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Tribune

L’arnaque de la « compensation pour perte de biodiversité »

La « compensation pour perte de biodiversité » est un mécanisme censé « compenser » l’impact d’un grand projet d’infrastructure sur l’environnement. Loin de recréer de la biodiversité, ces mécanismes donnent un blanc-seing à la destruction environnementale, comme s’il était possible de recréer aileurs ce que l’on a détruit ici.


Partout dans le monde, les écosystèmes (et donc les communautés qui en dépendent) sont mis à mal par de grands projets d’infrastructure, les sites d’extraction et les marchés financiers [1]. Afin de faciliter ces activités, des entités tant publiques que privées mettent sur pied des mécanismes pour ‘compenser’ leur impact sur l’environnement.

Ces mécanismes pourraient aggraver la situation, et plus inquiétant encore, ils font de la nature une marchandise. C’est pourquoi les organisations signataires mettent en garde contre cette fausse solution et refusent les mécanismes de compensation pour perte de biodiversité.

La compensation pour perte de biodiversité, c’est la promesse de remplacer ce qui est détruit dans la nature à un endroit par de la nature ailleurs. De même que dans le cas des mécanismes de développement propre (Clean Development Mechanisms, CDM) et de réduction des emissions suite à la déforestation et la degradation des forêts (Reduce Emissions from Deforestation and Forest Degradation, REDD), la compensation pour perte de biodiversité se base sur l’avis d’‘experts’ pour faire croire qu’un morceau de la planète est équivalent à un autre.

À qui profite le crime ?

Introduire ces compensations permet, voire encourage, la destruction de l’environnement en faisant croire qu’un habitat peut être recréé ailleurs. Tout bénéfice pour les entreprises responsables de dégradation, puisqu’elles peuvent se présenter comme si elles investissaient dans la protection de l’environnement, donnant ainsi un vernis écologique à leurs produits et services.

Cela crée également des ouvertures pour de nouveaux intermédiaires : des consultants en conservation du biotope pour évaluer ce qui est perdu, des banquiers pour le transformer en crédits, des traders pour spéculer dessus sur de nouveaux marchés spécialisés et des investisseurs qui veulent tirer profit de ce ‘capital vert’. “Le capital naturel” est un concept artificiel reposant sur des hypothèses économiques boiteuses et non sur des valeurs écologiques, un concept qui permet la marchandisation de la nature.

Et ceci se produit avec l’appui de gouvernements qui font en sorte que des droits de propriété sur des éléments naturels comme le carbone ou la biodiversité puissent être transférés à des sociétés et des banques.

Les compensations ne vont pas empêcher la perte de biodiversité

La nature est unique et complexe. Il est impossible de mesurer la biodiversité, il est donc trompeur de suggérer qu’il est possible de trouver des zones équivalentes. Il faut à certains écosystèmes des centaines sinon des milliers d’années pour devenir ce qu’ils sont – or ces compensations font semblant qu’il est possible de trouver des remplacements [2].

Ces compensations vont faire du tort aux communautés

La compensation en matière de biodiversité a comme conséquence que la protection de l’environnement n’est plus qu’un sous-produit d’un projet commercial, marginalisant les communautés et menaçant leur droit à la vie. La nature joue un rôle important pour les communautés locales, que ce soit du point de vue social, spirituel ou de leur subsistance. Ces valeurs ne peuvent pas plus être mesurées, estimées ou compensées que ces communautés ne peuvent aller vivre ailleurs [3].

La compensation en matière de biodiversité sépare les gens du milieu où ils ont grandi, où s’enracine leur culture, où leur activité économique se déroule depuis des générations.

La compensation en matière de biodiversité pourrait accélérer la perte de biodiversité

Une série de cas démontrent que ces compensations accélèrent l’exploitation des ressources naturelles et sont préjudiciables aux droits des communautés à protéger et gérer leurs biens communs. Parmi ces exemples, citons :

• Le nouveau code forestier au Brésil qui permet aux propriétaires de détruire des forêts s’ils achètent des ‘certificats de réserves environnementales’ émis par l’état et échangé à la bourse des produits verts récemment créée par le gouvernement brésilien.

• La législation de l’Union européenne sur les compensations en matière de biodiversité (dite ‘initiative de perte nette nulle’) qui pourrait vider les directives existantes de leur substance.

• Des institutions financières publiques comme la Banque mondiale (BM), la Société financière international (SFI, la branche de la BM pour le privé) et la Banque d’investissement européenne (BIE) ont intégré les compensations en matière de biodiversité dans leurs normes, ce qui leur permet de financer des projets qui détruisent l’environnement.

Il est impossible de compenser de grands projets d’infrastructure et d’extraction. Une fois qu’un écosystème est détruit, il est impossible de le récréer ailleurs. Là où la compensation de biodiversité est permise, elle entraîne souvent l’affaiblissement des lois qui doivent empêcher la destruction de l’environnement. Si les compensations se couplent de quota échangeables (comme pour le carbone), la voie est libre pour la spéculation financière qui menace la nature et les droits des communautés qui en dépendent.

Sept ans de compensation carbone n’ont pas réduit les émissions de carbone [4], alors ne laissons pas les compensations de biodiversité ouvrir la voie à des destructions qui auraient sinon été déclarées illégales ou contraires aux critères de protection de l’environnement.

Pour ces raisons, nous rejetons toute tentative de faire figurer des mécanismes de compensation en matière de biodiversité dans des lois, critères ou politiques publiques, qui auraient pour effet de créer de nouveaux marchés où la nature est devenue marchandise.


- Exploitation minière en Indonésie -

Annexe : quelques exemples de politiques et de projets de compensation

1. Le gouvernement britannique envisage d’introduire ces mécanismes de compensation (consultation en novembre 2013). Des cas de compensation montrent que la promesse de compenser la perte est préjudiciable à l’application de lois qui empêcheraient la destruction de l’environnement, affaiblissant ainsi le processus démocratique et l’attention portée aux communautés affectées [5].

2. Notre-Dame-des-Landes, en France : depuis une quarantaine d’années, il est question de construire un aéroport sur plus de mille hectares de terres où les agriculteurs ont préservé biodiversité et paysage traditionnel. Les lois françaises sur l’eau et la biodiversité exigeaient des compensations. Le bureau d’étude Biotope a mis au point une méthodologie basée sur des ‘fonctions’ et non des ‘hectares’, ce qui aboutit à compenser seulement pour 600 hectares. La résistance locale a réussi jusqu’à présent à bloquer le projet. La Commission européenne va s’en mêler.

3. Stratégie de l’UE sur la biodiversité à l’horizon 2020 – l’UE envisage de légiférer sur les compensations en matière de biodiversité, y compris une “banque d’habitats” qui permettrait de compenser les pertes d’espèces et d’habitats partout dans l’Union. L’objectif est d’éviter une perte nette de biodiversité, ce qui n’est pas la même chose que pas de perte.

4. La Banque mondiale finance un projet d’extraction de nickel et de cobalt en Indonésie. Il est dirigé par la société française Eramet, qui fait partie de BBOP (Business and Biodiversity Offsets Program). Le projet a déjà reçu l’aval de MIGA (la branche de la Banque mondiale qui s’occupe de couvrir les risques économiques et politiques des investisseurs) et doit être financé par la Banque mondiale, la Banque de développement asiatique, la banque japonaise pour la coopération internationale (JPIC), Coface et l’Agence française du développement (AFD) en ce qui concerne le volet compensations. Les conséquences pour les habitants et les sols sont très graves et la société civile se mobile pour combattre le projet, tant au niveau international qu’en Indonésie.


Notes

[1] Les méga-projets dans l’industrie minière, l’énergie, l’exploitation forestière, les transports et les monocultures entraînent l’expropriation de terres et des changements dans l’utilisation des sols, y compris la conversion de forêts à de l’agriculture à échelle industrielle. Dans le même temps, au nom de la sécurité énergétique, c’est sur grande échelle que se développent l’extraction de carburants fossiles conventionnels et non-conventionnels comme les sables bitumeux et le gaz de schiste.

[2] http://www.ceeweb.org/wp-content/uploads/2011/12/Critical-review-of-biodiversity-offsets_for-IEEP_Final.pdf

[3] Ceci illustre le fardeau disproportionné que doivent supporter des communautés qui ne sont en rien responsables de la destruction de l’environnement et dont la survie dépend d’un environnement en bonne santé.

[4] http://scrap-the-euets.makenoise.org/english/

[5] http://saveourwoods.co.uk/articles/nppf/biodiversity-offsetting-permits-previously-rejected-housing-development/

[6] Voir la note des Amis de la Terre

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