À Antibes, les écologistes s’attaquent aux yachts des hyper-riches

À Antibes, le 24 septembre 2022. - © Mathilde Frénois / Reporterre
À Antibes, le 24 septembre 2022. - © Mathilde Frénois / Reporterre
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Luttes Transports OcéansDes militants d’Attac ont bloqué l’accès au « quai des milliardaires » à Antibes, où sont amarrés les yachts géants. Ils dénoncent la destruction de la planète causée par le mode de vie des ultrariches.
Antibes (Alpes-Maritimes), reportage
À Antibes, les méga-yachts s’amarrent à l’abri des regards. Il faut monter sur les remparts, ou glisser un œil à travers le portail du quai, pour apercevoir ces géants des mers. Samedi, les militants d’Attac France ont enchaîné ce portail, bloquant l’entrée du bien nommé « quai des milliardaires ». Les quinze activistes dénoncent le mode de vie des « ultrariches » qui « détruisent la planète ». Une plaque symbolique est posée : le quai des milliardaires devient le « quai des criminels climatiques ».
« Le gouvernement encourage aux petits gestes. On nous dit que c’est important de couper le wifi ou de baisser le chauffage. Et dans le même temps, rien n’est fait pour empêcher les ultrariches de détruire la planète, dit le porte-parole d’Attac France, Raphaël Pradeau. Comment justifier que ces bateaux font des tours en rond dans l’eau pour s’amuser tout en crachant 4 000 litres d’essence pour 100 kilomètres ? » La veille, les activistes avaient bloqué l’aéroport du Bourget d’où décollent les jets privés. Ces deux actions conjointes font suite à l’appel lancé par Attac pour « désarmer les criminels climatiques ». Les militants demandent l’interdiction des méga-yachts et des jets privés, la fin des subventions aux énergies fossiles et, plus largement, la taxation des superprofits.

Lui aussi a été rebaptisé. Derrière le portail, le méga-yacht Al Raya est à quai. Avant, il s’appelait Dilbar. Son nom change en fonction des propriétaires, d’abord un oligarque russe et aujourd’hui une famille du Bahreïn. Selon le compte Twitter Yacht CO₂ Tracker, le navire a brûlé, lors d’une croisière entre le 27 août et le 8 septembre, 110 000 litres de carburant, soit 280 tonnes de CO₂. Une consommation équivalente à 28 ans de vie d’un Français moyen. Avec ses 110 mètres, Al Raya a toute sa place au quai des milliardaires. Le port Vauban d’Antibes se targue d’être le « premier port de plaisance de Méditerranée ». « Fleuron du yachting international », il dispose de 18 postes d’amarrage pour des yachts mesurant jusqu’à 160 mètres.
1 200 litres par heure
C’est Stéphane qui a enchaîné le portail. Il laisse sortir, mais personne n’entre. Il y a dix ans, ce Niçois était matelot à bord de yachts entre 24 et 40 mètres. « Un bateau rapide, ça peut consommer 1 200 litres par heure en faisant du 25 nœuds. Tout ça pour aller manger à la plage de Pampelonne et revenir le soir, raille le militant. Les groupes électrogènes tournent toute la soirée pour que le cuistot cuisine, pour la climatisation, pour le désalinisateur. C’est de l’hôtellerie sur l’eau. Vu les enjeux environnementaux actuels, et l’impact qu’ont ces bateaux qui sont des objets de loisir et de faire-valoir social, ça n’a plus lieu d’être. »

Yacht CO₂ Tracker a recensé les pavillons qui ont accosté à Antibes ces trente derniers jours : 38 étaient immatriculés aux îles Caïmans, 15 à Malte, 6 aux îles Marshall, 4 sur l’île de Man et 3 aux îles Cook. « Ce ne sont donc que des paradis fiscaux, relève Raphaël Pradeau. Non seulement les ultrariches détruisent la planète par leur consommation, mais en plus ils ne paient pas d’impôts. Or pour financer la bifurcation écologique, nous allons avoir cruellement besoin des milliards d’euros qui échappent à l’impôt à cause de toutes les formes d’évasion fiscale. »
Après une heure de blocage sous la pluie et le relevé des identités par la police, les activistes rouvrent l’accès. Membres d’équipage et sous-traitants regagnent le quai. À Antibes, les saisonniers et les commerçants vivent du yachting. Supprimer cette activité, c’est se priver d’une manne économique. « La bifurcation écologique aussi crée des emplois, soutient le porte-parole d’Attac France. Il n’y aura pas d’emploi sur une planète morte. Si on veut assurer la survie de l’espèce humaine, il va falloir en créer dans d’autres secteurs. » Ce n’est pas le projet du port d’Antibes. À côté du portail, de grands panneaux annoncent les permis de construire : le quai des milliardaires prévoit « l’extension des espaces portuaires ».