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Tribune

Produire l’électricité... mais pour quels besoins ?

La sortie du nucléaire de l’Allemagne s’accompagne de longue date d’une politique de réduction de la consommation. Tandis qu’en hiver, pour se chauffer, la France importe de l’électricité d’outre-Rhin.


La sortie du nucléaire allemand, sur fond d’élection présidentielle, suscite de nombreux commentaires dans la presse française.

Certains se sont emparés d’un rapport de Cap Gemini sur le marché européen de l’électricité pour évoquer le spectre de coupures d’électricité en France aux périodes de pointe hivernales et l’attribuer à la légèreté de nos chers voisins... En oubliant soigneusement de signaler que la pointe hivernale française, qui peut atteindre les jours de grands froids plus de 90 gigawatts, est due pour un bon tiers au caractère massif du chauffage électrique dans notre pays. C’est notre politique de Gribouille du « tout électrique, tout nucléaire » qui nous force à importer en hiver de l’électricité que nos réacteurs nucléaires seraient incapables de produire à un coût raisonnable, en réalité de l’électricité d’origine fossile et non pas nucléaire en provenance d’Allemagne avec un contenu en CO2 important. Alors, à qui la faute ?

D’autres, comme le journal Le Monde du 25 octobre dernier, dans son éditorial et dans l’article « La fin du nucléaire passe par le charbon » qui l’accompagne, s’interrogent sur les conséquences économiques, politiques et environnementales de la décision allemande de sortie du nucléaire : une facture qui s’envolerait à cause des énergies renouvelables et de l’isolation des logements, du CO2 supplémentaire avec les nouvelles centrales à charbon, une dépendance accrue vis-à-vis du gaz soviétique. De quoi méditer cet exemple, comme le titre l’éditorial.

Encore faudrait-il que cette méditation s’appuie sur des bases complètes.

Le programme de sortie du nucléaire allemand ne date pas d’hier mais de 1999. Depuis l’origine, il comporte deux volets principaux, les économies d’électricité et la promotion de l’électricité renouvelable.

Tout le monde s’intéresse au second volet, l’électricité renouvelable, en discute les qualités et les défauts, les chances de réussite, les excès et les coûts.

Des économies d’électricité, l’autre moitié du ciel (ou de l’enfer, pour certains), pas un mot, sauf pour évoquer le coût élevé des opérations d’isolation des logements, ce qui, en Allemagne n’a qu’un rapport assez lointain avec les économies d’électricité puisque nos voisins, contrairement à nous Français, ne se chauffent pas massivement à l’électricité.

Et pourtant leur programme d’économie d’électricité est ambitieux : 10% d’économies de consommation d’électricité en 2020 par rapport à 2008 (50 TWh) et 25% en 2050.

Mais plutôt que de supputer les chances de réussite de ce programme, voyons ce que nos voisins ont déjà fait depuis 10 ans dans ce domaine par rapport à nous. En 1998 par exemple, un Français et un Allemand affichaient la même consommation d’électricité domestique (950 kWh) quand on en exclut le chauffage électrique, une spécialité bien française. Dix ans plus tard, un Français consomme en moyenne 28% de plus que son voisin de cette électricité dite « spécifique », l’éclairage, l’électroménager, l’audiovisuel, l’informatique et les communications : 20 TWh d’électricité supplémentaire à produire pour ce seul secteur, l’équivalent de la production de deux EPR... Et pourtant le taux d’équipement d’appareils ménagers en Allemagne est supérieur à celui de la France.

Alors, oublier cet effort d’économie important qui repose en Allemagne sur une politique de prix de l’électricité et une politique industrielle délibérément ciblée sur la sobriété électrique des produits, c’est amputer l’équation à résoudre d’un membre important et condamner d’avance l’accusé que semble être chez nous le citoyen ou l’Etat qui se pose la question d’une sortie éventuelle du nucléaire.

Sortir du nucléaire en France en 2030 par exemple, ne présente évidemment pas du tout les mêmes contraintes selon qu’on aura besoin de 350 TWh ou de 700 TWh à cette époque (respectivement une économie ou une augmentation de consommation de 1,8% par an par rapport à la consommation de 2010).

Le débat qui s’engage aujourd’hui sur le nucléaire ne devrait pas continuer à occulter cette question majeure en continuant d’argumenter sur des pourcentages de production électrique, mais sans jamais dire à quels besoins ils s’appliqueront.


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