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Le réacteur n°3 est-il à l’air ?

La possibilité d’une « mise à l’air » du coeur du réacteur, avec relargage directement dans l’air des produits de fission, est une hypothèse très vraisemblable.


Sur cette photo de la centrale de FUKUSHIMA, on peut voir le bâtiment de l’unité n°1 qui a totalement perdu son toit (lors de la première explosion du samedi 12 mars), à comparer au bâtiment n°2 à sa droite quasiment intact.

Mais l’important dans cette photo, c’est l’unité n°3 surmontée de deux panaches, après avoir subi une explosion de beaucoup plus grande ampleur (lundi 14 mars). Ces deux panaches correspondent à de la fumée s’échappant de la PISCINE et du REACTEUR. Cette photo conforte les hypothèses émises ci-dessous et qui indiquent la possibilité d’une "mise à l’air" du coeur du réacteur, avec relargage directement dans l’air des produits de fission.

Lundi 21 mars. 18H. Nous voulons ici poser solennellement la question : où en est vraiment le cœur du réacteur n°3 de la centrale de Fukushima chargé de combustible MOX (mélange uranium-plutonium) ? Serait-il, si ce n’est « à nu » [autrement dit sorti de sa cuve – celle-ci s’étant largement fissurée, par exemple] du moins en contact direct avec l’air ? Nous mentirait-on depuis plusieurs jours en affirmant que l’enceinte du réacteur « semble » toujours étanche. Et qu’au contraire, les fumées que l’on n’a cessé de voir se dégager puis disparaître, puis revenir au-dessus de ce réacteur, sont en train de relarguer quasi en continu dans l’atmosphère des produits de fission – dont du plutonium, issus d’un cœur largement dégradé (peut-être à 100%) ? Ou encore, pour le dire autrement, qu’à Fukushima a déjà eu lieu ce qu’on peut appeler l’accident majeur, au même niveau 7 (voire plus) de l’échelle INES que Tchernobyl ? Mais que personne n’ose le dire ! C’est une accusation grave, il y aurait donc eu relâchement dans l’atmosphère d’éléments radioactifs très dangereux en bien plus grande quantité et à un tout autre niveau que tout ce que les annonces de ces derniers jours laissent à penser. Et cela expliquerait aussi pourquoi, aujourd’hui, il a fallu évacuer la centrale pour cause de radiations bien trop fortes pour les travailleurs !

Voici pourquoi nous posons la question : souvenons-nous, le lundi 14 mars a lieu une explosion (à 11h01 heure japonaise) que nous avons tous pu voir sur nos écrans télé. Explosion bien différente de la première, sur le réacteur n°1, où de gros nuages blancs partis en tous sens traduisaient la simple destruction violente du toit du bâtiment réacteur. L’explosion du 14 mars sur l’unité n°3 s’est faite violemment et verticalement, emportant manifestement toutes sortes de débris – d’où sa couleur gris-noir. On a compris depuis que sa puissance avait été telle qu’une dalle anti-missile, située à la verticale de la cuve, avait été soulevée (l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire français l’évoque dans son point d’hier matin (1)). On a évoqué, bien sûr, une explosion hydrogène (voir blogs précédents (2)). Mais nous nous posons d’autres questions aujourd’hui, pour essayer de mieux cerner le niveau de dangerosité de ce réacteur n°3, en ce moment même.

Pour comprendre ce questionnement, force est de regarder attentivement le schéma en coupe du réacteur BWR, que chacun peut trouver sur le site de l’AIEA (agence internationale pour l’énergie atomique) (3). Il faut se pencher sur cette image et essayer d’en décoder les méandres. Un exercice utile pour comprendre pourquoi le cœur pourrait finalement être « à l’air »… et donc extrêmement dangereux. Car, comme il a été estimé, notamment par l’IRSN, sur une photo visible sur Internet (4), « la protection biologique au-dessus de l’enceinte [a] disparu » - ce qui signifie, en clair, que tout relâchement se fait sans aucune espèce de filtre.

Hypothèse « optimiste » malheureusement peu probable. Regardez ce qui ressemble à une sorte de casque fin jaune, baptisé « steel containment vessel » ou enceinte de confinement en acier, juste au dessus de la cuve du réacteur (reactor vessel) qui a l’air d’un gros suppositoire noir. On peut imaginer que de l’hydrogène aurait pu s’accumuler entre ce « casque » d’acier (fixé à l’intérieur de l’enceinte par des gros boulons sur des sortes de surplombs) et l’enceinte de confinement en béton au-dessus. A noter : sur ce béton, on voit d’ailleurs dessiné un demi-cercle, sorte de « bouchon » qui peut sauter en cas de besoin. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé.

Deux remarques nous conduisent à abandonner cette hypothèse : d’abord on ne comprend pas comment l’hydrogène aurait pu s’infiltrer là-dedans, alors qu’il n’y a aucun tuyau ou espace qui y conduit. Ensuite, y aurait-il eu assez d’hydrogène accumulé pour faire sauter la fameuse « dalle anti-missile » ? Et comment aurait-il fait pour exploser là, alors qu’il a besoin d’oxygène ou d’une étincelle pour démarrer l’ignition et l’explosion. Nous aimerions savoir quelle doit être la puissance d’une explosion qui fait sauter une dalle anti-missile. Un expert pourrait certainement le préciser !

Hypothèse « pessimiste » qui est peut-être bien la bonne. L’hydrogène s’est accumulé ailleurs, dans l’enceinte de confinement baptisée « concrete shell dry-well » sur le graphique. Il aurait trouvé facilement « un point chaud » poussant à son explosion vers le bas de l’enceinte. Alors, dans cette enceinte en forme de « poire », plus renflée vers le bas, un flux ayant pris, en quelque sorte son élan pour remonter extrêmement violemment vers le haut (dans un goulet moins large qu’en bas) aurait brisé le confinement d’acier, puis le bouchon de béton du dessus. Il aurait emporté dans cette remontée des morceaux de béton mais aussi des bouts de métal… Des experts ne pourraient-ils analyser attentivement les images de cette explosion pour s’assurer qu’aucun morceau de métal ne peut y être distingué – [par exemple le « casque » jaune évoqué ci-dessus] ?

On ne peut imaginer que lors de cette explosion des problèmes collatéraux ne se soient pas développés. Par exemple des tuyaux ébranlés… Il doit exister des systèmes de valves qui, en principe, doivent fermer ces tuyaux s’ils venaient à être brisés ou ébranlés. Question : l’injection d’eau de mer et la cristallisation du sel n’aurait-elle pas empêché que ces systèmes de sécurité fonctionnent ?

On peut même se demander si ce n’est pas le bouchon de la cuve lui-même qui aurait pu sauter ? Et qu’il faudrait chercher sur les images. En clair, nous nous interrogeons : dans quel état est actuellement la cuve dans laquelle se trouve le combustible ? Fissurée, légèrement ouverte au niveau de certains tuyaux brisés, totalement ouverte ? Et donc en contact avec l’extérieur ?

Une fois cette hypothèse examinée, on voit que toute une série de questions se posent alors. Les relargages de radioactivité, visibles de façon comme « pulsées » sur les graphiques présentés par l’IRSN (5) ont-ils été volontaires ? Ces rejets étant, quand on regarde bien le graphique en échelle logarithmique, plus de 1000 fois plus intenses que ceux du réacteur n°1. Ou bien ont-ils correspondu, par exemple, aux dégagements de vapeur lorsque de l’eau a été envoyée sur l’unité, pour refroidir le réacteur MAIS AUSSI sa piscine qui pose toujours un problème majeur. Celle-ci, nous l’avons déjà dit (voir blog d’hier dimanche), ne doit pas perdre son eau sinon les relargages de radioactivité par les assemblages de combustible usé seront très forts. Le problème est celui de son étanchéité (peut-être dès après le séisme, et certainement depuis l’explosion dans le bâtiment).

A l’heure où de la radioactivité violente localement rayonne dans la centrale (évacuation rendue nécessaire ce lundi), nous apprécierions que les autorités françaises compétentes et connaisseuses du domaine – ASN, IRSN, AREVA, EDF… - répondent à nos questions. Car les réponses permettront de mieux comprendre quel air (et demain l’eau, les plantes, les animaux…) les Japonais respirent aujourd’hui et respireront demain. A Fukushima mais aussi à Ibaraki, Tokyo ou ailleurs…

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Notes :

1) http://www.irsn.fr/FR/Actualites_pr...

2) Ce gaz hautement explosif est issu des réactions entre des gaines de combustible (oxyde de zirconium) en train de fondre et la vapeur d’eau (H20), réaction très exothermique et productrice d’hydrogène.

3) http://www.iaea.org/newscenter/imag... : Image destinée à illustrer un propos ayant trait à la piscine du réacteur d’où la mise en avant du mot « spent fuel pool » (piscine de combustible usé)

4) http://www.irsn.fr/FR/Actualites_pr...

5) http://www.irsn.fr/FR/Actualites_pr...

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