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Les Indiens du Panama luttent contre un projet de barrage « écologique »

Au Panama, plusieurs villages d’amérindiens ngäbes devraient disparaître d’ici quelques mois sous les flots du barrage hydroélectrique Barro Blanco : en dépit des protestations, l’ONU et deux banques européennes soutiennent ce projet présenté comme écologique, mais qui viole les droits et le territoire de cette ethnie d’Amérique Centrale.


-  Kiad (Panama), reportage

La cacique Clementina Perez a la réputation d’être une « luchadora », ce genre de combattantes ne baissant pas les bras. Elle porte autour de sa longue chevelure noire un bandeau au blason de la religion Mama Tata pratiquée par les Ngäbes. Son large collier de perles tissées aux couleurs du Panama rajoute du panache à sa « nagua » verte, cette robe longue et ample qui est l’apanage des femmes de son ethnie. (La photo de tête est le portrait de Clementina Perez).

« Notre vie humaine est liée à celle de la nature et de l’eau. Mais le fleuve pleure, la terre pleure, les animaux pleurent, et personne ne veut les entenendre », lance-t-elle devant une assemblée réunie dans le village de Kiad, sous le toit de palmes du carbet servant d’école. Durant les quatre derniers jours de janvier, environ deux cent amérindiens y ont prié, débattu, chanté dans leur langue, en l’honneur de leur culture menacée.

Kiad et plusieurs villages du territoire de ces amérindiens devraient disparaître sous les eaux du fleuve Tabasara au printemps prochain si le Mouvement du 10 avril - l’organisation de protestation de ces indiens - ne parvient pas à faire cesser les travaux du barrage Barro Blanco.

C’est l’un des quatre-vingt « mini » projets hydroélectriques en cours de construction ou de validation dans l’ouest du Panama. Comme il est situé juste à la frontière d’un territoire administré par les indiens Ngäbes et Buglés, l’entreprise entend échapper à la législation spécifique qui régit leurs terres collectives.

Cependant, sur les 258 hectares qui seront pour sûr inondés, plus de six hectares empiéteront sur les terres amérindiennes, confirme une expertise du PNUD. « Des inondations pourraient apparaître en temps de crue », est-il envisagé. « Le pire est que l’ONU a agréé ce barrage en tant que « Mécanisme de Développement Propre » (MDP) et que cette entreprise qui va détruire nos villages, notre fleuve et sa forêt-galerie, va gagner beaucoup de crédits carbone ! », accuse Weni, une habitante de Kiad qui préside ce grand rassemblement dans une robe rose bonbon.

Elle est allée jusqu’en Allemagne parler au nom des Ngäbes dans sa plus belle nagua pour tenter de motiver le blocage des financements issus de banques européennes. La banque d’investissement hollandaise à capitaux publiques FMO et la banque allemande DEG du groupe financier KFW sont impliquées dans le plan de financement.

Si Barro Blanco a été agréé comme MDP, c’est parce que ce barrage est supposé réduire ou atténuer les émissions de CO2 qui auraient été engendrées par la génération d’autant d’énergie avec des hydrocarbures. Barro Blanco permettrait donc d’économiser des millions de dollars d’achat de carburant et de générer 300 emplois en phase initiale, puis 25 en phase opérationnelle, selon Aldo López, directeur de l’entreprise patronne du barrage, la Generadora del istmo SA (Genisa) à capitaux centre-américains.

En contradiction avec ce que disent les indiens, l’étude préliminaire à la validation du MDP vante les composants sociaux du projet. Genisa s’engage à proposer aux communautés concernées des « transferts de technologie », du travail et des formations en maçonnerie, des « nouvelles aires de loisirs », des programmes d’éducation à la gestion écologique des ressources, alors que les Ngäbes concernés vivent en quasi autonomie dans des huttes végétales, sans électricité, de cultures biologiques pratiquées selon un système de rotation et de friches qui a justement permis de préserver la nature.

- Cérémonie traditionnelle aux pétroglyphes sacrés du fleuve Tabasara -

Genisa dresse une liste d’aides économiques déjà accordées aux populations riveraines qui semblent étonnement ridicule comparées aux 120 millions de dollars d’investissements que représente la construction du barrage : deux ventilateurs et un panneau en formica à des écoles du coin, l’installation d’une lumière électrique dans une maison de retraite... « Le projet ne serait pas très attractif financièrement sans l’agrément MDP » qui permettra de vendre des crédits carbone, reconnaît par ailleurs le document.

Du haut de la montagne qui surplombe Kiad, au-delà des huttes en palmes et des pentes où poussent les bananes, le maïs, les haricots et le manioc, on aperçoit les hauts murs de béton du barrage qui s’élèvent un peu plus chaque jour. Ses parois grises tranchant avec le vert de la forêt et des friches sont les portes d’un enfer pour Manolo Miranda.

- Manolo Miranda lit le livre saint de la religion Mama Tata qu’il a lui même rédigé à la main avec les lettres qu’il a inventées il y a 42 ans. -

Ce grand-père d’une famille nombreuse résidant à Kiad a reçu un avis d’expropriation en septembre. On le lui a amené à pied, après deux heures de marche, par le sentier qui longe le fleuve à partir de la piste qu’emprunte quatre fois par jour une camionnette tout terrain toujours bondée d’indiens.

La date avant laquelle il pouvait contester était déjà dépassée : « Nous ne quitterons pas nos terres ! Nous sommes en territoire indigène ! Cette expropriation est illégale ! Dieu nous aidera ! », martèle-t-il face à l’assemblée dans l’école où il a lui même taillé les chaises et les tables dans du bois massif à la hache.

Les Ngäbes ont porté plainte en Cour constitutionnelle contre ces avis d’expropriation : ils violent la loi qui a créé leur territoire collectif en 1997. Elle stipule en effet qu’on ne peut privatiser ou aliéner leurs terres. Ils contestent aussi l’étude d’impacts environnementaux du barrage jugée bâclée et mensongère. Mais la sentence tarde comme par hasard à tomber.

-  Le deuxième volet du reportage sera publié lundi


Note :

Disposition du protocole de Kyoto, le Mécanisme de Développement Propre donne l’opportunité aux pays industrialisés et à leurs entreprises de financer des projets « propres » (énergies renouvelables etc...) dans des pays du sud et d’obtenir en contre-partie des crédits d’émission de carbone.

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