Tribune —
Protectionnisme
« Un protectionnisme écologique est souhaitable. Mais il doit être clair que l’effet bénéfique en emplois locaux aura pour contrepartie une moindre disposition des produits manufacturés à bas coûts, donc une baisse de la consommation matérielle collective. »
Dans les années 1960, quand Rachel Carson ou Jean Dorst attirèrent les premiers l’attention sur la destruction accélérée de l’environnement, on commença à parler de « protection de la nature ». Les écologistes sont effectivement des protecteurs de la nature, c’est-à-dire d’un état de la biosphère qui permette à l’humanité une vie digne et pacifique.
Ces temps-ci, le protectionnisme économique revient en force, comme en témoigne le succès d’Arnaud Montebourg et de sa « démondialisation » à la primaire socialiste, ou le nouveau livre de François Ruffin, Leur grande trouille (Les liens qui libèrent, 240 p., 18 euros), qui plaide avec force pour des taxes aux frontières. Si ce sont des raisons sociales qui animent ce courant d’idées, il trouve de fortes résonances du côté de l’écologie politique, qui promeut depuis des années la « relocalisation » des activités et critique les effets néfastes sur l’environnement du développement du commerce mondial.
Le point de jonction entre les deux approches se trouve dans les normes environnementales. La légitimité de freiner l’importation de produits dont la fabrication génère un impact environnemental trop élevé est peu contestable. Mais les rapports de forces entre grands blocs économiques, d’une part, et l’idéologie libre-échangiste, d’autre part, empêchent le progrès concret du protectionnisme environnemental. On peut penser que l’évolution politique de l’Europe fera avancer le débat. D’autant que l’Union européenne peut arguer de sa modération relative en termes d’émissions de gaz à effet de serre et de ses efforts pour « verdir » son économie. Le projet d’une taxe énergie européenne aux frontières pourrait ainsi être un élément de la présidentielle française.
Cependant, comme le commerce, l’idée doit être analysée dans les deux sens. Si les Européens émettent relativement peu de gaz à effet de serre, c’est parce qu’ils ont délocalisé une partie de leur industrie. Par exemple, chaque Français n’émet pas 6,7 tonnes de gaz carbonique, comme le dit la statistique officielle, mais 9 tonnes, comme l’a calculé l’Insee en tenant compte des produits importés. Un protectionnisme écologique est souhaitable. Mais il doit être clair que l’effet bénéfique en emplois locaux aura pour contrepartie une moindre disposition des produits manufacturés à bas coûts, donc une baisse de la consommation matérielle collective.