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EntretienPesticides

« Les pesticides présentent des risques avérés pour les riverains »

Mercredi 9 novembre, le ministère de l’Agriculture a dévoilé le nouvel arrêté sur les pesticides, identique à celui de 2006. Il ne suffira pas à protéger l’environnement et les personnes. Pourtant, des études s’accumulent sur les risques sanitaires liés aux produits phytos, explique le docteur Jean-François Deleume.

Après des mois de tractations, l’arrêté ministériel sur les pesticides devrait être notifié dans les prochains jours. Mercredi 9 novembre, une dernière réunion de la Commission des produits phytopharmaceutiques s’est déroulée au ministère de l’Agriculture, pour discuter des derniers détails. Des mois de débat… pour rien, car l’arrêté sera grosso modo le même que celui de 2006.

« C’est scandaleux, on fait comme si rien n’avait changé en dix ans, dit Nadine Lauverjat, de Générations futures. Pourtant, la consommation de pesticides ne cesse d’augmenter en France et les études s’accumulent sur les effets négatifs de ces substances sur l’environnement et la santé. » Avec d’autres représentants d’associations et la Fédération nationale des agriculteurs biologiques (Fnab), elle a claqué la porte de la réunion. « Nous refusons de cautionner un texte qui n’a fait l’objet d’aucun débat démocratique, ajoute-t-elle. C’est une occasion manquée de mieux protéger les citoyens, les agriculteurs et l’environnement. »

Pour mieux comprendre la gravité de ce recul, nous avons interviewé le docteur Jean-François Deleume. Il est médecin des hôpitaux et membre de l’Alerte des médecins sur les pesticides.

Le docteur Jean-François Deleume.


Reporterre — Quels sont les risques des pesticides pour les riverains ?

Jean-François Deleume — L’expertise de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) de 2013 est extrêmement précise sur ce sujet. Il y a vraiment des risques avérés pour les riverains, notamment pour des populations particulières. Les chercheurs ont étudié les effets d’une exposition aux pesticides sur les enfants in utero, pendant la grossesse, et pendant les premières années de la vie. La littérature scientifique identifie plusieurs risques pour ces enfants : leucémies, troubles du développement neurologique et malformations congénitales. Et les bébés nés de grossesses exposées aux pesticides ont plus de tumeurs du système nerveux central, bénignes ou malignes.

Des études réalisées en Californie, où l’on utilise beaucoup de pesticides, montrent que Parkinson n’est pas qu’une maladie des agriculteurs : il y a également un risque identifiable pour les riverains. Globalement, le spectre des risques sanitaires est extrêmement étendu, outre les cancers : problèmes de fertilité, risques de fausses couches, maladies neurodégénératives.


Au-delà des riverains, quels sont les principaux risques pour le reste de la population ?

Il existe très peu d’études sur les risques pour la population générale. Ce que l’on sait sur la toxicité des pesticides, ce sont les plus exposés qui nous l’apprennent : les agriculteurs. Ainsi, en 2015, le lymphome (tumeur du système lymphatique) a été reconnu comme maladie professionnelle pour les agriculteurs utilisant des pesticides. En 2012, c’était le cas de la maladie de Parkinson.

Concernant la population générale en France, on peut citer au moins trois études. La première, menée en Bretagne et publiée en 2011, montre que l’atrazine, un herbicide interdit en France depuis 2003, mais l’un des plus utilisés dans le monde, pourrait avoir des effets néfastes sur le développement neurologique des enfants. Les femmes présentant des traces urinaires de cet herbicide ont en effet un risque accru de mettre au monde un enfant de faible poids ou de faible périmètre crânien, ce qui sous-entend théoriquement des troubles de développement du système nerveux.

Le chlordécone est un insecticide et un perturbateur endocrinien qui agit comme un œstrogène. Il a été utilisé dans les bananeraies des Antilles françaises jusqu’en 1993.

Un autre cas symptomatique est celui du chlordécone aux Antilles. Cet insecticide utilisé dans les bananeraies a été autorisé jusqu’en 1993. Deux études pointent des risques très importants. La première, qui porte sur des femmes enceintes, montre que les enfants issus de grossesses exposées au chlordécone présentent plus de retards de développement neurologique et des anomalies visuelles. Et en 2010, l’étude Karuprostate a démontré un lien entre chlordécone et risque accru de cancer de la prostate. 22 % des hommes les plus imprégnés en chlordécone ont un risque augmenté de 77 % de survenue de cancer de la prostate par rapport au groupe le moins contaminé. Le chlordécone est un perturbateur endocrinien qui agit comme un œstrogène, l’hormone dominante féminine. Or, chez les hommes, il y a des récepteurs à œstrogènes sur la prostate.


Que sait-on sur le lien entre pesticides et fertilité ?

Il y a un chapitre dans l’expertise collective de l’Inserm sur cette question : il y a de fortes présomptions de liens, mais c’est difficile à prouver. Ce que l’on sait, c’est que la qualité du sperme décline en Europe. En France, la concentration de spermatozoïdes a ainsi diminué de près d’un tiers sur une période de seize ans. De nombreux scientifiques imputent cette baisse de spermatozoïdes à l’exposition diffuse aux pesticides. Aux États-Unis, quand le chlordécone est interdit en 1976, les ouvriers d’une usine de fabrication de ce pesticide n’avaient plus de spermatozoïdes dans leur sperme. Heureusement, le phénomène a été réversible.

Le déclin du sperme : révélé dès 1989 par Reporterre (sur papier).


Mais aujourd’hui, la plupart des pesticides pointés dans les études sont interdits…

Le problème de ces études, c’est qu’elles sont rares, chères à financer, et surtout longues à réaliser. Il y a souvent 5, 10 voire 15 ans de délai entre le lancement d’une étude et sa publication. Donc les données dont on dispose aujourd’hui portent parfois sur des produits qui ont été depuis interdits. Ce qui prouve bien leur toxicité, mais ne dédouane en rien les nouveaux produits. On ne perd rien pour attendre, car il faut en moyenne une décennie d’utilisation pour voir les effets d’un pesticide.

Sur les néonicotinoïdes par exemple, il existe déjà une étude japonaise qui montre les effets de ces substances tueuses d’abeilles sur les cellules neurologiques des embryons humains. Donc même sur les molécules récentes, il y a des risques.


Quel est le rôle des médecins ?

Ils sont au contact direct des patients, et sont les premiers témoins des effets de ces pesticides, par exemple avec les agriculteurs. Le milieu médical est à mon avis assez informé, mais il n’est pas suffisamment consulté. Cela ne fait qu’un an que nous participons aux autorisations de mise sur le marché (AMM) des pesticides, auprès de l’Agence sanitaire (Anses). Auparavant, c’était le pré carré du monde agricole, les médecins étaient tenus à l’écart… sans doute parce que ça en arrangeait certains. Mais ce temps est révolu, désormais les médecins ont leur mot à dire sur ces AMM et sur le suivi des maladies. C’est vraiment une petite révolution !


LE GOUVERNEMENT RECALE UN PROJET DE RECHERCHE SUR LES PESTICIDES DANS LE VAUCLUSE

Début octobre, une douzaine de médecins et de scientifiques ont adressé un courrier aux ministres de l’Agriculture, de la Santé, du Travail, de la Recherche et de l’Environnement suite au refus du financement de leurs travaux en santé publique sur le thème des pesticides.

Ce projet d’étude concerne les « expositions professionnelles et environnementales aux cancérogènes des patients atteints de cancers hématologiques pris en charge au centre hospitalier d’Avignon ». Il s’agit d’une réponse à l’appel à projets Ecophyto II (le plan d’action gouvernemental pour la réduction des pesticides). À l’origine, des médecins, oncologues et hématologues du centre hospitalier d’Avignon, s’inquiètent de l’augmentation importante des nouveaux cas de cancers hématologiques (lymphomes, myélomes, leucémies) dans leur bassin de population. Ils décident de réaliser un travail pluridisciplinaire pour identifier les expositions à des cancérogènes connus et faciliter l’accès des patients aux droits de la réparation en maladie professionnelle.

Le projet de recherche, d’abord classé prioritaire, a finalement été rejeté sans justification. D’après l’association Générations futures, « pour certains des chercheurs, il pourrait s’agir d’une forme de censure politique de ce projet ».

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