Tribune —
Que la montagne est belle
« Encore le gaz de schiste ? Oui, encore. »
Il fait peu de doute que Jean Ferrat serait venu, depuis sa maison d’Antraigues-sur-Volane, ce samedi 26 février. A 30 kilomètres de chez lui, dans un bourg de 3 000 habitants, à Villeneuve-de-Berg, en Ardèche, il aurait rejoint plus de 10 000 personnes. Une foule impressionnante réunie dans une de ces campagnes oubliées des décideurs des grandes villes, pour refuser la prospection de gaz de schiste dans la région.
Encore le gaz de schiste ? Oui, encore. Parce que cette jacquerie dans le sud-est de la France est hautement significative, et importante tout autant.
« Cette terre est la nôtre, et nous n’avons pas envie qu’on nous la dérobe, qu’on lui porte atteinte. Quelle est donc cette conception médiévale de la place de l’homme dans la société, réduit à la servilité et au bon vouloir des princes qui nous gouvernent ? Nous nous insurgeons contre cela, et cette insurrection est celle de nos consciences, et appelle à la résistance. » Voilà ce que disait le 8 février, dans une réunion publique, le maire de Lagorce, Henri Ozil. C’est une révolte démocratique qui s’est levée : ne décidez pas sans nous !
Mais elle pointe aussi avec acuité l’opposition entre le « bien vivre » et le « toujours plus ». Car au fond, de quoi s’agit-il ? De refuser un surcroît d’énergie obtenu au prix d’une destruction accrue de l’environnement. Cela ne concerne pas que le gaz de schiste. Le monde recèle encore de grandes réserves d’énergie fossile : en Arctique, sous le fond des mers, dans les sables bitumineux d’Alberta, les pétroles extra-lourds de l’Orénoque, les schistes bitumineux du Colorado... Mais pour l’obtenir, à un coût d’ailleurs toujours plus élevé, il faudra encore dégrader l’environnement, alors que sa consommation accroît continûment l’effet de serre.
Ce que nous disent les rebelles d’Ardèche et d’ailleurs, c’est que ce jeu n’en vaut plus la chandelle. Il faut l’arrêter avant l’épuisement des ressources - et de la biosphère. Cela signifie adopter une politique de réduction de la consommation d’énergie et de développement des énergies renouvelables. Notez que l’expertise technique existe. L’Agence internationale de l’énergie a publié en 2008 un « Scénario 450 » permettant de limiter les gaz à effet de serre dans l’atmosphère à 450 parties par million d’équivalent CO2. Le 8 mars, la Commission européenne va publier un document sur l’efficacité énergétique montrant que celle-ci pourrait économiser 1 000 euros par ménage européen. Et le groupe d’énergéticiens négaWatt prépare pour l’été un nouveau scénario d’économies d’énergie. On sait faire. Ce qui manque, maintenant, c’est la volonté politique.