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Tribune

Les mensonges de la « croissance verte »


Après l’oxymore du « développement durable », nous voilà arrivés dans ce que le déni collectif de la crise écologique peut produire de pire, à savoir la « croissance verte ».

Car suite à l’effondrement en cours des économies occidentales depuis 2008, au lieu de se poser des questions de fond sur ce qui nous a mené là et la manière d’y répondre, notre oligarchie éclairée n’a rien trouvé de mieux que foncer la tête dans le guidon sur les rails qui nous y ont mené, mais en ayant recours à une nouvelle rhétorique qui est celle de la « croissance verte ».

Car depuis l’épisode éphémère du « Grenelle de l’Environnement », une idée, qui pourtant n’a rien de nouveau, a surgi dans l’espace médiatique consacré à la crise économique, à savoir que cette dernière pouvait constituer une opportunité pour relancer une croissance en berne.

D’où le succès de cette nouvelle expression destinée aussi à répondre aux oiseaux de malheurs estimant que la cause structurelle de la catastrophe écologique en cours se trouvait dans la croissance économique et technique ignorante des limites de la terre [1] comme de celles liées intimement à la conditions humaines.

Les illustrations de cette absurdité se rencontrent dans à peu près tous les domaines de la gestion officielle du désastre en cours, mais j’en retiendrai trois à titre pédagogique.

Des énergies renouvelables mais à échelle industrielle

En matière énergétique tout d’abord, il faut rappeler que le mouvement écologique à ses débuts a fait la promotion des énergies renouvelables et décentralisées face au nucléaire et aux énergies fossiles, mais à une échelle communale, artisanale et familiale.

Or aujourd’hui, il s’agit d’alimenter le système industriel dans son ensemble avec ce type de technologie pour répondre aux besoins énergétiques actuels et futurs, sans poser comme priorité la réduction drastique de notre consommation d’énergie engendrée par notre mode de vie. Autrement dit, c’est le recours à la technique qui va nous permettre de sauvegarder ce dernier sans que ce dernier ne soit remis en question !

De cet aveuglement initial sont nés les conflits environnementaux locaux engendrés par la prolifération actuelle des installations d’éoliennes et de centrales photovoltaïques. Car, indépendamment de l’une ou de l’autre de ces techniques alternatives, dont il faut bien sûr souligner les inconvénients écologiques sans commune mesure par rapport au nucléaire, il s’agit aujourd’hui d’alimenter le réseau électrique national mais nullement de mener à bien des projets décentralisateurs de production et de distribution d’énergie électrique.

Pour les entreprises promotrices de ce genre de projet et les propriétaires des terrains concernés, le prix de vente du courant produit à EDF constitue alors une opportunité spéculative intéressante.

Par ailleurs, comme cela a été très tôt le cas avec les barrages hydroélectriques, ces technologies n’ont pas un impact mineur sur l’environnement et ceci en raison de leur dimension industrielle. Les éoliennes par exemple peuvent monter jusqu’à plus de 150 mètres de haut pour trouver suffisamment de vent, ce qui n’a rien à voir avec le pylônes électriques auxquels elles se surajoutent.

Delà un impact paysager important portant atteinte au cadre de vie des populations, sans compter les conséquences négatives sur les couloirs de migration de l’avifaune. C’est ainsi que dans le Sud Gironde, ces projets d’implantation sont contestés par les chasseurs de palombe et par les ornithologues à la Pointe de Graves.

Ici encore, ce n’est pas le choix technologique qui est en cause mais sa taille, car une politique intelligente de décentralisation de production et de distribution d’énergie axée sur l’autonomie énergétique locale devrait privilégier la multiplication de petites éoliennes dans les zones exposées au vent comme sur le littoral. Small is beautiful, comme disait il y a quarante ans E.F. Schumacher ! [2]

En ce qui concerne les centrales photovoltaïques, déjà installées ou en cours d’installation en Aquitaine, les inconvénients sont différents. La taille de ces centrales fait que la superficie d’installation peut atteindre plusieurs centaines d’hectares.

Mais surtout, le principal inconvénient réside dans le fait que ces centrales sont presque toujours installées sur des espaces naturels parfois déboisés ou des terres agricoles, contribuant ainsi à étendre un peu plus les superficies artificialisées.

Or l’incontestable intérêt écologique de ce type de projet du point de vue de l’autonomie énergétique locale devrait inciter les autorités chargées de l’urbanisme à privilégier les superficies déjà artificialisées, telles que les grandes surfaces commerciales ou les parkings comme cela a été fait à Bordeaux Lac en permettant un usage local de l’énergie produite, ce qui n’est pas le cas dans les espaces naturels à moins d’avoir recours à la mise en place de réseaux de distribution.

Le recours aux énergies renouvelables tel qu’il est pratiqué aujourd’hui s’inscrit donc dans la logique de la croissance du système industriel et ne peut donc constituer une alternative crédible à la crise environnementale.

La gestion des déchets

Il en va de même avec les réponses officielles données actuellement à l’échelle européenne et nationale à la question des déchets produits par le système économique. En matière de gestion des déchets, les textes européens comme nationaux donne une claire priorité à la réduction des quantités de déchets produites à la source, autrement dit, au stade de la production industrielle de déchets.

Ces dispositions n’ont jamais été accompagnées de mesures d’application par nos ministres successifs en charge de l’environnement. On peut citer à ce propos le cas des emballages qui n’ont jamais fait l’objet de mesure d’interdiction quand ils s’avéraient inutiles.

Au lieu de cela, ont été privilégiées les solutions du recyclage et de l’incinération qui ont l’inconvénient de produire à leur tour des déchets dits ultimes qu’il s’agit alors de mettre en décharge.

Au final, on a un système de gestion des déchets extrêmement lourd et particulièrement onéreux qui s’impose aux collectivités territoriales chargées d’en assurer la responsabilité alors qu’une politique européenne de réduction des quantités de déchets mis sur le marché résoudrait en grande partie la question.

Or cette situation est aujourd’hui encore aggravée par les quantités astronomiques de déchets électroniques résultant de l’usage massif des téléphones portables causé par l’expansion d’un nouveau secteur industriel partout dans le monde.

"Sauvegarde" de la biodiversité

Le dernier exemple de cette politique de « croissance verte » concerne le domaine de la sauvegarde de la biodiversité. Depuis la loi de Grenelle II de 2010, toute opération d’aménagement portant atteinte au milieu naturel, et Dieu sait si elles sont encore nombreuses malgré la crise économique, doit s’accompagner de compensations sous forme d’achats d’espaces naturels, de replantations ou de réintroduction d’espèces menacées par la destruction de leurs habitats.

Ce mécanisme administratif acté par la loi doit intervenir en matière d’implantation de grandes infrastructures de transport (autoroutes, LGV) et de grandes zones d’activités faisant l’objet d’autorisations préalables. Il s’avère d’autant plus indispensable que ces chantiers souvent pharaoniques s’accompagnent toujours de destruction d’espèces protégées exigeant l’obtention de dérogations accordées par les autorités administratives au maître d’ouvrage.

La gestion de ces destructions/compensations fait d’ailleurs appel des directives ministérielles [3]. Or il est évident, que cette politique de compensation constitue un simulacre destiné à résoudre au plan rhétorique la contradiction insurmontable existant entre protection et aménagement.

La vérité est que compensation à la destruction d’un habitat il y aurait si, par exemple, un parking de supermarché pouvait être transformé en zone humide ou en mare à batraciens, suite à un travail important de génie écologique ! C’est ainsi qu’en Aquitaine aujourd’hui, des chantiers comme ceux de l’A65 Langon/Pau ou la LGV Tours/Bordeaux font l’objets de nombreuses opérations dites de compensation constituant autant d’alibis à des destructions irréversibles de biotopes.

Autrement dit, tout continue comme avant le Grenelle, mais avec une pollution mentale en plus représentée par les faux semblant d’une politique écologique.

Comme le développement durable, la croissance verte ne constitue donc qu’une figure rhétorique destinée à mystifier l’opinion à propos d’entreprises qui ne font qu’alimenter un peu plus les ravages planétaires d’une société dont l’homme sera un jour la victime finale.

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Notes

[1] Denis Meadows : dernier rapport sur les limites de la croissance avec son interview en mai 2012 dans Terra Eco.

[2] E.F. SCHUMACHER : Small is beautiful : une société à la mesure de l’homme. Collection Points 1979.

[3] Voir le guide ministériel « Espèces protégées, aménagement et infrastructures » 2012.


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