Tribune —
Plaidoyer pour Pierre-Emmanuel Neurohr

Mardi 18 septembre, Pierre-Emmanuel Neurohr a été condamné à trois mois de prison avec sursis pour avoir bloqué quelques minutes un avion sur l’aéroport de Roissy. Il reste en prison pour la même action menée début septembre. Si une part de son propos est discutable, sa démarche est pertinente
Cet article a pour but de faire connaître et étayer modestement l’action de Pierre-Emmanuel Neurohr. Ce qui ne signifie pas l’accord total de son auteur avec Neurohr, dont on peut lire le propos sur le site internet du Parti de la Résistance. En particulier, je n’approuve pas le terme de « génocide », étant donné que
1) aucun type de personne, ni aucune « race » ou gène ne sont visés.
2) les conséquences dramatiques sont collatérales aux actes de consommation (prendre l’avion, ou plus généralement brûler de l’énergie fossile), dont les auteurs se seraient passés. Clairement, ce n’est pas leur intention.
3) plusieurs facteurs entreraient en compte si évolution dramatique il doit y avoir, et pas seulement le changement climatique (épuisement des sols, par exemple).
Cependant n’oublions pas la gravité de la situation : Pierre-Emmanuel l’a indiqué lors de l’audience, au sujet des conséquences du changement climatique, on parle de biodiversité, de disparition d’espèces de papillons, de grenouilles ou d’oiseaux …, mais c’est bien pour les humains que le drame serait.
Notamment : des sécheresses de fréquence croissante provoqueraient baisse de la production agricole et famines ; ou encore la montés des océans dès à présent noie les champs qui sont les uniques biens de paysans, ou stérilise la terre par l’apport de sel.
Toutefois il n’y a pas de nom à cela, à ces conséquences vraisemblables du processus en cours de changement climatique, et plus généralement de dégradation de l’environnement, où les responsabilités sont diluées et entremêlées, de telle manière qu’est inadaptée une critique explicitement basée sur le langage de l’histoire et de la juridiction pénale née au lendemain de la seconde guerre mondiale.
Le déroulement est tout autre, la Shoah était organisée par un très petit nombre de personnes déterminées, et seuls quelques milliers (exécutant compris) étaient réellement et officiellement au courant de ce qui se passait. Au contraire, les informations sur les craintes, scénarios probables des climatologues, sont publiques, bien que noyées dans une masse. Le terme de « génocide » ne peut se justifier sur la seule base du nombre, celui de victimes possibles à venir qui dépasserait largement les précédant drames de l’histoire humaine qui ont porté ce nom.
Le terme « climaticide » apparaît aussi inadapté, car le climat ne sera pas « tué ». On pourra néanmoins utiliser ce vocable, faute de mieux, pour simplifier une expression comme « dégradation des conditions de la vie humaine sur terre via la modification rapide du climat induite par l’action anthropique ».
Quelques analogies subsistent néanmoins entre cette situation et celle qui a eu lieu lors de la seconde guerre mondiale, et Pierre-Emmanuel les met en avant dans ses propos. Par exemple, le fait que, tout comme la population civile d’Europe continentale pendant la deuxième guerre mondiale, hors du front ou des camps d’extermination, on souhaite que la vie quotidienne garde des apparences de normalité à côté d’une tragédie dont on sait pertinemment qu’elle existe et confusément en quoi elle consiste.
Ou encore, aujourd’hui comme il y a 70 ans, les faits présentés sont trop énormes pour que nous puissions les appréhender pleinement avec notre esprit, avec tout ce que cela implique.
Sur la pollution des avions
Le changement climatique qui découle de la combustion d’énergies fossiles affecterait les conditions de vie des humains sur terre dans les années à venir, non des oiseaux et grenouilles dans plusieurs décennies ou siècles. Ce dont nous nous inquiétons particulièrement et sincèrement, c’est que ce serait précisément au moment où les humains seront les plus nombreux sur Terre (8 milliards), et dont nous serons, que la dégradation des écosystèmes viendrait affecter la capacité de l’agriculture à produire la nourriture et toutes autres matières premières. Le sujet de cet article n’est pas de démontrer ce point, supposé acquis, et d’abord par l’Etat français : dès 2005 le Président et le Premier ministre indiquent que la France se donne pour objectif de diviser les émissions de GES par 4 d’ici 2050 pour que le niveau soit soutenable (soit environ 1,8 tonnes de CO2/personne.an).
L’évidence de l’énormité des émissions de gaz à effet de serre du transport aérien rapporté par passager est connue de quiconque se penche un peu sur la question. Donnons quelques arguments pour étayer l’idée selon laquelle il s’agit de la machine de pointe pour accomplir le « climaticide ». D’aucuns objectent qu’il y a des machines bien plus polluantes pour le climat, par exemple une centrale électrique à fioul ou à charbon, rappelons ce rudiment : leur usage, quoique en partie contestable, est beaucoup plus partagé. Si une centrale à fioul de 1 gigawatt brûle 250 tonnes de pétrole par heure pour alimenter en électricité au moins un million de personnes en pays dit développé, un avion brûle de l’ordre d’une centaine de tonnes pour emmener seulement 200 passagers.
Un seul vol transcontinental en avion dépasse la limite de 1,8 tonnes, pour laquelle notre pays s’est engagée. Le transport aérien ne peut plus être banalisé dans ces conditions. Faire éclater cette contradiction aussi insoutenable écologiquement qu’intellectuellement et moralement, était une des motivations de Pierre-Emmanuel.
L’avion est le fait d’une minorité (moins de 10% des humains l’ont pris au moins une fois), y compris parmi les pays dits riches (moins d’un tiers des Français le prennent au moins une fois dans l’année). Cependant une minorité d’habitants de pays dits développés considèrent pourtant normale cette activité, voire « indispensable pour vivre », inaliénable, et défendent avec véhémence cet usage.
La normale et l’extrémisme
Lors du procès, l’avocat a cité la Charte de l’Environnement et son article 2 pour justifier l’acte de Pierre-Emmanuel : « Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement ». Cet article nous inspire cette réflexion : reste t-il un propos creux ? Si non, quelles applications pratiques en tirer ? Par exemple, imaginons qu’on voie un individu s’apprêter à déverser dix litres d’huile de vidange (ou tout autre toxique) dans une rivière d’un milieu protégé. Ce type de comportement serait à peu près unanimement désapprouvé. Pourrait-on invoquer la Charte de l’Environnement s’opposer physiquement à cet acte ?
Renversons la conception admise qui considère normal l’usage de l’avion, et fions-nous uniquement à l’analyse des faits : s’opposer au décollage d’un avion est tout à fait semblable au fait de s’opposer au déversement d’huile de vidange dans une rivière en tant qu’action visant « à la préservation de l’environnement ».
Toujours dans l’idée de reverser la normalité : l’acte extrémiste n’est pas la mobilisation non-violente contre les avions, ou encore le refus explicite et définitif de certains actes de consommation qui représentent le paroxysme de la production de dégât. Récusons toute accusation « d’extrémisme environnementale », trop souvent entendue et rebattue, trop souvent dite pour couper court à toute réflexion. C’est en fait renverser les rôles. C’est utiliser un aéronef qui est extrêmement générateur de dégradations environnementales, et qui n’a absolument rien de normal.
Admettons que des personnes sont convaincues du contraire parce qu’elles n’ont rien vu desdites dégradations, parce que cela est habituel chez elle et dans leur entourage.
Cependant, ce n’est pas un argument, à commencer pour certaines personnes se disant écologistes, qui sont tout à fait en possession de leurs moyens intellectuels et ont parfaitement accès à l’information à ce sujet.
« Lutter contre », ou à proprement parler, ne pas contribuer massivement au changement climatique, cela induit quelque changements d’habitudes pour ceux qui les auraient prise (voir). En même temps, c’est finalement assez peu. Rien d’héroïque là-dedans n’est nécessaire. Et de nombreux bonheurs dans la vie s’obtiennent sans brûler des tonnes d’énergie fossile. De nombreuses autres façons de s’organiser, pour le travail, existent. Les voyages rapides transcontinentaux apportent quelques satisfactions éphémères, acquises à un prix écologique largement trop élevé. Nous pouvons prendre sérieusement le chemin pour en finir avec l’addiction à une consommation massive d’énergie, qui conduit selon toute vraisemblance le monde à un avenir douloureux.
Après cette action symbolique, on peut dire plus encore de l’Etat, des consommateurs-électeurs-citoyens, qu’ils agissent en connaissance de leurs responsabilités. Pour résumer, on peut reprendre ce propos célèbre d’un ancien chef d’Etat : « Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas ».
Concernant le mode d’action
Quelques mots au sujet du mode d’action choisi. Pierre-Emmanuel s’est opposé, par la seule présence de son corps pendant quelques minutes, au décollage d’un avion. Il a agi ainsi dans la pure tradition non-violente : ni les biens, ni les personnes ne sont menacés par l’acte, à l’exception éventuelle de la personne agissant. La personne agissante agit selon ses convictions, défiant alors la loi et subit les punitions qui en résulteraient. Cette façon d’agir apparaît comme légitime pour Pierre-Emmanuel au contraire de la violence, il insiste fortement sur ce point.
Sa persévérance dans cette action non-violente (5 entrées sur l’aéroport) peut rappeler un moment de la vie de Gandhi montrée par le film éponyme : alors avocat en Afrique du Sud, il refuse le statut particulier donné aux Indiens et Noirs, et brûle les cartes d’enregistrement de ses concitoyens, symbole de cette discrimination. Un policier anglais le frappe, Gandhi recommence. Est frappé à nouveau. Il continue jusqu’à n’avoir plus la force, suite aux coups, de jeter les papiers dans le poêle (voir l’extrait du film en anglais).
Dans la même idée, la violence infligée par l’Etat, qui prend la forme du confinement de sa personne en prison, ne convainc pas Pierre-Emmanuel, ni ceux qui le soutiennent, qu’il a eu tort d’agir.
Des limites
Quelques limites peuvent être décelées à cette action. La mobilisation contre les avions, pour réduire les risques de famines à venir, mobilise peu. L’objectif est trop éloigné, et trop abstrait. Au contraire la lutte contre la destruction de terres d’un bocage pour la construction d’un aéroport près de Nantes, mobilise des milliers de personnes depuis des années : plus proche, plus concret. Il n’y a pas des centaines de personnes sur les pistes des aéroports.
Par ailleurs, les victimes potentielles, aussi nombreuses soient elles, n’apparaissent pas faire partie de la même communauté que le « public cible » de l’action, les Français ou les occidentaux.
Enfin, on ne perçoit pas de mobilisation massive des pays victimes potentiels à venir. Comme si la dégradation de l’environnement et son impact sur les personnes était un fait, un « fonctionnement » acquis, par tous partagé, sinon dans les discours, au moins dans les actes. Résister à ce fatalisme, c’était aussi cela, c’était réaliser l’« action non-violente mimimale » contre la dégradation du climat : se poser devant la machine qui y concourt le plus.