Tribune —
LGV Lille-Dijon : un projet déraisonnable
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Une nouvelle LGV : les experts se déchaînent. Par Dijon, ou par le centre de la France ?
Dans sa tribune sur Reporterre du 21 mars 2012, Michel Vogt affirme qu’il est préférable de construire une LGV Lille-Dijon plutôt qu’une deuxième LGV Paris-Lyon (projet Paris-Orléans-Clermont-Lyon ou POCL). Le problème posé est plus généralement celui de la saturation éventuelle des LGV Paris-Lyon (LN1), Atlantique (LN2) et Nord (LN3).
On estime que la LN1, utilisée actuellement par 40 millions de voyageurs par an, sera saturée vers 2030 même si la capacité des rames est augmentée (le taux moyen d’occupation est déjà de 75% et peut difficilement croître) et si une signalisation moderne appelée ERTMS 2 est mise en place pour porter la capacité de la ligne de 12 à 16 TGV par heure et par sens.
La LN2 est moins chargée (environ 30 millions de voyageurs par an) mais sa saturation sur le tronc commun Paris-Courtalain des deux branches Bretagne et Sud-Ouest devrait intervenir vers 2030 elle aussi, suite aux mises en service de ses prolongements (Le Mans-Rennes et Tours-Bordeaux vers 2017 puis Bordeaux-Toulouse très vraisemblablement avant 2025) qui provoqueront un afflux de trafic très important, comparable à celui qu’a entrainé le prolongement de la LN1 de Lyon jusqu’à Marseille et Nîmes.
La saturation de la LN3 est, par contre, une perspective bien plus incertaine, qui ne devrait pas être observée avant 2050. En effet la LN3, déjà prolongée jusqu’à Cologne, Amsterdam et Londres, n’est susceptible de l’être encore que de Londres vers le nord de l’Angleterre.
Ces conclusions reposent sur les hypothèses suivantes : une augmentation « naturelle » du trafic de 2,5% par an jusqu’en 2025, puis de 1% par an jusqu’en 2035, et un prix du pétrole qui resterait modéré (65 dollars le baril) ; en cas de hausse sérieuse et pérenne du prix du pétrole, les reports spontanés de trafic de l’avion et la route sur le TGV avanceraient évidemment les dates de saturation.
Dans ces conditions, on perçoit mal la pertinence d’un doublement de l’ensemble LN3 + interconnexion + LN1 par une LGV Lille-Dijon longue de 500 km (et accompagnée nécessairement d’une LGV Dijon-Lyon), aussi coûteuse que le POCL pour un trafic dix fois moindre, et donc infinançable : elle ne serait en effet utilisée que par des TGV diamétraux ou « passe-Paris » ne pouvant même pas desservir Roissy (les actuels TGV diamétraux n’existent que parce qu’ils sont alimentés par une clientèle francilienne à Roissy, Marne-la-Vallée ou Massy).
Une LGV Lille-Dijon est clairement un projet utopique : il ne suffit pas de tracer un trait sur la carte, il faut aussi se préoccuper du volume du trafic attendu. Même le projet de LGV Paris-Amiens-Calais doublant la LN3, bien qu’inscrit au Schéma national des infrastructures de transport (SNIT) acté dans la loi Grenelle 1, ne répond aujourd’hui à aucune nécessité.
La saturation des LN 1 et 2 doit par contre être prise en compte dès maintenant. La construction de la LGV POCL, destinée aussi à améliorer de manière décisive la desserte du centre de la France, semble difficilement évitable, sauf à accepter une dégradation des performances du TGV sur l’axe ferroviaire le plus fréquenté de France et un reflux des voyageurs vers l’avion et la voiture.
La situation actuelle est comparable à celle des années 1970 : la ligne classique « PLM » Paris-Dijon-Lyon était alors en voie de saturation, le renforcement de sa capacité était à la fois difficile techniquement et très coûteux, et aucune réduction des temps de parcours n’était possible. Le trafic ferroviaire aurait stagné sans la construction de la LGV Paris-Lyon (combattue alors par certains écologistes, approuvée par d’autres) alors qu’elle a permis d’éliminer le trafic aérien très intense entre Paris et Lyon et de contenir le trafic routier malgré la baisse du prix des carburants après le contrechoc pétrolier de 1985 : l’autoroute A6 est restée à 2 x 2 voies sur l’essentiel de son parcours.

La nécessité du POCL étant admise, il est possible de valoriser considérablement le projet actuel, comme l’a proposé la FNAUT [Fédération nationale des associations d’usagers des transports] lors du récent débat public.
1 - Le tracé médian imaginé par RFF [Réseau ferré de France] pour le POCL est le plus pertinent pour les raisons suivantes :
- la qualité de la desserte des territoires du centre de la France par la LGV POCL ne dépend que marginalement du tracé (médian, ouest ou ouest-centre), à 5 mn près pour les trajets Paris-province, qui seraient d’une durée inférieure ou égale à 2h ;
- c’est le tracé médian qui permet de maximiser les gains de voyageurs (surtout des voyageurs longue distance grâce au gain de temps possible sur les relations Paris-Méditerranée), donc de maximiser l’auto-financement du projet par RFF (de l’ordre de 25%, contre 17% pour le tracé ouest et 12% pour le tracé ouest-sud).
2 - La desserte TGV Paris-Limoges peut être assurée par branchement sur le POCL : ce choix autorise une liaison presqu’aussi performante que par le barreau LGV Poitiers-Limoges (115 km) qui doit être abandonné. Cet abandon élimine du même coup le projet irréaliste de LGV transversale « Transline » (Lyon-Montluçon-Limoges-Poitiers) défendu par l’association ALTRO présidée par René Souchon, par ailleurs président du Conseil régional d’Auvergne : cette transversale aurait été positionnée bien trop au sud, alors que l’itinéraire transversal naturel Lyon-Atlantique est un itinéraire de plaine passant par Bourges.
3 – Le POCL permet d’accélérer les liaisons transversales Lyon-Nantes par Bourges et Tours, ainsi que Lyon-Bordeaux par Limoges ou Tours. Une transversale intégralement à grande vitesse passant par Orléans peut même être réintroduite à moindre coût, comme l’a suggéré la FNAUT, en construisant un barreau de 50 km entre Orléans et Courtalain, reliant la LN2 et ses prolongements vers l’Ouest et le Sud-Ouest au POCL, c’est-à-dire Nantes, Rennes et Le Mans à Lyon et à tout le sud-est de la France. On obtiendrait du même coup un doublement de la LN2 entre Paris et Courtalain passant par Orléans.
4 - Une autre proposition de la FNAUT concerne la LGV Rhin-Rhône existante (Dijon-Belfort), utilisée aussi bien par des TGV radiaux Paris-Mulhouse-Suisse que par des TGV transversaux Strasbourg-Lyon-Méditerranée (et même Francfort-Marseille). Il était prévu de la compléter par une branche ouest (94 km) la reliant à la LN1 au nord de Montbard et par une branche sud (157 km) la reliant à Lyon et à la LGV Méditerranée.
Mais le trafic potentiel transversal est peu important et la branche sud est donc difficilement finançable. D’où l’idée de revenir au schéma proposé par la FNAUT en 1987 et de remplacer les branches ouest et sud par un barreau Dijon-Saulieu reliant la LGV Rhin-Rhône à la LN1. Ce barreau de 60 km seulement serait utilisé à la fois par les TGV radiaux et transversaux, avec des performances comparables à celles offertes par les branches ouest et sud (Strasbourg-Lyon en 2h40 au lieu de 2H20 par la branche sud) ; sa mise en service devrait être simultanée à celle du POCL car elle suppose que la LN1 soit déchargée du trafic Paris-Méditerranée.
En définitive, le schéma des LGV proposé ici pour le POCL et la LGV Rhin-Rhône répond à des préoccupations rationnelles convergentes :
- assurer un bon fonctionnement du réseau existant des LGV, donc pallier la saturation, prévisible à moyen terme, des LN 1 et 2 ;
- mailler le réseau des LGV et créer deux transversales très performantes Lyon-Rennes/Nantes et Lyon-Dijon-Strasbourg ;
- minimiser la longueur des LGV à construire afin d’en limiter l’impact environnemental local et le coût (abandon de Poitiers-Limoges et des branches ouest et sud du Rhin-Rhône) ;
- et en définitive maximiser les transferts de trafic de la voiture et de l’avion sur le rail.
Le schéma proposé (POCL + les deux barreaux Orléans-Courtalain et Dijon-Saulieu) est évidemment coûteux, de l’ordre de 15 milliards d’euros pour 650 km de LGV. Mais il constitue une solution efficace à long terme, à la fois technique et écologique (effet de serre). Et l’argent disponible pour le rail n’est pas une donnée intangible de la nature, on ne doit pas nécessairement choisir entre LGV et réseau classique.
D’une part on peut faire des économies en éliminant d’autres grands projets d’infrastructures de transport (autoroutes, aéroport de Notre-Dame-des-Landes, canal Seine-Nord) ou des mesures dangereuses et ruineuses telles que la TIPP flottante.
D’autre part on peut introduire des écotaxes sur l’avion et la route, dont le produit serait affecté au rail. La Suisse en fournit la preuve : grâce à la RPLP (taxe poids lourds), ce petit pays a pu financer deux grands tunnels ferroviaires alpins (Loetschberg et Gothard), quand deux grands pays comme la France et l’Italie, aidés par l’Union Européenne, ont du mal à en financer un seul…