Tribune —
Rio : une gouvernance mondiale de l’environnement face à la crise écologique ?
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Vingt ans après le sommet de la terre à Rio, l’environnement mondial s’est fortement dégradé. Le manque d’action commune des Etats en est une des principales causes.
Clément Boisson, Sebastianne Bostantzoglou, Victoire-Oriane Monleau, Ville Stohne, Yvonne Stürz et Pascal da Costa (1)
20 ans après, Rio se prépare de nouveau à accueillir un sommet de la Terre le 20 juin prochain. Faut-il ironiquement voir dans ce retour géographique, un retour à la case départ ? Le signe que tout reste à faire ? Ou ce sommet est-il, au contraire, l’occasion de se féliciter du progrès accompli ?
Depuis juin 1992 et le premier sommet de Rio, les négociations internationales se sont multipliées, signe d’une préoccupation croissante : trois sommets de la Terre, les conférences annuelles de la Convention Cadre des Nations Unies pour le Changement Climatique, dont le fameux Protocole de Kyoto de 1997 est issu, des programmes nationaux et régionaux, et plus de 500 Accords Multilatéraux sur l’Environnement (AME)… Force est de constater que ces avancées et autres AME coexistent souvent sans réelle coordination, que le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE), censé être le pilier des décisions internationales en matière d’environnement, ne dispose pas des moyens d’action nécessaires. Faute d’avoir un véritable chef d’orchestre, chaque pays joue sa propre musique.
Changement climatique, déclin de la biodiversité, érosion des sols, désertification et pollutions des océans… à l’heure où les signaux d’alarmes sur les périls qui nous menacent se multiplient, une redéfinition de la gouvernance mondiale de l’environnement s’impose de manière urgente. La réforme du cadre institutionnel du développement durable, sur laquelle nous allons revenir en détails, sera précisément un des deux thèmes majeurs (avec l’économie verte) qui cristallisera les débats, dans quelques semaines, à Rio.
Que s’est-il passé depuis Rio 1992 ?
Dans le but de faciliter l’évaluation des efforts accomplis par les pays signataires, l’ONU a récemment publié trois rapports détaillant la situation actuelle par rapport au plan d’actions adopté il y a 20 ans (2). Globalement, ces rapports ne sont guère réjouissants, car peu de progrès ont été constatés. A titre d’exemples :
- La déforestation se poursuit. Son taux est certes passé de 0,22% dans les années 1990 à 0,18%, mais ce chiffre masque une indéniable réalité : les forêts primaires disparaissent toujours à la même vitesse qu’il y a 20 ans (0,20% environ), seulement les démarches d’afforestation et de reforestation diminuent le taux global de déforestation.
- La diversité biologique se réduit comme une peau de chagrin. Depuis 1970, un déclin de 18% en Afrique subsaharienne, 55% en Amérique Latine, 66% dans le bassin Indo Pacifique…
- La diminution de la pauvreté dans le monde est plus lente que prévue. Entre 1990 et 2005, le nombre de personnes vivant dans une extrême pauvreté (i.e. avec moins de 1,25$ par jour) est passé de 1,8 milliards (soit 46% de la population mondiale) à 1,4 milliards (soit encore 27%), sachant que le revenu moyen de ces personnes, en 2005, n’est que de 0,88$ par jour ! La crise actuelle a aggravé la situation, avec en 2010, 64 millions de personnes supplémentaires par rapport aux prévisions vivant dans l’extrême pauvreté.
- Une aggravation des famines a même été observée dans certaines régions, au point que le nombre de personnes souffrant de faim chronique a dépassé en 2009 le triste record de 1 milliard.
- La consommation matérielle augmente fortement. Ainsi la consommation de ressources naturelles a augmenté de 50% en 25 ans (entre 1984 et 2009).
- Les inégalités s’élargissent dans le monde, en particulier dans l’Ouest de l’Asie.
- L’état de l’atmosphère se dégrade…
Quelques lueurs d’espoir éclairent cependant le sombre tableau :
- La mise en place d’Organismes Non Gouvernementaux (ONG) à toutes les échelles. En 1996, les Nations Unies modifient le rôle des ONG, grâce à la résolution 1996/31, en leur accordant un réel droit de participation et de collaboration.
- L’amélioration des instruments légaux mondiaux qui permettent des accords juridiquement contraignants. On peut citer le développement, depuis 1998, des Environnemental Impact Assessments à l’échelle nationale et des deux Conventions Access to Information Public Participation in Decision-making et Access to Justice in Environmental Matters.
- Les progrès du monde scientifique dans la recherche de techniques et procédés durables, par exemple en matière de traitement de déchets toxiques…
20 ans après, des progrès limités ont donc été accomplis
De nombreux traités internationaux présentent un bilan similaire. Le Protocole de Kyoto, seul accord international juridiquement contraignant dans ce domaine, aura été une première étape insatisfaisante sur le plan climatique. L’accord aura engagé peu de pays sur des objectifs chiffrés en matière de réduction des émissions de Gaz à Effet de Serre (GES) et pas assez ambitieux. L’accord n’aura pas été ratifié par le premier pays émetteurs de GES de l’époque, à savoir les Etats-Unis, dépassés depuis par la Chine. Et même si la France a respecté ses objectifs avant même l’échéance de 2012, le constat est sans appel au niveau mondial : depuis 1990, les émissions de GES ont augmenté de 40% ! L’échec de la conférence de Copenhague sur le climat, fin 2009, prouve combien il sera difficile de trouver un accord satisfaisant qui prenne le relai, en 2013, du Protocole de Kyoto. En outre, la crise économique actuelle concentre toute l’attention des politiques et des médias, au détriment des questions climatiques et environnementales.
Pourquoi le système international est-il bloqué en matière environnementale ?
Les raisons du blocage sont avant tout structurelles.
Première cause de ce blocage : nous vivons dans un monde dominé par une âpre concurrence économique. Or le concept de développement durable doit s’accompagner d’un renoncement volontaire à l’exploitation ou la surexploitation de certaines ressources rares, et peut impliquer une baisse des rendements ou de la productivité. Quel pays accepterait d’accomplir un tel sacrifice ? Au risque de voir ses concurrents étrangers le dépasser ? L’année dernière, le Canada a préféré poursuivre l’exploitation intensive de ses sables bitumineux (la production d’un baril de pétrole via les sables bitumineux produit autant de GES [gaz à effet de serre] que la production de trois barils de pétrole conventionnel) au prix de sa sortie définitive du protocole de Kyoto. Tant que chaque pays accordera égoïstement la priorité à ses performances économiques de court terme, au lieu de se plier à l’intérêt global de la planète, la situation ne pourra pas changer.
La gouvernance environnementale actuelle souffre également de graves lacunes institutionnelles qui ont empêché la mise en œuvre effective des règles protectrices de l’environnement. C’est la deuxième cause du blocage. Inutilement complexe, fragmentée, désunie, elle est au cœur de l’échec de la démarche entreprise il y a plus de 20 ans. Plusieurs conventions ont été signées concernant un même problème environnemental, sans que la répétition d’engagements pris n’en favorise l’application. De plus, les différents secrétariats des Conventions sont éloignés géographiquement et interagissent peu entre eux ; les fonds ne sont pas répartis de manière équitable. Il en résulte de nombreuses contradictions et incompatibilités.
La faiblesse du Programme des Nations unies pour l’environnement
La fragmentation du système est due à l’absence d’une direction dotée de l’autorité nécessaire. Le PNUE a le statut de programme, et non d’agence spécialisée au niveau des Nations Unies. Le PNUE n’a ensuite pas de voie de communication directe avec l’Assemblée Générale des Nations Unies : l’information transite par le Conseil Economique et Social des Nations Unies qui joue le rôle de filtre limitant le pouvoir et affaiblissant la voix du PNUE. Ce dernier n’est ainsi pas parvenu à gérer d’une manière coordonnée et cohérente toutes les institutions s’occupant de l’environnement, ni à imposer les règles pourtant présentes dans les accords ratifiés par les Etats.
La spécificité du PNUE a été remise en cause après le sommet de Rio en 1992, lorsque le champ d’action des institutions existantes s’est élargi aux problèmes environnementaux. Le PNUE affronte la concurrence d’organisations qui n’étaient pas très engagées jusqu’alors dans l’environnement (Programme des Nations Unies pour le Développement, Banque Mondiale) voire pas du tout (OMC, FMI), ou absentes au moment de sa création (le Fonds pour l’Environnement Mondial, la Commission du Développement Durable…) : les diverses institutions, au lieu de collaborer, se gênent mutuellement. La localisation géographique du PNUE, excentrée à Nairobi, est aussi problématique, notamment à cause des années d’instabilité qu’a connues le Kenya. Enfin, le financement du PNUE se fait par des donations volontaires des Etats membres qui restent bien inférieures aux dotations des autres agences des Nations Unies. Il apparaît aujourd’hui comme une institution peu crédible, qui a peu de poids face à d’autres organisations plus puissantes qui refusent de se plier à ses recommandations.
Le problème institutionnel ne sera pas résolu tant que les Etats ne manifesteront pas une réelle volonté politique d’action, car ce sont ces mêmes Etats qui créent les institutions et décident de leur financement et de leur pouvoir. Aussi longtemps que les Etats ne seront pas prêts à agir activement en faveur du développement durable, ils s’opposeront à une redéfinition du cadre institutionnel et à une réallocation des pouvoirs, notamment contraignants, accordés à ces institutions.
Troisième cause de blocage : le système onusien actuel ne prend pas suffisamment en compte la société civile. Le principe 10 de la Déclaration finale du sommet de Rio de 1992 affirme pourtant que « la meilleure façon de traiter les questions d’environnement est d’assurer la participation de tous les citoyens concernés, au niveau qui convient ». Les Etats ne doivent pas être les seuls à pouvoir décider de l’avenir de la planète : les entreprises, les associations, les collectivités locales, les scientifiques, les syndicats, les ONG… sont des acteurs indispensables dans l’application des décisions gouvernementales et internationales, et doivent être impliqués dans les négociations.
Le système actuel ne permet pas une participation efficace des citoyens aux directives mondiales, et le public n’est pas informé de manière transparente, rapide et équitable. Ajouté à cela, les scientifiques ne sont pas suffisamment sollicités ni écoutés, alors que leur rôle est d’informer les décideurs politiques et les autres parties prenantes. Quant aux entreprises, elles ont besoin de réglementations et d’incitations fiscales pour favoriser leurs investissements dans les secteurs verts et développer ces nouveaux marchés.
Ainsi, les causes du blocage foisonnent, mais elles restent toutes liées au cadre institutionnel. Si ce dernier était plus contraignant, il viendrait à bout de la réticence des Etats à agir. Une modification du cadre institutionnel permettrait au système d’impliquer davantage la société civile dans les processus de décisions, et par là-même de venir à bout du blocage…
Quelles sont les solutions pour sortir de cette impasse ?
Un des deux grands objectifs du sommet qui va s’ouvrir à Rio est de renforcer le cadre institutionnel. Or le débat sur la gouvernance internationale de l’environnement n’est pas nouveau. Il portait déjà sur la nécessité de créer une organisation internationale chargée de gérer les problèmes environnementaux à l’échelle de la planète, dès 1972, au moment de la décision de créer le PNUE. En 1998, l’ONU avait mis en place une Equipe Spéciale sur l’Environnement et les Etablissements Humains, présidée par le PNUE : sa mission consistait à démontrer la fragmentation institutionnelle du système et le manque de coordination entre les différentes institutions. En février 2001, le Groupe Intergouvernemental de Ministres (GIM) était créé par le conseil d’administration du PNUE : il lui incombait la tâche d’identifier les besoins et les options futurs, afin de renforcer la gouvernance internationale environnementale. Cependant, le GIM s’est vite heurté à la méfiance des pays en développement et à une certaine hostilité de la plupart des pays industrialisés (sauf le Canada et l’Union européenne). Après l’échec du GIM, les efforts se sont essoufflés, tout comme les progrès en matière de redéfinition des institutions et d’amélioration de leur efficacité. La Commission du Développement Durable, mise en place à Rio 1992, fut un nouvel échec et n’a fait que s’ajouter à la jungle institutionnelle du système international de l’environnement.
A Rio+20, deux orientations possibles sont envisagées, entre lesquelles il faudra trancher : la création de nouvelles institutions et la réforme des institutions actuelles. Plusieurs options peuvent être distinguées (que l’on peut bien sûr combiner) parmi lesquelles : la transformation et le renforcement du PNUE ; l’élargissement du Fond pour l’Environnement Mondial ; la transformation du Conseil de tutelle de l’ONU ; une intégration partielle du PNUD et du PNUE ; le renforcement de la Commission du Développement Durable ; la création d’un tribunal international de l’environnement ; et la création d’une Organisation Mondiale de l’Environnement (OME). A ces options s’ajoutent le regroupement des AME et le renforcement de leur secrétariat.
Quelle est la position de la France sur cet épineux sujet ?
« Je vais me battre à mort sur l’OME » déclarait Nicolas Sarkozy devant les medias à la veille de la conférence de Copenhague. L’engagement bruyant du chef d’Etat fit alors couler beaucoup d’encre. Pourtant, ses propos ne marquaient aucune innovation : deux ans auparavant, Jacques Chirac avait déjà suggéré la création d’une « organisation mondiale ». De nombreuses associations de défense pour l’environnement, et des personnalités politiques françaises (chez Les Verts) avaient déjà proclamé cette nécessité. Quoi qu’il en soit, cette question ne fut que peu évoquée à Copenhague. De nombreux Etats, parmi lesquels figuraient les Etats-Unis, la Chine et la plupart des pays émergents du G77, s’opposèrent fermement à cette idée.
La question essentielle porte sur la forme que pourrait prendre cette OME. Quel modèle adopter ? Plusieurs visions s’opposent encore. Si certains souhaitent une création presque ex nihilo d’une telle institution, d’autres, comme l’Europe et la France traditionnellement, soutiennent qu’il ne faudrait pas la créer de toutes pièces mais convertir le PNUE actuel en « agence spécialisée des Nations unies pour l’environnement basée à Nairobi, pour remédier à la fragilité du système actuel » (site du Ministère de l’écologie), lui donner une participation universelle, une contribution obligatoire et un mandat étendu.
Vers une Organisation Mondiale de l’Environnement ?
Indéniablement, il est urgent de doter la communauté internationale d’un outil efficace pour faire face aux défis environnementaux. Le commerce avec l’OMC, la santé avec l’OMS, la culture avec l’UNESCO, l’alimentation avec le FAO disposent tous d’institution internationale indépendante et autoritaire, alors que l’environnement semble être le grand absent. Sans ciment et sans architecte, n’est-il pas vain d’espérer construire un tel pilier avec les 500 briques que sont les AME ? L’OME pourrait bien être le ciment manquant à ces 500 accords. En les consolidant et en les fusionnant, en coordonnant efficacement les acteurs multilatéraux du développement, elle permettrait d’améliorer l’efficacité des actions politiques actuelles. Cette solution semble la meilleure.
Mais cette organisation ne sera réellement adaptée à la situation que si elle répond à un certain nombre de critères. Tout d’abord, l’OME doit instaurer une stratégie internationale de développement durable et définir clairement des priorités d’action. Elle doit surtout assurer un suivi des engagements et être en mesure de sanctionner les acteurs qui ne respectent pas les objectifs fixés. Cela suppose que l’OME soit un organisme indépendant, sur un pied d’égalité avec les autres grandes agences de l’ONU et qu’elle dispose de l’autorité nécessaire pour intervenir sur le terrain. Pour cela, elle doit pouvoir s’appuyer sur un cadre juridiquement contraignant et une juridiction obligatoire en cas de violation de traités ou d’accords (création d’une Cour internationale pour la défense de l’environnement ?). Par ailleurs, il semble important de n’accorder aucun droit de véto, afin que des mesures d’intérêt général ne soient pas bloquées par les réticences égoïstes de certains pays.
Enfin, la question de la représentation : tous les Etats devraient siéger à l’OME (actuellement, seuls 58 Etats sont représentés au PNUE). L’OME devrait être adaptée à tous les pays, et plus particulièrement aux pays émergents qui ne se sentent pas encore suffisamment impliqués dans les processus de prise de décision. L’OME devrait aussi associer davantage la société civile aux débats sur l’environnement, grâce à un dialogue avec des acteurs jusqu’ici délaissés. Ainsi, les acteurs non gouvernementaux pourraient anticiper les normes environnementales, afin d’accompagner efficacement leur mise en œuvre. Il importe aussi de mettre en place des groupes d’experts intergouvernementaux pour l’ensemble des enjeux environnementaux (à l’image du GIEC pour le climat ou de l’IPBES pour la diversité biologique).
Mais cette OME n’est-elle pas une douce utopie ? Une telle organisation, dont la création devrait se soumettre à l’approbation des Etats, ne risque-t-elle pas de ne jamais voir le jour si ces derniers craignent qu’elle ne devienne trop puissante ? Pour assurer une implication de chaque pays, ne faudrait-il pas mettre en place des mécanismes juridiques et financiers innovants ? Pourquoi ne pas imaginer un système d’incitation fondé sur des bonus/malus ? Voire tout autre système qui favoriserait l’émergence d’une saine concurrence en faveur de la protection de l’environnement entre les Etats ? Autant de questions qui animeront bientôt Rio+20 et dont les réponses (espérons qu’il y en ait !) engageront l’humanité pour les 20 années à venir.
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Notes :
(1) Cet article est issu d’un dossier réalisé par cinq étudiants-ingénieurs de deuxième année de l’Ecole Centrale Paris (ECP), dans le cadre du cours de développement durable placé sous la coresponsabilité de Pascal da Costa (économiste) et Estelle Iacona (énergéticienne).
(2) Les rapports sont disponibles en lignes :
http://www.un.org/esa/dsd/dsd_sd21s...
http://www.un.org/esa/dsd/dsd_sd21s...
https://www.un.org/esa/dsd/dsd_sd21...