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ChroniqueJardin sans pétrole

On cultivait les figues dans le Val d’Oise !

Un coup de flemme au jardin sans pétrole. Où l’on part au cinéma voir « Sans adieu », qui raconte une vie paysanne disparue et où l’on découvre que la culture de la figue était naguère très développée à deux pas de Paris.

Samedi matin, plombés par la fatigue, nous avons finalement troqué le ramassage des feuilles et l’aération du compost pour une séance de cinéma. Sans Adieu, de Christophe Agou, nous a entraîné dans le Forez, région montagneuse du Massif central, dans les bottes de paysans sans concession. Des amoureux de leur terre et de leurs bêtes, acculés par la vieillesse, étouffés par le carcan des institutions agricoles. Des vies simples qui partent à la dérive, des femmes et des hommes désabusés, cantonnés en bout de village dans des maisons préfabriquées sans charme. Les derniers soubresauts de la paysannerie française avalée par la course aux rendements, au détriment de l’écologie, de la qualité de la nourriture et des hommes.

Si bien que le week-end dernier nous avons déserté le jardin. J’avais rendez-vous le dimanche à Argenteuil à l’invitation de l’association naturaliste Asparagus pour les accompagner dans la réalisation d’un herbier de plantes poussant sur les coteaux gypseux qui surplombent la Seine, d’où l’on extrait encore la poudre blanche qui sert à faire des plâtres de qualité artistique. Asparagus est un clin d’œil à l’asperge d’Argenteuil, une variété d’asperge blanche de gros calibre, obtenue à partir de la sélection de plants importés des Pays-Bas par Louis Lhérault, agriculteur dans cette commune du Val d’Oise.

J’ai découvert là que l’on y avait aussi produit des figues ! Sous Napoléon III, l’exploitation s’étendait sur 50 hectares, occupait quelques 300 cultivateurs, et après la Saint-Jean, 400.000 figues étaient transportées sur de larges plateaux en vannerie vers les marchés parisiens.

La culture de l’asperge a ses exigences, mais celles-ci n’atteignent pas le niveau de savoir-faire des arboriculteurs qui se lançaient dans la figue blanche d’Argenteuil ! Cet arbre méridional fleurit rarement sous ces latitudes. Les jeunes plants étaient cultivés en cépées et les branches qui n’atteignaient guère plus de trois mètres étaient à demi couchées, remontant le coteau.

Chaque année, du 1er au 15 novembre, c’est-à-dire à l’approche de l’hiver, les figuiers étaient couchés en terre et les branches rassemblées étaient abaissées dans des fosses creusées juste en dessous. Il fallait la force de quatre hommes pour un arbre d’une dizaine d’année. D’abord maintenues avec les pieds, les branches étaient recouvertes d’une épaisseur de terre de 20 cm à la base du pied et de 20 cm aux extrémités. Cette opération avait pour objectif d’empêcher l’arbre de se relever et le préserver ainsi de la gelée sans trop le priver d’air.

Couché par un jour de soleil pour que les branches soient sèches, le figuier devait être relevé par temps humide entre la dernière semaine de février et la mi-mars, car le bois, ramolli par son séjour souterrain de plusieurs mois aurait souffert d’un brusque changement hygrométrique. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, cette prévention contre le gel à la limite de la maltraitance – les figuiers conservaient un port incliné, à demi-rampant – était très favorable à la fructification. La sève circulait moins bien et l’arbre poussait peu. Les figues se formaient à une distance rapprochée du sol, et c’est à cela qu’elles devaient leur précocité et leur maturité parfaite. Pour retenir encore la sève dans la partie moyenne de l’arbre, les cultivateurs supprimaient les bourgeons terminaux à l’extrémité de chaque branche puis équetonnaient – enlevaient avec l’ongle – les boutons de bois en évitant de détruire les figues naissantes. Ainsi « la sève, au lieu de se dépenser en bois et en feuilles, se dépense en fruits ». Enfin pour activer la maturation, une larme d’huile étaient déposée au pinceau sur l’œil de chaque fruit, plus tard tâtés à la main lorsqu’ils perdaient leur teinte verte passant à la nuance jaune clair. Ce n’est pas la déprise agricole qui mit fin à la figue, au vin et aux asperges d’Argenteuil, mais l’urbanisation galopante après la guerre. Celle-là même qui s’est nourrie de l’exode de nos campagnes.

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