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Manifeste convivialiste


Recension par Jean-Marie Durand (Les Inrocks)

Un “Manifeste convivialiste”, signé par de nombreux intellectuels et militants, pose les bases communes d’une critique radicale de l’ordre néolibéral. Un texte incisif, rassembleur des énergies citoyennes éclatées.

Un autre monde est-il possible ? A cette question lancinante, de multiples courants de pensée et d’action critique tentent depuis les années 90 d’apporter sinon des solutions, du moins des horizons.

De l’alter-mondialisme à l’écologie sociale et solidaire, des Indignés à Occupy Wall Street, du mutualisme au commerce équitable, des systèmes d’échange local à l’économie de la contribution numérique, de la décroissance au post-développement, de la recherche d’indicateurs de richesse alternatifs à la sobriété volontaire, des théories du care aux nouvelles pensées des communs…Le paysage des mouvements théoriques et pratiques contestant le cadre néolibéral dominant souffre, en dépit de son foisonnement, d’un effet d’éclatement.

Pour de nombreux acteurs intellectuels proches de ces mouvements, il manque un fil commun à toutes ces initiatives disséminées. D’où l’envie de multiples chercheurs, philosophes, économistes, sociologues, de dessiner un corps doctrinal minimal qui rassemblerait toutes les parties dans un dessin partagé : le “convivialisme”, nom donné à tout ce qui dans les doctrines existantes “concourt à la recherche de principes permettant aux êtres humains à la fois de rivaliser et de coopérer, dans la pleine conscience de la finitude des ressources naturelles et dans le souci du partagé du soin du monde”.

Initié par le sociologue Alain Caillé, auteur en 2011 avec Marc Humbert, Serge Latouche et Patrick Viveret de l’essai Du convivialisme, dialogues sur la société conviviale à venir (La Découverte), un “Manifeste convivialiste” vient aujourd’hui poser les bases d’un corps doctrinal commun, construit sur quelques principes fondateurs : “des principes de commune humanité, de commune socialité, d’individuation, d’opposition maîtrisée…”

Signé par de très nombreux chercheurs du monde entier (Yann Moulier-Boutang, Barbara Cassin, Eve Chiappello, Jean-Pierre Dupuy, François Flahault, Christophe Fourel, Susan George, Roland Gori, Marc Humbert, Edgar Morin, Chantal Mouffe, Serge Latouche, Roger Sue, Jacques Lecomte, Patrick Viveret, Axel Honneth, Dominique Meda…), ce texte court, incisif et suffisamment élastique pour rassembler un grand nombre de citoyens, à la manière du Indignez-vous de Stéphane Hessel, ce Manifeste est le fruit d’une série de discussions menées depuis un an et demi au sein de groupes de pensée et d’action qui ont cherché à mettre en commun des convergences, par-delà leurs différents politiques.

Tous s’entendent sur le constat des menaces qui pèsent sur l’humanité : des menaces à la fois “entropiques”, économiques, techniques, écologiques (réchauffement climatique, raréfaction des ressources énergétiques, aggravation des écarts de richesse…) et “anthropiques” (d’ordre moral et politique). De proche en proche, ce sont tous les secteurs de l’existence, et jusqu’aux affects, qui “se retrouvent subordonnées à une logique comptable, technique et gestionnaire.”

Pour Alain Caillé, il existait ainsi “un besoin d’identifier un fonds doctrinal minimal commun”, d’un art de vivre qui “valorise la relation et la coopération, qui permette de s’opposer sans se massacrer, en prenant soin des autres et de la nature.” Spécialiste de l’œuvre de Marcel Mauss (Essai sur le don), Alain Caillé estime que le “convivialisme”, quarante ans après l’essai séminal d’Ivan Illich, La convivialité, éclaire et encadre la question clé de toute société : comment inciter les individus à coopérer pour se développer et donner chacun le meilleur d’eux-mêmes tout en leur permettant de “s’opposer sans se massacrer” ? Comment faire obstacle à l’accumulation de la puissance, désormais illimitée et potentiellement autodestructrice, sur les hommes et la nature ?

Ce Manifeste, expression et résultante de nouvelles formes de participation et d’expertise citoyennes informées par une conscience écologique désormais globale, se veut ainsi une proposition théorique visant à imaginer un nouvel humanisme, “étendu et radicalisé”, indexé sur un nouvel “universalisme à plusieurs voix” : un “pluriveralisme.”

Si ce Manifeste convivialiste se limite à poser des principes généraux, il reste à chacun d’en faire, autant qu’il est possible dans chaque espace social, un usage pragmatique, proprement politique. C’est en quoi, de la même manière que l’était, en creux, celui de Stéphane Hessel, ce texte a, sous des apparences un peu naïves, la force d’un geste aux implications potentielles immenses.

Si elle ne formera pas par elle-même la solution absolue à la crise du politique, la convivialité impose un cadre suffisamment large et éclairant pour que chaque citoyen puisse y faire entrer ses propres indignations et transforme ses pulsions négatives en élan commun.

Introduire une rupture dans l’échelle des valeurs dominantes, remplacer l’hubris (la démesure) et la compétition par le désir et la coopération, faire de la qualité relationnelle la mesure de tout : sous la naïveté apparente d’une nouvelle forme d’utopie sociale bouillonne le pragmatisme d’une analyse politique vitaliste aux effets subversifs.

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Manifeste convivialiste, déclaration d’interdépendance, Le bord de l’eau, 40 p., 5 €


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