Média indépendant, en accès libre pour tous, sans publicité, financé par les dons de ses lecteurs

Un lieu magique menacé par l’absurdité

En Lozère, un parc écologique et culturel, le Vallon du Villaret, accueille avec succès depuis des années des visiteurs enchantés. Mais l’administration fiscale veut lui appliquer un taux élevé de TVA, alors qu’Eurodisney ou le Parc Astérix ont droit à un taux réduit. L’enjeu, c’est la disparition de ce site dans un département déjà pauvre.


Grave menace sur le Vallon du Villaret

Le Vallon a fait l’objet d’un contrôle fiscal durant l’automne et l’hiver qui n’a donné lieu à aucune remarque concernant la gestion et la comptabilité, nous sommes sérieux et rigoureux.

Mais... car il y a un gros mais...

Vous vous rappelez sans doute qu’à l’automne dernier le gouvernement avait voulu passer la TVA des parcs à thème de 5.5 à 19,6%, il avait renoncé devant les risques de déstabilisation de ce secteur économique important pour l’animation des territoires.

Et bien, il a UN parc à thème en France que l’administration fiscale entend passer de 5,5 à 19,6, et pas seulement à partir du 1 janvier 2012, mais avec effet rétroactif depuis 2008. Cela met tout simplement en péril ce lieu unique qui fonctionne depuis 20 ans.

C’est l’un des plus petits parcs à thème de France, avec 38 000 visiteurs annuels, de 2 à 15 salariés selon les saisons. Il est implanté dans le département le moins peuplé de l’hexagone, la Lozère, au nord des Cévennes, dans le territoire récemment classé par l’Unesco.
Et c’est le seul parc à thème de France qui n’ait aucun manège, ni aucun jeu acheté à des marchands, il travaille seulement avec des créations d’artistes contemporain, des installations uniques... C’est le Vallon du Villaret.

C’est un endroit singulier, unique en France. C’est à la fois un jardin contemporain, un centre d’art et un parc d’attraction sans attraction : les installations qu’on y trouve sont des créations d’artistes.

Art, jeu, nature, les trois axes du Vallon du Villaret

Le Vallon est la seule structure du département ayant une démarche permanente dans les champs des arts plastiques, ou visuels. Exposition d’artistes de qualité, dans une Tour du XVI° classée Monument Historique
(ISMH), résidences d’artistes, nombreuses actions en milieu scolaire. Le lieu dispose d’un service éducatif avec détachement d’un enseignant (DRAC/Rectorat) / 20 ans de partenariat avec la DRAC L/R, le Conseil Général de la Lozère et le Conseil Régional Lang/Roussillon. / Dépôt permanent dans le parc d’une œuvre monumentale du FRAC Lang/Rouss. Et c’est un lieu fréquenté par un public de tous niveaux socioculturels. C’est un lieu populaire d’art contemporain.

Au Vallon, on découvre, on s’interroge et on s’amuse, mais avec des œuvres conçues par des artistes relevant de différents champs : plasticiens, scénographes, métiers d’art ou artistes singuliers. Toutes sont des créations originales, uniques répondant à des exigences artistiques. Aucune n’a été achetée à des marchands de jeu.

Depuis 1995, le Vallon est classé dans la famille des jardins. Il est intégré aux jardins du Languedoc-Roussillon et à ceux du Massif Central. Quand l’éditeur d’art réputé Thames et Hudson publie en Angleterre et aux Etats Unis un livre sur 18 nouveaux jardins français parmi les plus réputés, comme le Domaine du Rayol, Coursan ou le festival de Chaumont sur Loire, il inclut le Vallon dans cette liste et lui accorde 6 pages. Un guide des jardins du L/R qui vient de sortir (Ed. Ouest France) l’appelle « un parc d’abstractions ».

Depuis son ouverture en 1993, (sous l’appellation "un jardin extraordinaire : art, jeu et nature") le taux de 5,5 était appliqué aux recettes sur les entrées.

Or suite à plusieurs mois d’échanges écrits et de rencontre contradictoire, l’administration fiscale nous écrit (je synthétise) :

"Désormais pour nous, dès qu’une œuvre est touchée, manipulée par le public, ce n’est plus une œuvre mais un jeu. Seules les œuvres statiques ont pour nous valeur d’oeuvre.

Vous auriez du comptabiliser la TVA sur les entrées avec une partie artistique à 5,5%, et une partie ludique à 19,6%.
Comme vous ne l’avez pas fait, nous vous redressons sur vos recettes de 2008, 2009, 2010, 2011. Et nous vous considérons désormais comme un parc ludo récréatif."

Voilà synthétiquement ce qui nous a été écrit. Et nous avons reçu l’ordre de payer.

Avant de parler des conséquences économiques que cela aura pour nous,
je voudrais souligner les absurdités de ce dossier :

Deux collectivités, le Conseil Général et le Conseil Régional, dont les directions culturelles connaissent le Vallon depuis 20 ans, ont écrit, par la voix de leurs Présidents, que le Vallon n’est pas un parc ludo récréatif, mais un lieu culturel.

Trois services de l’Etat, Jeunesse et sport, Education Nationale, et le Ministère de la Culture et de la Communication ont écrit et argumenté que le Vallon n’est pas un parc ludo récréatif, mais bien un lieu culturel.
Le Préfet de la Lozère Mr Vignes, est venu visiter le Vallon début avril, sans prendre position sur le plan fiscal, il considère aussi que le Vallon n’est pas un parc ludo récréatif, mais un lieu culturel.

Alors qu’est ce que c’est que cette histoire absurde ?

Comment se fait il que malgré la concordance de toutes ces données, l’Administration fiscale, maintienne sa position ?

Des précisions sur le taux de TVA dans les lieux de visites

En matière fiscale, le taux normal est généralement appliqué, et le taux réduit est une exception. Dans le champ des lieux de loisir à entrée payante, c’est l’inverse. Le taux réduit s’applique à 95% du marché : tous les parcs d’attractions, les fêtes foraines, les parcs animaliers,les grottes,les expositions culturelles et les jardins (à la condition que le botanique soit l’intérêt premier) sont à taux réduit.

Seule une toute petit partie du marché est à 19,6% : les parcs aquatiques, les bases de loisir et de plein air, les parcs acrobatiques en hauteur, et les parcs ludo récréatifs "piscine à boules et jeux gonflables".

C’est à ces derniers que le Vallon est désormais fiscalement assimilé.

On applique le taux réduit aux industriels du loisir qui attachent les enfants sur des manèges, et on viendrait appliquer le taux plein à une TPE créative et responsable qui oeuvre en milieu rural, en zone de montagne ? et qui a choisi art contemporain et pédagogie comme axes de travail, depuis 20 ans ? Nos clients devraient payer 2,5 fois plus de TVA que ceux de Disney ?

On croit rêver... Pourquoi pas taxer aussi les auberges rurales ou les produits de l’agriculture bio à 19,6 ? En laissant les multinationales de la restauration ou de l’agroalimentaire au taux réduit. On est en pleine absurdité.

Les conséquences financières sont pour nous dramatiques

Nous sommes une entreprise qui augmente chaque année ses salariés, qui dispose de fonds propres, permettant de surmonter une météo catastrophique, et bénéficie de la confiance des banquiers pour poursuivre ses investissements.

Ce qui nous est demandé pour 2008 à 2011, plus ce qui va nous être imputé en 2012 pour les mêmes raisons, c’est 160 000 €, près de la moitié d’un chiffre d’affaire annuel. Nous ne les avons pas.

Je croyais que nous étions une entreprise debout, mais cette situation nous met à genoux.

Le Vallon du Villaret : une entreprise responsable

En 20 ans, le Vallon du Villaret a connu des hauts et des bas.
Il a eu la chance, contrairement à beaucoup d’autres, de voir sa fréquentation croitre régulièrement de 1993 à 2001, augmentant progressivement sa renommée, de 14 000 jusqu’à 53 000 visiteurs en 2001.

Puis sa fréquentation a baissé de 20% en deux ans, avec l’émergence de nombreux petits lieux de loisir, et celle de Micropolis au sud et Vulcania au nord. Suite à deux années de perte, il a fallu réinterroger tous les fonctionnements. Cela a été fait. Nous sommes 6 ans plus tard. L’entreprise avait relevé la tête, consolidé ses bases, entretenu et développé les outils de travail.

En décembre 2011, la société a fini de rembourser intégralement tous les emprunts effectués par le SDEE pour sa réalisation initiale. C’est le seul lieu structurant parmi les 4 créés en Lozère depuis 1990 qui ait réussi cet équilibre. Le Bélvédère des Vautours a été revendu à perte, les Bisons d’Europe ont tenu grâce aux cotisations des communes mais n’ont pas trouvé de repreneur privé, le Domaine des Boissets est actuellement intégralement à la charge de la collectivité.

Ce n’est pas si simple de faire vivre dans la durée un lieu loisir/culture.

Actuellement, c’est la 20° année du Vallon, plus de 700 000 visiteurs accueillis. Il est labellisé Qualité Tourisme, et Qualité Sud de France.
Il est adhérent de Cévennes Eco tourisme, recommandé à ce titre par le
Parc National des Cévennes. Dans le cadre des ses engagements environnementaux, le Vallon vient de financer durant trois ans, une étude d’impact sur la rivière qui le traverse, elle a été effectué par la Féderation Départementale de Pêche, et les conclusions sont bonnes.

C’est un lieu qui est ouvert 7 mois par an, alors que seuls trois sont rentables. Objectifs : dynamiser le territoire, et développer l’emploi.

C’est un moteur pour l’économie locale, tous les professionnels de l’hébergement du secteur le disent : le Vallon les fait travailler. C’est l’un des lieux les plus visités du département. C’est un atout incontestable pour le département sur le plan touristique comme sur le plan culturel.
C’est un lieu populaire d’art contemporain.

La SA le Villaret a choisi dés son ouverture qu’une partie conséquente des recettes sur les entrées (55 000 € /an en moyenne) soit reversée à l’Association l’enfance de l’art, et permette de financer par exemple des interventions en milieu scolaire menées sur tout le département.

Elle a choisi aussi dés 1993, qu’un jour par semaine, le samedi, l’entrée au Vallon soit gratuite pour les demandeurs d’emploi.

C’est une entreprise qui était innovante à sa création et qui l’est toujours puisqu’elle n’a pas été copiée au plan national, et s’appuie sur la création contemporaine pour se développer.

Alors si ce qu’on pourrait appeller "une absurdité légale" peut couler une entreprise telle que celle là, c’est à désespérer du monde.

Les Services Fiscaux voudraient nous amener vers un prorata des recettes à taux plein et à taux réduit.

Mais, il y a un an, les Services des Domaines ont estimé la moitié du Vallon, ils ont estimé les toilettes et l’atelier d’artiste, mais ont refusé d’estimer les installations d’artistes en nous disant "les oeuvres de l’esprit sont inestimables".

Alors comment pourrions nous chiffrer, quantifier objectivement une part « art » au taux réduit, une part « jardin » au taux réduit et une part « jeu » à 19,6% ? Comment évaluer, chiffrer tout ce qui est flore, paysage, patrimoine, qui nous fait appartenir à la famille des jardins ? Et puis il faut une base stable, durable, on ne peut pas avoir un prorata remis en question chaque année selon les humeurs des inspecteurs, ou la quantité, ou la valeur des oeuvres présentées.

A cette situation déjà complexe, s’ajoute leur point de vue caricatural : dès qu’une œuvre est touchée, manipulée par le public, elle perd son caractère d’œuvre pour devenir un jeu.

Nous avons contacté le Snelac, c’est LE syndicat professionnel et patronal ouvert à tous les sites de loisirs recevant un public familial dans un espace clos et aménagé : parcs d’attractions, parcs aquatiques ou animaliers, parcs à thème ou à vocation scientifique, sites culturels et sites naturels …
Le SNELAC fédère actuellement plus de 220 adhérents dans leur diversité de Disneyland, Astérix, Futuroscope, Aqualand, Puy du Fou, Tour Eiffel à des entreprises régionales ou familiales employant moins de dix salariés et réparties sur l’ensemble du territoire français.
70 millions de visites par an, 23 000 salariés, 2,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires.

Parmi leurs adhérents, certains ont une TVA à 5,5 et d’autres à 19,6 (parcs aquatiques) mais à leur connaissance, aucun de leurs adhérents n’est soumis à du prorata.

Alors pourquoi donc, vient-on ainsi attaquer le Vallon du Villaret ?
S’agit-il d’une première, avant d’aller chercher du prorata chez d’autres ?

Comprendre les incidences de la TVA
Pour la saison 2012, nous ne pouvons pas les augmenter nos tarifs puisque plus de 5000 personnes ont consulté nos tarifs sur internet. Ce serait chaque jour des conflits, alors nous maintenons les tarifs 2011, mais nous aurons environ 30 000 € de TVA supplémentaire à reverser, et donc autant en moins dans nos recettes. Nous serons donc encore un peu plus fragilisés.

Pour 2013, il nous faudra augmenter nos tarifs, ce sont donc nos visiteurs qui vont payer plus cher. Près de 13% plus cher. Alors nous perdrons les visiteurs qui ont de faibles revenus.

Mais pourquoi donc, nos visiteurs devraient-ils 2,5 fois plus de TVA que ceux des fêtes foraines et des parcs d’attractions ?

Le secteur économique des parcs à thème

Tous les territoires rêvent de lieux structurants « culture/loisir », ce sont des moteurs pour l’économie touristique, essentiels pour de nombreux territoires.

C’est un secteur difficile, forte saisonnalité, frais de personnel important, investissements lourds, c’est un poids financier pour les collectivités, car il est exceptionnel que les recettes couvrent les investissements. Ce sont le plus souvent les collectivités qui s’y investissent, sous forme de SEM.
Au plan national il y a eu de nombreux fiascos comme Capdécouvertes dans le Tarn...66 millions d’euros d’investissements, pour une fréquentation équivalente à celle du vallon...

Actuellement en Alsace, le Bioscope (Compagnie des Alpes/Caisse des Dépôts) 40 millions d’euros d’investissement, affiche 24 millions d’euros de pertes d’exploitation en 6 ans.

Micropolis, sa fréquentation annuelle est 2 à 3 fois celle du vallon, mais l’investissement est 45 fois le nôtre. Vulcania, sa fréquentation annuelle est 10 fois celle du vallon, l’investissement est 75 fois le nôtre. S’ils couvrent leur frais de fonctionnement, une part, parfois grosse, des investissements reste à la charge de la collectivité, donc du contribuable.

Pour justifier cette charge, toutes les SEM cherchent à chiffrer les retombées induites et la collectivité apporte souvent des aides à l’exploitation.

En Lozère, le Belvédère des vautours a été revendu à perte à des privés. Pour les Bisons d’Europe, l’investissement a été couvert en grande partie par les 105 communes adhérentes, et l’été dernier il n’y a pas eu de candidat privé à la reprise, c’est une SEM qui en reprend la gestion. Au domaine des Boissets, le coût des investissements est actuellement à 100% à la charge du Conseil Général.

Sur les 4 départements de montagne mitoyens (Aveyron, Haute Loire, Cantal, Lozère) en vingt ans, en création de lieu structurants culture ou loisir, plus de 30 00 visiteurs/an, une seule initiative privée a vu le jour (en partenariat avec les collectivités) : le Vallon du Villaret.

Et il faudrait la mettre en péril ?


📨 S’abonner gratuitement aux lettres d’info

Abonnez-vous en moins d'une minute pour recevoir gratuitement par e-mail, au choix tous les jours ou toutes les semaines, une sélection des articles publiés par Reporterre.

S’abonner
Fermer Précedent Suivant

legende