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Quelle utopie pour le mouvement Emmaüs ?


Texte de présentation

Germain Sarhy a fondé, il y a tout juste trente ans, une communauté Emmaüs devenue celle de Lescar-Pau. Cette Communauté est l’une des plus grandes de France avec ses 130 compagnons et compagnes, bénévoles, salariés et, durant l’été, ses dizaines de jeunes bénévoles internationaux.

Cette Communauté est surtout la plus originale puisqu’elle est devenue progressivement un véritable laboratoire d’alternatives sociales, économiques, agricoles, culturelles et d’habitat...

Chacun de nous croit bien connaître le mouvement Emmaüs car il appartient à notre histoire collective mais nous ignorons tout ce qui fait sa diversité et sa richesse.

Nous avons tous en mémoire la figure de l’abbé Pierre mais nous ignorons le vécu des diverses communautés. Beaucoup d’incompréhensions et parfois de méprises empêchent d’avoir une idée juste de ce qui constitue véritablement le mouvement Emmaüs. Ce qui s’invente à Emmaüs peut donc nous apprendre beaucoup sur la grande société et son devenir. Les communautés Emmaüs sont fondées sur de grands principes valables pour d’autres groupes. Celui d’être un lieu d’accueil inconditionnel pour des personnes en difficulté matérielle et morale ou qui désirent donner du sens à leur vie à travers un engagement.

Tel est le principe d’accueil inconditionnel défini par l’abbé Pierre et que défend la Communauté Emmaüs Lescar-Pau. Au-delà de cette vitrine, la Communauté Emmaüs Lescar-Pau est un lieu de luttes contre toutes les formes d’exclusion, un laboratoire inventant des alternatives. Avec la crise, elle est de plus en plus sollicitée par des personnes qui se trouvent dans une situation d’appauvrissement ou de recherche d’idéologie. La Communauté Emmaüs Lescar-Pau mérite bien ses qualificatifs : l’insoumise, la belliqueuse, la fraternelle.


Le livre est constitué d’un dialogue entre Germain Sarhy, le directeur de la communauté, et Paul Ariès. Il comprend aussi des témoignages d’amis de la communauté. Voici celui d’Hervé Kempf.

Les chemins du possible

Je suis venu à la communauté Emmaüs de Lescar en juillet 2011, pour participer à un débat avec Paul Ariès dans le cadre du Festival. N’y ayant passé que deux jours, je ne peux livrer que quelques impressions. La première, c’est que ces deux jours ont été à la fois très joyeux et très instructifs. Joyeux, parce que c’était la fête, que j’y ai retrouvé des amis, que les concerts étaient superbes, et qu’on s’est bien amusés. Sans doute est-ce là une des plus belles réussites de la communauté : elle rassemble des gens pauvres et qui viennent de la mouise, et ils fabriquent un grand rassemblement festif et rayonnant, loin de l’image misérabiliste et compassionnelle qu’on pourrait attendre. « OK, c’était la galère, et ça l’est encore souvent, mais ensemble, on peut vivre, et créer de beaux moments de rires et de chants », semblaient-ils nous dire.

Et instructifs, parce que la communauté a eu l’autre bonne idée de faire venir des mouvements engagés sur tous les terrains de la rebellion et de la construction d’une alternative. J’ai pu discuter – et apprendre, bien souvent – à propos des prisons, de l’Amérique latine, des luttes écologiques locales, par exemple. Et là encore, les amis d’Emmaüs nous adressaient un message : « OK, c’était la galère, et ça l’est encore souvent, mais ensemble, on peut lutter, réfléchir, imaginer l’autre monde qui est possible et désirable ».

Des trop courtes rencontres avec des membres de la communauté, je retiens quelques mots, quelques idées :

. « Le principe, ici, c’est la responsabilité, pas l’assistanat ». Et oui, l’enjeu est que chacun retrouve, s’il est tombé au bas de l’échelle - ce qui peut nous arriver à tous -, non seulement les moyens de la survie, mais une place dans la société où il pourra à nouveau apporter aux autres.

. « On ne veut pas de misérabilisme ». C’est-à-dire, si je comprends bien, que ce qui compte, ce n’est pas la compassion, mais la reconstruction.

. « On fait le pari du collectif. Ce n’est pas toujours simple avec des gens qui n’ont pas forcément choisi d’être là ». Il n’y pas qu’à Emmaüs que cette question se pose : c’est dans toute la société, dans tous ses sous-ensembles, où les gens n’ont que rarement choisi de vivre, qu’il faut susciter le « collectif », c’est-à-dire la volonté du bien commun et l’action concertée entre tous.

Et puis, ce que j’ai trouvé de plus original, de plus surprenant, c’est la démarche écologique assumée. Je venais pour discuter avec Paul sur le thème : « Les jeunes victimes des marques et de la pub ». Discuter de ça ici, dans ce camp où sont rassemblés tant d’objets rejetés par la société de consommation et qui y retrouvent une belle utilité, où sont recyclés tant de résidus de la propagande publicitaire qui emprisonne tant de cerveaux réduits à des machines à désirer, quel paradoxe ! Et pourtant, cela avait un sens réel. Parce que, comme me l’avait dit Germain Sahry, « à partir de la récupération, on prouve qu’on est dans une société de surconsommation » ; et puis que « c’est un combat politique de donner envie aux jeunes de sortir du consumérisme ». Dans ce lieu où échouent ceux que la société rejette, et où échoue aussi le capharnaüm rejeté par l’insatiable avidité stimulée par le capitalisme, on reconstruit, et des hommes et des femmes dignes, et des objets qui non seulement vont retrouver une utilité mais aussi, narguer en quelque sorte cette société qui à force de tout jeter finit par se jeter elle-même par-dessus bord.

Souvent, dans les débats que j’anime dans la foulée de mes livres, j’ai constaté que les gens les plus pauvres étaient très préoccupés d’écologie, contrairement au lieu commun. Parce qu’ils savent que l’écologie n’est pas un luxe, mais la condition de l’avenir et d’une société vraiment humaine. C’est ce que nous dit aussi la Communauté d’Emmaüs Lescar : les pauvres, les misérables, les sans abri peuvent être la sève d’une société devenue si riche qu’elle en devient aveugle sur sa possible destinée.

La joie, la responsabilité, la lutte, l’écologie : continuez, les amis, vous nous montrez le chemin des possibles.


Quelle utopie pour le mouvement Emmaüs ?, Germain Sarhy (éd. Golias, 132 p., 15 €).


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