Tribune —
La politique des petits gestes a échoué, il faut s’engager

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« Nous avons promis le changement dans le confort. Cette promesse n’est plus tenable ».
David Suzuki est le Hulot canadien. Dans ce texte majeur, le directeur de sa fondation prend position pour que les défenseurs de l’environnement s’engagent plus radicalement.
Dans une entrevue publiée en une du magazine MacLean’s le 15 novembre dernier, David Suzuki affirme que l’environnementalisme a échoué. Ce constat déchirant d’un homme de 77 ans qui a consacré sa vie à la cause environnementale survient alors que le mouvement environnemental, qui célèbrera bientôt son cinquantenaire, est en profonde réflexion sur la stratégie à adopter devant l’imminence d’un effondrement de la biosphère. En d’autres mots : que faire pour ne pas assister impuissants à la destruction des systèmes qui assurent la vie sur Terre ?
L’auteure et militante Naomi Klein a lancé un pavé dans la mare il y a quelques semaines dans un texte intitulé : « Comment la science nous dit de nous révolter ». Dans ce texte, Klein explique que de nombreux scientifiques, confrontés aux résultats, aux signaux d’alarme de la science et à l’inertie de nos institutions devant des enjeux d’une telle envergure, ressentent l’obligation morale de prendre part à des actions militantes. C’est ainsi que James Hansen, ancien chercheur de la NASA et l’un des fondateurs de la climatologie moderne, s’est fait arrêter six fois pour des gestes de désobéissance civile.
Naomi Klein reprend l’argument d’un chercheur, Brad Werner, qui affirme que le seul espoir qu’il nous reste est de ralentir notre système économique en créant de la « friction » par des actions militantes.
Cet argument n’est pas sans rappeler les conclusions du Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) qui indique que les orientations prises en ce moment constituent le principal facteur qui déterminera les scénarios optimistes ou pessimistes du réchauffement climatique. Les scientifiques du GIEC nous renvoient à notre responsabilité. Les décisions prises aujourd’hui verrouillent notre engagement dans un système qui assure notre destruction. Le choix d’agir ou non est dans nos mains.
Nous ne pouvons plus attendre, il faut prendre l’initiative
Le 11 novembre dernier, à l’ouverture de la Conférence des Nations-Unies sur le climat, le délégué philippin Naderev Sano a annoncé dans son discours en plénière qu’il entamait un jeûne volontaire en solidarité avec le peuple des Philippines durement frappé par le typhon le plus puissant à jamais avoir touché terre. Sano a déclaré : « Ce que mon pays traverse est une folie. La crise climatique est une folie. Nous devons arrêter cette folie », soulevant une ovation debout de la part des diplomates réunis à Varsovie.
Mais devant l’imminence de l’effondrement irréversible de la biosphère, les appels à l’indignation ne suffisent plus. C’est pourquoi un nombre croissant de citoyens et de militants prennent courageusement la responsabilité de poser des gestes de désobéissance civile pacifique. Comme ces 30 militants de Greenpeace emprisonnés en Russie parce qu’ils ont voulu alerter l’opinion publique internationale sur l’exploration pétrolière dans l’Arctique. Comme Tim DeChristopher, un écologiste américain opposé au développement pétrolier et gazier en Utah qui a été condamné en janvier 2011 à deux ans de prison pour avoir placé de fausses offres lors d’une mise aux enchères de droits d’exploration pétroliers et gaziers.
La répression s’accentue contre les militants écologistes qui se font emprisonner à travers le monde pour fraude, piraterie et hooliganisme alors que personne n’a encore été mis en prison pour la catastrophe du golfe du Mexique, pour les nombreux déversements d’oléoducs ou les 47 morts de Lac-Mégantic [en août 2013, un grave accident de transport de pétrole s’est produit dans cette ville québecoise. Et que dire du Canada qui a mis sur enquête 900 groupes environnementaux au cours des deux dernières années, mais qui a jugé trop coûteux d’inspecter les trains de la mort qui]roulent encore dans nos villes !
Le mouvement environnemental a fait preuve d’une résilience remarquable devant les attaques et la répression au cours de la dernière décennie. Mais il est temps de relever la tête, et de nous faire respecter. Le mouvement écologiste est issu du mouvement pacifiste et antinucléaire dont il a hérité sa mission fondatrice : sauver l’humanité de sa propre folie destructrice. Si les James Hansen de ce monde marchent dans les pas d’Einstein et Oppenheimer, si des écologistes sont victimes de répression à travers le monde, c’est que la lutte prend un autre tournant.

- Le climatologue James Hansen interpellé par la police en août 2011 alors qu’il protestait contre le projet d’oléoduc Keystone XL -
Des diplomates, des scientifiques et un nombre croissant de citoyens sont prêts à s’engager dans un effort de mobilisation dans lequel chaque personne est à la fois un grain de sable dans l’engrenage, mais aussi la graine d’un changement porteur d’espoir. Il faut semer le changement, et ceci ne peut être fait qu’en mobilisant une large coalition citoyenne qui opposera un véritable rapport de force aux intérêts d’une minorité qui s’est accaparé le pouvoir de blocage sur toute décision favorisant une économie sociale et écologique.
Nous sommes tombés dans le piège de conforter les citoyens dans l’idée que les changements nécessaires pourraient se faire par de petits gestes individuels et par des solutions technologiques plutôt que par des décisions collectives. Nous avons promis le changement dans le confort. Cette promesse n’est plus possible. Mais des millions de personnes dans le monde attendent le signal pour recommencer à bâtir le monde auquel ils aspirent, et non celui dicté par un système économique sur lequel plus personne n’a de contrôle.
Le mouvement environnemental ne peut plus être une coalition d’activistes spécialisés. Il doit se transformer en mouvement citoyen organisé de défense des droits civiques des prochaines générations. Il ne peut plus s’épuiser dans mille batailles, mais choisir celles qui sont porteuses de véritable changement. Nous devons parler de décroissance, parler de justice. Nous devons enseigner à nos enfants que la vie est sacrée. Nous devons convaincre les citoyens que le pouvoir de décider est dans leurs mains. Il faut leur faire confiance et leur dire les choses telles qu’elles sont. Le temps du confort est révolu. Nous n’avons plus cinquante ans devant nous. Nous en avons dix, quinze, peut-être moins.
Nous avons la responsabilité morale de faire valoir notre droit à un environnement sain, et celui des prochaines générations.
L’environnementalisme n’est pas mort. Mais il doit reculer pour mieux sauter.