Tribune —
Mille milliards de tonnes
L’inquiétude suscitée par la pandémie de grippe porcine est-elle exagérée ? On pourrait le croire si on oubliait la grippe espagnole qui, en 1918, a tué plusieurs dizaines de millions de personnes dans le monde, à une époque où les voyages étaient bien moins fréquents qu’aujourd’hui. Si on oubliait que cette pandémie succède à plusieurs alertes récentes du même type – SRAS en 2003, grippe aviaire depuis 2004. Si l’inquiétude des épidémiologistes, généralement soigneusement contenue, n’émergeait parfois, comme lorsque Martin McKee, spécialiste anglais, déclarait en 2006 : « Je ne peux même pas écarter l’hypothèse à long terme qu’un organisme inconnu apparaisse et fasse disparaître l’Homo sapiens. »
Autres questions. Ces pandémies ne sont-elles pas liées à l’érosion dramatique de la biodiversité ? A la réduction constante du nombre de races domestiques, dont une disparaît chaque mois, selon le rapport de la FAO de 2007 sur les ressources zootechniques ? Au développement de l’agriculture industrielle ? Au recul constant des habitats naturels ? A l’uniformisation des écosystèmes, qui favorise la diffusion d’organismes ne trouvant plus d’adversaires ? Les réponses manquent. Notamment parce que la communauté des spécialistes de ce domaine n’est pas structurée aussi fortement que celle des climatologues. Elle est muette alors qu’une manifestation possible de la crise de la biodiversité sonne comme un nouveau coup de gong.
Un coup de gong en matière de changement climatique, les climatologues en ont donné un majeur dans Nature, le 30 avril. Dans des études publiées par l’hebdomadaire scientifique, les chercheurs conduits par Malte Meinshausen, du Potsdam Institute, et Myles Allen, de l’université d’Oxford, ont analysé les conditions qui permettraient au réchauffement en cours de ne pas dépasser de plus de 2 °C la température de l’ère préindustrielle. Un consensus s’est élaboré durant les dernières années pour penser qu’un dépassement de ce seuil aurait des conséquences dramatiques et irréversibles.
Recombinant de nombreuses données, les chercheurs raisonnent en termes de budget global des gaz à effet de serre. Pour avoir les plus fortes chances de limiter le réchauffement à 2 °C, déduisent-ils, il faut limiter les émissions de gaz carbonique entre 2000 et 2050 à 1.000 milliards de tonnes. Or, depuis l’an 2000, l’humanité a émis 300 milliards de tonnes de CO2. Elle devrait se limiter à 700 milliards pour les quarante ans à venir. Cela représente le quart des émissions qui résulteraient de la combustion des réserves prouvées de pétrole, gaz et charbon, sans compter les réserves de l’Arctique et les sables bitumineux.
Conclusion première : il faut très rapidement diviser de moitié le rythme actuel des émissions.
Conclusion seconde : il ne faut pas utiliser toutes les réserves disponibles de combustibles fossiles.
Question subséquente : sommes-nous prêts ?