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Tribune

Le système est entré dans un processus global de décomposition

La crise financière doit être reliée à la crise écologique, dont elle est un prolongement. Pour éviter le chaos social, nous devons changer les représentations collectives.

Décidément, les mauvaises nouvelles s’accumulent sur le front de l’économie comme de l’environnement. L’avenir radieux promis par les « trente glorieuses » n’est plus au rendez-vous. A la débâcle des pôles répond dorénavant celle de la finance internationale qui menace l’économie mondiale. Comme si un processus global de décomposition de notre système était en cours. Aucun commentateur n’a jusqu’à présent eu l’idée de faire le lien entre la crise économique et celle qui frappe les grands équilibres écologiques mondiaux, comme si les deux phénomènes étaient indépendants l’un de l’autre. Pourtant, leur concomitance n’est pas le fruit du hasard. La crise financière a été entraînée par un échafaudage mondial, complexe et instable, d’énormes dettes provoquées par une course à l’investissement venant du secteur bancaire, associées à une surconsommation des ménages font appel au crédit facile. Le bon sens, qui n’est pas toujours partagé par les milieux économiques, voulait qu’un jour ou l’autre tout cela s’effondre. La foi dans la durabilité d’une croissance sans limites interdisait toute forme d’alerte et dans l’euphorie ambiante, les esprits doutant de la pérennité d’un tel système ne pouvaient donc pas rendre publiques leurs inquiétudes.

A cette crise s’est greffée celle de l’envolée des prix de l’énergie et des matières premières et des ressources naturelles provoquée par la surconsommation provenant des nouveaux pays industriels. Or cette envolée n’est pas sans lien avec la problématique environnementale puisque c’est la récente prise de conscience collective du caractère limité de ces ressources qui en est à l’origine. Tout le monde sait que les prix s’envolent quand la ressource s’effondre, le cas actuel du cabillaud, jadis poisson du pauvre, le démontre concrètement, en attendant un jour peut-être le tour des sardines. De même, le boom immobilier de ces dernières années qui s’explique aussi par la rareté croissante du foncier, a considérablement aggravé le phénomène de l’étalement urbain grand consommateur d’espaces naturels (il en disparaît chaque année 50 000 hectares !). Le tout aggravé par une concurrence féroce et par un déferlement technologique sans boussole.

A vrai dire, ce qui est aujourd’hui en train de se passer illustre de manière dramatique l’aveuglement d’une société persuadée que l’humanité peut continuer à vivre avec un développement sans limites de ses activités économiques. Inévitablement, la croissance débouche alors un jour ou l’autre sur la récession, une fois ces limites franchies. Pas plus que les espaces naturels, l’espace économique n’est indéfiniment extensible. Nous sommes aujourd’hui à la veille de bouleversements considérables aux conséquences incalculables, tant sur le plan social, qu’économique et environnemental. Ces bouleversements sont en décalage complet avec les représentations politiques et économiques qui continuent à habiter les esprits de notre oligarchie. Ceci explique son désarroi actuel.

Sans parler du chaos social que va entraîner la récession dans une société qui n’imagine survivre que par la croissance, on peut s’interroger sur son impact environnemental qui est fondamentalement ambivalent. Car si les investissements publics et privés consacrés à la protection de l’environnement vont avoir à en souffrir, ceux aussi consacrés à sa destruction vont subir le même sort, ce qui lui sera bénéfique. D’un côté il y aura moins d’argent investi par exemple dans les grands projets d’infrastructures de transport ou les opérations immobilières sur le littoral, mais de l’autre il y en aura aussi moins pour l’isolation thermique des bâtiments, la création et la maintenance des stations d’épuration des eaux. Il faudra alors arbitrer entre différents besoins avec beaucoup moins de moyens financiers que par le passé.

Et si cet arbitrage continue à se faire au sein des entreprises comme des pouvoirs publics avec la mentalité qui a régné durant les trente glorieuses, ce sont les préoccupations du court terme qui une fois de plus vont l’emporter. Les conditions de la concurrence internationale vont être encore plus dures avec toutes les conséquences sociales et environnementales négatives que cela va entraîner. Il faudra pédaler encore plus vite que le concurrent pour avoir l’illusion de s’en sortir. Autrement dit, par un effet systémique, la crise va aggraver les contradictions d’un système sans avenir.

A moins que l’arbitrage ne se fasse en fonction d’autres représentations collectives que celles héritées du passé. Pierre Samuel, écologiste de la première heure, avait intitulé son ouvrage des années 70, L’Ecologie, détente ou cycle infernal. Nous nous trouvons, aujourd’hui, le dos au mur face à une situation que nous aurions dû anticiper depuis longtemps, à savoir celle représentée par les limites de la croissance que dans tous les domaines, social comme environnemental, nous avons outrepassé. Il nous faut désormais travailler d’arrache pied à déminer et à détendre cette machine infernale, non pas pour rendre illusoirement le développement durable mais pour aboutir à un équilibre durable entre non seulement l’homme et la nature mais également entre les hommes eux-mêmes. Mais tout cela n’ira pas sans ce renoncement à ces rêves de puissance et de richesse que seul un sursaut spirituel de la part de chacun de nous peut provoquer. Comme le veut le proverbe, il n’est jamais trop tard pour bien faire, surtout lorsque cela peut servir d’exemple aux générations à venir et aux peuples qui sont actuellement en proie à la fascination du développement. En toute hypothèse, les choix à faire pour l’avenir au plan individuel comme collectif seront durs à assumer.

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