploitations bio se multiplient et la clientèle recherche un vin toujours plus naturel. Une chance : cette pratique permet de sauvegarder des races de chevaux de trait menacées de disparition, comme l’auxois. Orphée, la grosse jument qui refuse allègrement d’avancer, en est un des derniers spécimens.