À Lima, les multinationales s’activent dans les coulisses de la négociation climatique

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Les entreprises multinationales sont très actives à la conférence sur le climat de Lima, où elles promeuvent ce que les écologistes qualifient de « fausses solutions ».
- Lima, correspondance
L’année dernière, les ONG, syndicats et mouvements sociaux sortaient des négociations de la COP19, à Varsovie, pour dénoncer la capture du pouvoir par les lobbies au sein des négociations. Un an après, la présence des lobbies industriels et énergétiques est moins flagrante. En apparence, tout du moins : car s’il n’y a pas les logos de Alstom et Arcelor Mittal sur la façade du centre de conférence, l’influence du secteur privé n’est pas moindre.
Pas de logos, donc, mais des pavillons, des événements à l’extérieur et une kyrielle de « side-events » [littéralement, ’événements à côté’], ateliers organisés au sein du centre de la conférence pour aborder en détail certains sujets. On a ainsi pu voir GDF Suez aux côté du directeur du Comité 21 discuter de « l’approche innovante multiacteurs pour ’l’avènement d’une société post carbone’ », se gardant bien de mentionner ses investissements charbon destructeurs à l’étranger. L’événement fait écho à Solutions COP21, cette initiative pluriacteurs qui vise à donner à voir les « solutions au changement climatique » d’ici à la COP21. Parmi les membres de cette dynamique se retrouvent le même GDF, qui investit dans le charbon, les gaz de schiste et autres énergies polluantes partout dans le monde, ou encore Sofiproteol, qui cherche notamment à investir dans l’huile de palme en Côte d’Ivoire. De tels participants laissent présager la nature des « solutions » proposées pour lutter contre le changement climatique.
On ne comprendrait pas que les industriels du tabac puissent négocier un accord sur la santé, alors pourquoi accepterait-on que les entreprises investies dans les énergies sales aient leur mot à dire sur le climat ? Or les COP sont pour les entreprises des occasions de promouvoir des solutions techniques critiquées pour les risques sur l’environnement et les communautés qu’elles induisent.
Pourquoi changer quand on peut faire comme d’habitude ? C’est presque la question que pose, non sans impudence, l’International Emissions Trading Association (IETA) lors de l’un des side-events organisés lundi 8 en début d’après-midi. L’intitulé exact est : « Pourquoi se détourner des énergies fossiles quand un futur avec un usage énergétique faible en émissions est déjà une réalité ? ».
Dans le rang des panelistes on retrouve l’Association mondiale pour le charbon, l’entreprise Shell, the Global Carbon Carbon Capture and Storage Institute et… Lord Nicholas Stern, l’économiste qui en 2006 avait alerté sur le changement climatique avec le fameux Rapport dont il était l’auteur. De quoi donner une caution de respectabilité à l’enjeu central de cet événement, la promotion de la capture et du stockage de carbone, cette technique qui viserait à capturer les émissions des centrales à énergie fossile pour l’enfouir dans des cavités souterraines.
L’IETA est un groupe de lobbying pro marchés carbone qui plaide farouchement pour que ces derniers soient retenus au sein des négociations. Une position que Christiana Figueres, chef climat de l’ONU, ne manque pas de soutenir au sein des discussions. Mais l’IETA est aussi ce groupe de 140 membres parmi lesquels BP, Alstom, GDF Suez, Total, Rio Tinto ou des banques comme BNP Paribas, tous connus pour les activités nocives pour l’environnement et les communautés. Venus avec plus d’une centaine de délégués et présentant plus de 64 side-events, l’IETA s’impose en force au centre des négociations.
Les communautés affectées s’insurgent
Alors, pourquoi est-ce qu’on ne ferait pas comme d’habitude ? Lundi 8 décembre, quelques minutes avant la conférence, des associations et représentants de communautés affectées sont venus expliquer devant le pavillon de l’IETA (qui, non sans une ironie certaine, se trouve juste à côté du pavillon des peuples indigènes) ce qu’ils en pensent.
Le CCS, technique aux risques incontrôlés et qui bénéficie pourtant d’un soutien financier en recherche et développement au détriment des énergies renouvelables, est dénoncé, ainsi que les exactions commises par les entreprises d’énergies fossiles. C’est pour s’indigner de la présence de Shell dans les négociations que Godwin Ojo, des Amis de la Terre Nigéria où l’entreprise pétrolière a provoqué une pollution sans précédent dans le Delta du Niger, affectant le territoire Ogoni, prend part à l’action.
« Shell a pollué nos rivières, pris nos terres, détruit nos modes de vie. Il est temps de se soulever contre Shell. Leur époque de violence contre les gens, contre les communautés, est finie. Shell n’a rien à faire au Nigéria, ni dans ces négociations. Shell n’a pas sa place dans le futur énergétique : nous disons non aux énergies sales. Il est temps pour les énergies renouvelables ! » clame-t-il. Et la foule de reprendre en choeur : « Leave the oil in the soil, leave the coal in the hole and the tar sand in the sand » avant d’entrer pour perturber l’événement.
Le 10 décembre, alors que se tenait la marche des peuples pour le climat, les entreprises ont tenu, elles, leur World Climate Summit, réunissant notamment Alstom, GDF, Shell, parmi un grand nombre d’entreprises et d’acteurs financiers.