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La transformation des algues vertes en aliment fait débat en Bretagne

Que faire des milliers de tonnes qui polluent les plages bretonnes ? Les transformer en compléments alimentaires pour le bétail, affirme la société Ulvans. Mais son procédé est contesté par les écologistes et des paysans : ils craignent que le remède conduise à ne plus se soucier de la cause des marées vertes.


-  Rennes, correspondance

Au moment où l’on ne sait plus quoi faire des algues vertes, où l’on promeut la revalorisation des déchets, le consortium d’entreprises Ulvans tombe à pic. Il réunit quatre entreprises bretonnes qui transforment ces encombrantes plantes aquatiques en compléments alimentaires utilisés dans les élevages gros consommateurs d’antibiotiques, en France et ailleurs.

Olmix est le chef de file du projet lancé en 2012 avec deux de ses filiales, Melspring (nutrition végétale) et Amadéite (alimentation animale), accompagnées par deux autres entreprises bretonnes, la Sica (stockage et valorisation des algues) et PRP (engrais naturels) ainsi que l’université Bretagne sud et le CNRS de Mulhouse.

A la tête du consortium se trouve Hervé Balusson, PDG du groupe Olmix, implanté au cœur de la Bretagne, à Bréhan dans le Morbihan. « Il y a dix plages en Bretagne qui ont un souci avec les algues vertes. On met nos bateaux sur les côtes, on les pompe et le problème est réglé. »

A cause des nitrates issus de l’agriculture intensive, ces algues poussent plus vite, en plus grande quantité et sont enrichies en magnésium et calcium, des composants essentiels dans la fabrication des produits alimentaires d’Ulvans. Ils se vendent sous forme d’onguents, un mélange de concentré d’algues vertes avec de l’argile, ou de comprimés à diluer dans l’eau et la nourriture.

Ces compléments alimentaires renforcent le système immunitaire, digestif et reproductif des animaux d’élevage limitant ainsi l’usage des antibiotiques. Une opération gagnant-gagnant : le ramassage des salades de mer ne pèse plus sur le porte-monnaie des communes, Ulvans s’en charge et en fait sa matière première. Le potentiel d’exploitation est immense.

« Le marché est mondial. Partout où il y a des algues et des éleveurs, on peut être présent. » Hervé Balusson est sûr de lui, les pouvoirs publics le soutiennent. La Banque publique d’investissement aligne presque onze millions d’euros, les industriels quinze millions pour que le consortium se développe à travers le monde. Olmix est présent en Russie, au Brésil ou encore en Chine, à Qingdao, un littoral recouvert l’été dernier d’une marée verte sur 29 000km2 de côtes. Le potentiel est énorme mais le projet ne fait pas l’unanimité.

Transformer la pollution en ressource

« C’est un projet anti-écologique car leurs engins de ramassage écrasent les coquillages et les larves », estime Alain Madec. Il récolte à la main des algues brunes et rouges dans le Finistère Nord, il est aussi membre de l’association Eaux et rivières de Bretagne. Le parc naturel marin Iroise confirme dans une étude d’impact que 30 % des tellines, des petits poissons, sont tués pendant le ramassage.

- Cet alambic fait tourner et chauffer la boule remplie d’algues vertes pour extraire du concentré -

Thierry Thomas de la Confédération paysanne dans les Côtes d’Armor, un des départements les plus touchés par les marées vertes, va plus loin : « Olmix, c’est le symbole de ce qu’il ne faut pas faire. On fait de la pollution une ressource, c’est-à-dire qu’on cautionne la pollution aux nitrates. On pourrait finir par considérer qu’il n’y a plus de problème, vu qu’une activité économique est basée sur des déchets. Mais que se passera-t-il si un jour il n’y a plus d’algues vertes ? Le consortium Ulvans risque de faire un chantage à l’emploi ».

Un argument que n’admet pas le PDG d’Olmix : « S’il n’y a plus de marées vertes, on les cultivera » sous serre dans des piscines couvertes ou en mer. Il affirme en fait participer à la réduction des marées vertes. Il transforme les laitues de mer en substitut aux antibiotiques dont sont abreuvés les animaux d’élevage. Il contribue au bien-être animal dans l’élevage intensif. « Il faut arrêter avec les algues vertes, on a pris ce sujet par le mauvais bout ; aujourd’hui, la Bretagne doit avancer dans un sens positif, les algues peuvent devenir une véritable filière industrielle. »

Pour Thierry Thomas, de la Confédération paysanne, revaloriser ces algues n’est pas la solution. « Le vrai problème est qu’il y a trop de bêtes sur une surface trop petite. »


L’OPPOSITION A LA DIRECTIVE NITRATES

L’Europe souhaite limiter depuis 1991 l’apport de nitrates dans les cours d’eau, présents essentiellement dans les engrais agricoles et les déjections animales. Cela signifie changer les habitudes dans les élevages intensifs. Bruxelles a condamné la France en juin dernier pour ne pas avoir suffisamment agi contre la pollution aux nitrates.

La France a tenté de rectifier le tir avec la publication d’un décret mi-août. Pas de quoi satisfaire la Cour de justice de l’Union européenne qui demande une nouvelle condamnation dans son rapport de la mi-janvier.

La directive nitrates consiste à surveiller les cours d’eau, à définir des « zones vulnérables » où les taux de nitrates dépassent les 50 milligrammes par litre et à encadrer les pratiques agricoles afin de limiter la quantité de nitrates épandus. En France, près de 20 000 communes seraient concernées.

La FNSEA, premier syndicat agricole, considère cette réglementation comme trop contraignante. Elle vient de déposer un recours contre le découpage de ces zones vulnérables.

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