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ReportageMonde

À Lisbonne, la lutte contre le pillage du fond des mers s’organise

Des activistes de Ocean Rebellion le 27 juin 2022 à Lisbonne (Portugal).

À la Conférence des Nations unies sur l’océan, à Lisbonne, la lutte grandit contre l’exploitation minière des fonds marins. Une alliance d’États et un appel de parlementaires ont été lancés.

Lisbonne (Portugal), reportage

Cinquante-sept parlementaires et cinq États du Pacifique unis contre l’exploitation minière en eaux profondes. En marge des discussions étatiques officielles, la Conférence des Nations unies sur l’océan (Unoc) s’est ouverte le 27 juin par un premier acte fort contre cette industrie émergente. Certains réclament une interdiction pure et simple, tandis que d’autres demandent un moratoire. La France, avec ses 10,9 millions de kilomètres carrés d’espaces maritimes, ne semble pas prête à accompagner la dynamique.

Des milliers de représentants de gouvernements, d’entreprises, d’institutions scientifiques et d’ONG sont réunis à Lisbonne jusqu’au 1er juillet pour cette deuxième conférence sur l’océan organisée par le Portugal et le Kenya. Objectif : trouver des solutions à la pollution marine, la destruction des écosystèmes, le réchauffement et l’acidification de l’océan et se mobiliser pour l’interdiction des subventions aux pêches non durables ou illégales, le développement d’aires marines protégées ou encore pour le partage des technologies et des connaissances scientifiques.

À la Conférence sur les océans de Lisbonne, l’eurodéputée Marie Toussaint a lancé, avec d’autres parlementaires, Déclaration internationale de parlementaires pour un moratoire international sur l’exploitation des fonds marins. © Chloé Sartena / Reporterre

En parallèle des sessions plénières lors desquelles discutent les représentants des États, des militants s’activent pour donner à l’événement un ton plus politique. C’était le cas lundi 27 juin, où une centaine de personnes, principalement des ONG de protection environnementale comme la Sustainable Ocean Alliance (SOA), des activistes comme la Française Camille Étienne, des océanographes et des dizaines de jeunes venus du monde entier, se massaient devant l’entrée d’une salle de réunion. En jeu : l’annonce d’un moratoire sur l’exploitation minière des océans. « On connaît mieux la surface de la lune que l’océan profond. On est en train de faire disparaître un écosystème que l’on n’a même pas encore découvert », a twitté la militante Camille Étienne en direct de Lisbonne. « L’océan est le premier puits de carbone au monde [...] Le mettre en péril c’est surtout nous condamner. Et c’est pourtant ce que s’apprêtent à faire des États dont la France dès juin 2023 en commençant les premiers travaux d’exploitation minière des fonds marins. » Déguisés en sirènes, ou encore les yeux bandés et un poisson dans la bouche, des membres de l’association de protection des océans Ocean rebellion ont multiplié les actions de sensibilisation.

Les profondeurs de l’océan regorgent de minerais rares

Cuivre, nickel, cobalt, zinc, thallium, or… Les profondeurs de l’océan regorgent de minerais rares, utiles à la fabrication de nos téléphones, ordinateurs, batteries et autres matériels électronique. Des ressources qui aiguisent l’appétit d’États et industriels miniers occidentaux. L’exploitation commerciale en eaux profondes n’a pas encore commencé, mais trente-et-un permis d’exploration ont déjà été accordés par l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) à des pays tels que la Chine, la Corée, le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne et la Russie. « Ces contrats d’exploration couvrent une surface de 1,5 million de kilomètres carrés de fonds marins profonds, expliquait à Reporterre la Coalition pour la conservation des grands fonds marins en février dernier. « 1 million de kilomètres carrés est "réservé" pour des futurs contrats d’exploration. Si ces contrats sont convertis en licences d’exploitation, cela créerait la plus grande opération minière jamais entreprise dans l’histoire de la Terre. »

L’ONU organise une conférence consacrée aux menaces pesant sur la santé de l’océan du lundi 27 juin au 1er juillet à Lisbonne. © Chloé Sartena / Reporterre

Celle-ci aurait principalement lieu dans les eaux du Pacifique tropical. Pourtant, les petits États de cette zone se trouvent déjà en première ligne face au changement climatique, notamment à cause de l’élévation du niveau de la mer et de la multiplication des phénomènes météorologiques extrêmes. « Destruction des écosystèmes et de la biodiversité, contamination chimique de la colonne d’eau et donc de la chaîne alimentaire, libération du CO2 séquestré dans les sols océaniques depuis des millions d’années, perte de la fonction de puits de carbone… Miner le plancher océanique va causer des dégâts environnementaux mais aussi sociaux et économiques, a lancé le Président de la République des Palaos, État insulaire de Micronésie. J’appelle à un moratoire sur l’exploitation minière en eaux profondes jusqu’à ce qu’un certain nombre de conditions concernant les dommages environnementaux, la bonne gouvernance et les licences sociales puissent être remplies, et invite toutes les nations à le rejoindre ! », a poursuivi Surangel Whipps Jr.

Une requête applaudie chaudement par l’assemblée et immédiatement appuyée par les représentants des pays des Fidji et du Samoa. « Déstabiliser l’océan serait suicidaire. Il faut empêcher ces exploitations, privilégier la science et la protection », a fustigé le Premier ministre des Fidji, Frank Bainimarama. Et le temps presse, puisque suite à la demande officielle de la République de Nauru en 2021 de commencer à exploiter les ressources des grands fonds marins, l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) cherche actuellement à accélérer l’élaboration d’un Code minier qui pourrait être adopté dès juillet 2023. L’exploitation minière en eaux profondes pourrait donc commencer en juin 2023. Le membre du Congrès du Pérou, Ed Málaga, a finalement pris la parole pour annoncer « qu’un projet de loi sur un moratoire de dix ans a été déposé. Nous attendons que la proposition de loi soit validé par le Congrès ». Le Pérou est ainsi le premier pays qui a poussé en faveur d’un moratoire.

« Pour la première fois dans l’Histoire, nous avons la capacité technologique de descendre jusqu’à -6 000 mètres. Au lieu d’explorer les espèces dont on ne connaît rien, allons-nous vraiment prendre le risque de relâcher tout ce carbone, détruire la vie marine, pour créer des batteries dont la technologie sera considérée comme obsolète dans quelques années ? », a adjuré Sylvia Earle, océanographe et biologiste marine de renom.

« Allons-nous vraiment prendre le risque de relâcher tout ce carbone, détruire la vie marine, pour créer des batteries ? », déplore cette océanographe. © Chloé Sartena / Reporterre

« J’ai honte car la France entend exploiter 9,5 millions de km2 d’eaux profondes »

Mardi 28 juin, à 8 heures, a eu lieu le deuxième acte de mobilisation contre l’exploitation minière. Cette fois, ce sont des parlementaires qui ont tapé du poing sur la table. Et ont lancé, eux aussi, une alliance pour se mobiliser en faveur d’un moratoire. Parmi eux : Debbie Ngarewa-Packer, représentante du parti Maori au sein du Parlement de Nouvelle-Zélande — « personne n’aura la solution pour faire revivre un océan mort », a-t-elle dit. Se trouvait aussi l’eurodéputée écologiste française et membre de l’Action mondiale des parlementaires (PGA), Marie Toussaint. « J’ai honte d’être française, car ce pays a déjà obtenu deux permis d’exploration de l’AIFM autour de la Polynésie et entend exploiter les 9,5 millions de kilomètres carrés d’eaux profondes de sa Zone économique exclusive », a-t-elle déclaré avant d’ajouter qu’elle ne pouvait se résoudre à laisser ces compagnies occidentales miner les eaux du Pacifique sous prétexte d’une prétendue « transition verte » ou pour faire avancer la science. « C’est pourquoi j’ai l’honneur de lancer officiellement une Déclaration internationale de parlementaires pour un moratoire international sur l’exploitation des fonds marins. »

« Personne n’aura la solution pour faire revivre un océan mort »

La déclaration, inaugurée avec Ralph Regenvanu, député du Vanuatu et président de l’Alliance bleue du Pacifique contre l’exploitation minière des fonds marins, est à l’heure actuelle signée par cinquante-sept parlementaires de trente-trois pays différents. Tous s’engagent à agir au niveau national ou régional, dans leurs parlements respectifs, pour appeler leurs gouvernements à défendre à leur tour ce moratoire, et à demander une réforme de l’AIFM, qui obéit à un programme clairement axé sur l’industrie. « Une évaluation scientifique indépendante est totalement absente », a précisé Anne-Sophie Roux, membre de SOA France. La volonté des parlementaires est donc que l’AIFM devienne un organisme de réglementation transparent, responsable, efficace et inclusif, réellement engagé dans la défense des profondeurs. En deux jours, le ton a été donné. « Et ce n’est qu’un début », a assuré Marie Toussaint.

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