Tribune —
Vive le temps partiel !

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Pendant que M. Hollande fait de nouveaux cadeaux au patronat, la flamme de l’alternative ne s’éteint pas. Et plutôt que le chômage, l’idée du partage du travail est toujours bien vivante.
Pour quiconque appelle de ses vœux l’émergence d’une société écologique, la place accordée au travail devient une (peut-être même LA) question centrale. Et qui décide de s’y intéresser, et s’attelle quelques instants à torturer le mot travail, en conclut sans tarder qu’il convient de distinguer travail et emploi.
Admettant (pour mieux la critiquer) l’actuelle centralité de ce dernier, on postule sans difficultés qu’on bosse trop, parce qu’on produit trop et que par voie de conséquence, injonction nous est faite de consommer trop… Certes la démonstration est un peu rapide, mais nous adressant aux lecteurs de Reporterre nous faisons l’économie du constat (a priori partagé) pour développer plus avant notre proposition.
Déduction logique de ce qui précède : il faut bosser moins ! Mais comment ? De quelles marges de manœuvre disposons-nous, en tant qu’individus, pour ajuster notre temps d’emploi ? Le droit français prévoit un accès (quasi) automatique au temps partiel, pour changer des couches (avec le congé parental d’éducation) ou s’en remettre une couche (en créant une entreprise).
Pas envie de rajouter du turbin au turbin, pas de bambins ou déjà grands, juste envie de faire autre chose (quoi que ce soit), vous bénéficiez d’un très généreux droit... de demander. Droit de demander qui, vous l‘aurez compris, accorde à votre employeur un droit de refuser. Et il ne s’en privera pas !
En effet, moins d’un quart des demandes de temps partiel (hors congés parentaux ou pour création d’entreprise) sont acceptées par les employeurs [1]... Vous aviez déjà sérieusement élaboré votre projet, commencé à faire des plans sur la comète, désolé de vous décevoir mais ça n’est pas vous qui décidez (de votre vie). C’est votre employeur !
Nous avons créé la coopérative d’inactivité
Ça vous est insupportable ? À nous aussi ! C’est pourquoi nous avons créé une coopérative d’inactivité qui, pour paraphraser André Gorz, est un non statut pour la non classe des non travailleurs.
Un autre « mot obus » (comme dirait Paul Ariès) pour un collectif qui s’est tout de même donné pour objectif concret de militer pour la création d’un droit inconditionnel au temps partiel (à l’image de ce qui existe aux Pays-Bas).
Notre hypothèse est qu’en légitimant, par le droit, le temps choisi, nous soulagerons les individus de cette pression à la conformité qui les amène (malgré eux) à se soumettre à la norme du temps plein (et à la norme de surconsommation qui va avec).
Car cette stigmatisation que laisse craindre le pas de côté est un obstacle qui semble difficilement surmontable pour nombre de nos concitoyens : seuls 10% des français ont demandé et obtenu un temps partiel alors même qu’un sur deux souhaiterait baisser son temps d’emploi.
Si l’accès au temps partiel devient un droit inconditionnel reconnu à tout employé, la subversion n’en deviendra que moins coûteuse. Il faudra toutefois que certains s’y jettent et constituent, comme les appelle Moscovici (pas celui qui squatte le ministère des finances et de l’économie, dont nous n’espérons pas grand chose, mais bien son père, le brillant psychologue social), des minorités actives (à bon entendeur…).
La coopérative d’inactivité est donc une plate forme de revendication pour une croissance exponentielle de l’intensité en liberté des individus. C’est l’argument premier, et il se suffit à lui-même.
D’autres peuvent être avancés, auxquels nous souscrivons : un plus juste partage des tâches domestiques (si les hommes bossent moins ils seront plus susceptibles d’assumer leur part du travail domestique), une amélioration de la santé (le temps partiel choisi pouvant être assimilé à un droit de retrait face aux nuisances physiques et psychologiques générées par l’emploi) ou encore réduction de l’empreinte écologique des individus (corrélation mise en lumière par Juliet Schor entre temps d’emploi, pollution et surexploitation des ressources naturelles)… la liste n’est pas exhaustive, à chacun selon ses goûts.
En ce qui nous concerne, notre religion est faite : le seul dogme de notre église coopérative est de contribuer au renforcement du pouvoir des individus sur leur propre vie, en sacralisant la valeur temps libéré. Amen.
Note
[1] Conséquence d’une société sexiste, les femmes sont, une fois n’est pas coutume, moins mal loties que les hommes. En effet, selon les chiffres du ministère des droits des femmes, 27 % des demandes des femmes sont acceptées, contre 14 % des demandes des hommes.
Non au temps plein subi ! Plaidoyer pour un droit au temps libéré, paru en octobre 2013 aux éditions du croquant.