Tribune —
La société nucléaire
J’ai regardé le film publicitaire d’Areva, qui sera diffusé sur vos télévisions - si vous en avez encore une, nul n’est parfait - à partir du 15 janvier. Soixante et une secondes d’un film très bien réalisé, qui caricature sous forme d’un dessin animé au graphisme réaliste l’histoire de l’énergie : le vent pousse les voiliers de l’Egypte antique, l’eau meut les moulins du Moyen Age, le charbon anime la révolution industrielle, le pétrole propulse la société dans l’âge automobile, le nucléaire - associé aux énergies solaire et éolienne - incarne le monde présent symbolisé par un conglomérat d’immeubles en bord de mer, au sommet de l’un desquels des gens dansent dans une ambiance de discothèque.
Au premier abord, cette scène paraît agréable, composée d’images léchées, de danse nonchalante au bord de l’eau, d’usines propres et sans pollution. Mais c’est une société particulière que nous montre le plan final où s’illustre la vision du monde d’Areva et de ses publicitaires : dans une ville géante, des groupes limités s’agitent entre eux loin de ce qui fait la trame de la société - les gens, la rue, la campagne, les conflits, les arbres. Alors que dans les plans illustrant les autres époques, l’on voyait les gens ensemble, au travail, au marché, dans les rues, le monde d’Areva isole les communautés qui vivent séparées les unes des autres.
Le film, par ailleurs, ignore les inconvénients de l’énergie nucléaire : déchets, accident, prolifération... Mais l’idée même qu’il porte est problématique, en laissant croire que l’énergie nucléaire est au coeur du système énergétique moderne, comme l’avaient été en leur temps l’eau ou le charbon. En fait, l’atome ne représente que 6 % de la production mondiale d’énergie. Et depuis trois ans, la capacité nucléaire mondiale (371 gigawatts) a même reculé. Si 2 010 marque une reprise, avec 57 réacteurs en cours de construction, la donne ne devrait pas significativement changer, compte tenu du retrait de réacteurs anciens et de la poussée d’autres énergies.
Troisième message implicite du film : l’énergie est d’abord un enjeu de production. Et la seule question, technique, serait celle du choix de la meilleure source. C’est oublier que le gisement le plus économique et le plus écologique d’énergie se trouve, chez les pays riches, dans les économies d’énergie. Mais y recourir mettrait en cause les intérêts du nucléaire.
Un chiffre pour la fin : Areva va débourser 16 millions d’euros pour sa campagne publicitaire. Autant que ce que les candidats à l’élection présidentielle étaient autorisés à dépenser avant le premier tour pour leur campagne en 2007.