Mégabassines : au tribunal de Niort, un procès lunaire et inachevé

Les prévenus, à Niort le 8 septembre 2023. - © Pierre-Yves Lerayer / Reporterre
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Justice Luttes Mégabassines Eau et rivièresNeuf militants opposés aux mégabassines étaient jugés le 8 septembre au tribunal de Niort. Les accusations étaient confuses et mélangées, l’audience s’est traîné durant sept heures, sans conclure. Elle reprendra le 28 novembre.
Niort (Deux-Sèvres), reportage
Surréaliste de bout en bout. Vendredi 8 septembre, le procès des militants opposés aux mégabassines a ressemblé davantage à une pièce de théâtre improvisée qu’à l’audience « politique » qu’espéraient les prévenus.
Neuf personnes étaient ainsi réunies et jugées au tribunal de Niort (Deux-Sèvres), pour des faits très différents — du « vol d’une canalisation » à l’« organisation d’une manifestation interdite sur la voie publique » — commis à des dates éloignées. Après plus de sept heures passées à s’efforcer de démêler ce fourre-tout, le président du tribunal, Éric Duraffour, a finalement choisi, aux alentours de 21 h 30, de suspendre l’audience. Les débats reprendront donc là où ils se sont arrêtés… le 28 novembre.

« C’est une décision qui s’impose logiquement. C’était déraisonnable de penser audiencer ces nombreux prévenus en une après-midi. Une suspension était nécessaire pour respecter le droit d’être jugé dans des conditions dignes », a réagi Me Chirine Heydari, une des avocates de la défense, à la sortie du tribunal. Les prévenus ont aussi dénoncé un « amateurisme » du parquet, qui avait décidé de regrouper toutes ces affaires.
En début d’après-midi, l’énoncé des faits reprochés aux militants avait annoncé la couleur : une liste interminable d’infractions et de dates n’ayant rien à voir les unes avec les autres, dans lesquelles les prévenus étaient parfois mélangés, parfois pas.
Pour des raisons d’efficacité, le président du tribunal a rapidement choisi de procéder non pas par individu, mais par ordre chronologique des événements. Un nouveau problème s’est alors posé : l’absence de précision des accusations portées contre les prévenus.

Plusieurs personnes étaient par exemple soupçonnées d’avoir organisé des manifestations interdites, le 29 octobre 2022 et/ou le 25 mars 2023 à Sainte-Soline, pour s’opposer à la construction d’une mégabassine. Parmi elles : Julien Le Guet, porte-parole du collectif Bassines non merci ; Nicolas Girod, ancien porte-parole du syndicat La Confédération paysanne ; ou encore Basile Dutertre (pseudonyme), membre des Soulèvements de la Terre. Aucune véritable preuve n’était toutefois apportée sur leurs convocations, ont souligné les avocats de la défense.
« Ils essaient de plaquer sur nous leur propre hiérarchie verticale et militaire »
Dans le cas de Basile Dutertre, le fait d’avoir été en tête de cortège et d’avoir pris la parole dans un mégaphone serait la preuve (selon les enquêteurs) qu’il était l’organisateur de la manifestation.
« Oui, j’ai pris la parole, oui, j’ai appelé avec bien d’autres à cette manifestation au nom des Soulèvements de la Terre. (…) Mais non, je n’ai pas organisé », a-t-il rétorqué devant le tribunal, rappelant que le mouvement est horizontal et ne dispose pas de chef. « Ils essaient de plaquer caricaturalement sur nous leur propre hiérarchie verticale et militaire », a-t-il poursuivi.

« En convoquant neuf responsables syndicaux aujourd’hui, le gouvernement fait le choix d’organiser un procès politique, dénonçait quelques heures plus tôt, à l’extérieur du tribunal, la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet. Il fait le choix de construire un scénario écrit d’avance pour faire porter à nos organisations […] la responsabilité des graves violences [200 blessés parmi les manifestants, dont deux personnes qui ont été dans le coma] qui ont eu lieu à Sainte-Soline [le 25 mars 2023]. »
Alors que la responsabilité est ailleurs, a-t-elle rappelé : la Ligue des droits de l’Homme, par exemple, a conclu que les forces de police avaient fait preuve d’un « usage de la force ni nécessaire ni proportionné ». « On assiste avec ce procès à une marche de plus vers la criminalisation des mouvements sociaux et écologistes alors qu’on est dans notre droit et qu’on défend l’intérêt général », déclarait de son côté Nicolas Girod.

Pendant tout l’après-midi, les débats se sont donc éternisés, entre les avocats de la défense qui ne cessaient d’affirmer que les faits n’étaient pas caractérisés ; le procureur de la République, Julien Wattebled, qui insistait sur l’aspect supposément violent des collectifs antibassines ; ou le président du tribunal, qui s’obstinait à poser des questions à des prévenus qui, 90 % du temps, choisissaient de garder le silence.
Alors qu’ils avaient dit vouloir faire de cette audience le « procès de l’eau », la question de fond (« l’accaparement de l’eau par une poignée d’agriculteurs au détriment des autres ») n’a pas pu être abordée.
Interdiction de circuler
Dans la salle surchauffée par la canicule, le temps a semblé ralentir. Une impression renforcée par le cadre surréaliste aux alentours du bâtiment : des rues absolument vides, la préfecture des Deux-Sèvres ayant choisi de barricader le centre-ville.
Un périmètre d’interdiction de circuler, stationner et manifester était en vigueur aux abords du tribunal. La captation d’images par moyens aériens (des drones de la police) avait également été mobilisée pour l’occasion.

Ce n’est qu’à l’écart du tribunal, 500 mètres plus loin, que les soutiens des prévenus ont eu le droit de se rejoindre. Plus de 4 000 personnes ont répondu présentes tout au long de la journée. La foule était toujours importante quand, à presque 22 h, les neuf militants sont sortis du palais de justice et ont rejoint un concert de soutien.
Sur scène, les prévenus ont laissé entendre qu’en attendant la reprise de l’audience le 28 novembre, de nouvelles manifestations contre les mégabassines seront organisées. « Cette lutte, on va la gagner, s’est exclamé Julien Le Guet. On va sauver l’eau, on va sauver nos rivières, vive la vie ! »
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