Tribune —
Les chrétiens contre la démesure
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« CPP est convaincu que le message du Christ est consubstantiel de cette recherche d’équilibre et que le »bien vivre« de tous, et particulièrement des plus pauvres, passe par cet harmonieux équilibre et donc par la sortie du productivisme et du consumérisme destructeurs. »
L’association « Chrétiens et pic de pétrole » est un groupe d’étude créé en 2008 à Lyon, qui s’interroge sur la démesure, le refus de toute limite, qui a envahi l’imaginaire occidental.
Son objectif est, d’une part, de s’appuyer avec rigueur sur les résultats des
recherches scientifiques et anthropologiques et, d’autre part, de rechercher
dans les sources chrétiennes et ses développements théologiques les valeurs universelles dans lesquelles il sera possible d’aller puiser, individuellement et
collectivement, pour affronter les crises où nous sommes engagés et prévenir celles qui peuvent l’être.
L’association a organisé deux colloques qui ont réuni plusieurs centaines
de personnes à Lyon en 2009 et 2011, et anime un laboratoire d’étude en
partenariat avec l’Espace Saint-Ignace à Lyon.
Chrétiens et pic de pétrole,
objecteurs du sans limites !
À l’origine de Chrétiens et pic de pétrole (CPP), il y a ce constat, simple mais ignoré voire refusé, par le système dominant : il ne peut y avoir de croissance infinie dans un monde fini [1]. Alimentant et croisant cette évidence, qui fait des membres de CPP des « objecteurs de croissance », un autre constat renforce l’originalité et la posture de notre association :
Alors que nous ne pouvons nier que l’Eglise [2] peine à remettre en cause ce système dominant, de nombreuses actions qui se réclament du message de la “Bonne Nouvelle” (de nombreux "phares" pour reprendre la très juste image d’Ellul), modifient profondément ce positionnement conservateur de l’Eglise.
En remettant en cause ce système qui génère la domination d’une minorité d’Hommes sur tous les autres et détruit irrémédiablement la planète pour leur seul profit, ces “mobilisations dans les pas du Christ” démontrent que la Bible est toujours vivante, toujours au service des
pauvres.
Les deux colloques et les laboratoires organisés depuis 4 ans par CPP ont ainsi positionné l’association au croisement de trois principes d’équilibre, galvaudés par le développement durable et la croissance verte : la cohésion sociale, l’économie au service de l’homme et la préservation de la planète. CPP est convaincu que le message du Christ est consubstantiel de cette recherche d’équilibre et que le "bien vivre" de tous, et particulièrement des plus pauvres, passe par cet harmonieux équilibre et donc par la sortie du productivisme et du consumérisme destructeurs.
CPP puise une partie de ses positions chez Emmanuel Mounier, Jacques Ellul, Antoine Chevrier ou dans les théologies de la Libération en Amérique Latine. Par ailleurs la lecture pastorale de la Bible nous demande d’être humbles pour être attentifs au regard de l’Autre et de mettre nos pas au rythme de ceux des plus faibles et
pauvres d’entre nous.
CPP revendique aussi sa proximité avec ceux qui luttent contre ce système dans les
mouvements populaires - dedans ou en dehors de l’Eglise - qui ont ébranlé, et continuent à ébranler, l’ordre dominant.
La révélation chrétienne contient tous les éléments nécessaires que les membres des
Eglises devraient mettre en oeuvre. CPP s’engage sur cette voie, analysant les diverses situations historiques d’infidélité au message fondamental du Christ, et est convaincu que le
chemin sur les pas du Christ doit nous permettre de passer d’une société de la compétition
destructrice à celle de la coopération heureuse, basée sur les valeurs de solidarité et de
fraternité.
CPP est convaincu que chez chaque chrétien persiste une foi qui peut lui permettre de comprendre que, dans la crise sociale, économique, politique et environnementale que nous subissons depuis 60 ans, il peut être appelé à jouer un rôle sociétal majeur tout en étant pleinement chrétien, et pas uniquement à l’intérieur de l’Eglise mais dans sa relation au
monde.
CPP puise aussi son positionnement dans un refus du productivisme et de l’« extractivisme » [3], infinis qui desservent l’Homme et détruisent la planète. La capacité à consommer ne peut être l’alpha et l’oméga de la réussite sociale. Alors que l’idée d’un progrès permanent et d’un
développement constant montre sa totale incohérence, CPP est convaincu que le "plus de liens et moins de biens" doit permettre à l’Humanité de ne plus être sous l’unique influence de l’Argent, de bien vivre et de préserver la planète pour les générations futures.
La nécessaire conversion des habitants les plus riches de la Terre vers des modes de vie sobres répond à l’universel appel à une vie simple selon la pauvreté évangélique qui n’est pas misère, laquelle est à combattre.
CPP est enfin convaincue que nous devons remettre en cause la « foi » aveugle en la technoscience qui empêche - par sa complexité et parce qu’elle est entre les mains d’experts
peu partageux - l’émancipation de l’Homme et l’enferme, volontairement, dans un abrutissant « produis, consomme et tais toi ».
La prépondérance de l’usage sur le mésusage, de la simplicité sur la complexité, du
partage sur la compétition, des relations non marchandes sur le profit est la condition
absolument nécessaire tant pour fonder un nouveau projet politique libéré de la compétitivité,
de la spéculation et du profit que pour donner un sens chrétien à notre passage sur Terre et sa
transmission aux générations futures.
CCP souhaite donc continuer à mener cette réflexion fondamentale qui concerne tous les
secteurs de recherche, convaincu que la confrontation d’idées venues du socialisme, de l’écologie et du christianisme ouvrira de nouveaux champs du possible jusque-là barrés par
des positions idéologiques indépassables dans le système actuel.
CPP se veut élément déclencheur de mises en oeuvre concrètes à partir de nos options intellectuelles. C’est, finalement, en rejoignant les associations, les regroupements, les
réseaux, les syndicats, les partis politiques, que les actions possibles envisagées trouvent leur
concrétisation. Pour cet indispensable travail de discernement, il importe que des petits groupes d’études
continuent à se réunir régulièrement sous forme de laboratoire.
Un troisième colloque est prévu pour 2014, et cette position au carrefour d’un nouvel
écosocialisme et du message du Christ pour inventer un paradigme sociétal pourrait être le fil
rouge tant du colloque que de laboratoires qui le prépareront.
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Notes
1- Voir la présentation du colloque de 2011 : Capitalisme, productivisme, croissance ou développement (fût-il durable) participent d’une même logique, celle du « sans limites » qui est au coeur des crises dans lesquelles s’enfonce nôtre société. Or, le refus du sans limites matérialiste n’est-il pas au coeur de la doctrine chrétienne ?
2- Par Eglise, nous entendons les organisations ecclésiales visibles tant romaines (grecques ou latines que réformées et issues de la réforme).
3- "Par extractivisme, nous entendons le fait de s’approprier des biens communs, directement ou indirectement, pour les transformer en marchandises. Il s’agit d’une phase
différente du modèle néolibéral, après la première phase de privatisations, libéralisation commerciale et financière et dérèglementation du travail. Elle est partie intégrante du
processus de financiarisation de l’économie puisque nous pouvons considérer l’extractivisme
comme un processus plus spéculatif que productif : les investissements sont minimes et le
rendement du capital est aussi rapide que dans le système financier ». (Extraction des
ressources naturelles : du pain aujourd’hui, des incertitudes demain, par Raúl Zibechi)