À Nantes, une calme manifestation contre la violence de l’État

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Malgré une ville qui avait été placée en état de siège par une préfecture cherchant la tension, la manifestation contre les violences policières s’est déroulée calmement, à Nantes, samedi 22 novembre. Des « lettres d’auto-dénonciation » seront déposées au tribunal cette semaine. Reportage en photos.
- Nantes, correspondance
Avant la manifestation contre les violences policières de ce samedi 22 novembre, la tension avait été instaurée par voie de communiqués policiers et de médias. Malgré un appel explicite des manifestants à ne pas chercher la confrontation, les transports publics étaient coupés, et l’annonce deux jours à l’avance a paru participer à la stratégie générant un certain climat de peur.

La vision du préfet s’est révélée imaginaire, les manifestants affichant une détermination doublée d’une volonté manifeste de calme. Le cortège, qui a pu mobiliser quelques trois mille personnes (mille deux cents selon la police) au plus gros de son parcours, a été systématiquement détourné du centre ville par des barrages policiers, camions grilles et canons à eau à toutes les intersections menant vers l’hyper centre. Les gyrophares faisant tournoyer leur faisceaux bleus sous la grisaille d’un ciel bas ont offert une version policière des décorations de Noël. « Je voulais montrer ça aux garçons », ironise un manifestant en franchissant la Loire avec ses trois enfants.

A Nantes, l’appel national avait été précédé d’une autre initiative choisissant la date du 22 novembre en écho à un autre 22, en février dernier, quand une autre manifestation, contre l’aéroport cette fois, avait fait durer des affrontements dans un dispositif policier inédit et par ailleurs contesté par les syndicats de police eux-mêmes. La volonté de faire durer des affrontements avait donné lieu à des arrestations immédiates puis, après enquête et recoupements de photos, à des interpellations au lendemain du deuxième tour des élections municipales.
C’est cette répression que l’initiative nantaise voulait souligner ; en adoptant un moyen popularisé en 1971 par le « Manifeste des 343 salopes », femmes revendiquant avoir pratiqué un avortement et réclamant à être inculpées comme les autres. A Nantes, ce samedi, au bas de l’esplanade du palais de Justice envahi par les fourgons de CRS, les membres de collectifs anti aéroport et anti répression remettent à leur avocat, Me Stéphane Vallée, une boîte à chaussures contenant plus de deux cents lettres d’auto-dénonciation.

La démarche des signataires est d’assumer nommément avoir participé à la manifestation contre l’aéroport du 22 février dernier à Nantes, tout en demandant au procureur d’être convoqués pour des poursuites, dans une démarche de solidarité avec les dizaines de manifestants déjà condamnés. Ces lettres, toujours en phase de signature et de collecte, seront déposées la semaine prochaine au parquet du tribunal. « On espère bien parvenir à trois cents », dit une militante en continuant à faire signer des gens dans le cortège.

Une chorale en bleu de travail entonne des chants de lutte, une batucada composée par une bonne demie douzaine de femmes imprime un rythme aussi festif que déterminé. En hommage à Remi Fraisse, un chanteur en combinaison blanche (signe de non violence adopté par certains) lance un chant à répondre, dans la tradition bretonne.
De la journée, on n’entendra pas un seul bruit d’explosion. Les medias avides de castagne en seront pour leur frais. Restent les clowns ridiculisant les cordons de robocops en scandant « Les clowns, demain, remplaceront la police ».

Les marcheurs préfèrent crier : « Tout le monde déteste la police », ou « La police mutile, assassine, Nantes soulève toi ! » La spontanéité s’exprime par ce « Vivre libre ou mourir » brandi à bout de bras par un jeune homme, comme un tifosi arborant son écharpe de club de foot.
Vers 16 heures, personne n’a couru, aucune grenade n’a été tirée. Un fort cordon de CRS appuyé par un camion pompe barre la rue près de la préfecture. Les manifestants sont assis, au premier carrefour, à cinquante mètres de là. Rares sont celles et ceux qui vont auprès du cordon de CRS. Tranquillement, passant d’un policier à l’autre, un homme leur montre un panneau expliquant que le taux de suicide dans la police est supérieur de 36 % à celui des autres professions. Sans élever la voix, doucement, il leur répète inlassablement : « Vous avez le droit de déposer les armes » et « Pensez à vos enfants », alors qu’un autre fait bourdonner son didgeridoo au ras des casques et des boucliers.

A Nantes, l’usage des LBD 40, ces lanceurs de balle de défense qui ont éborgné au moins trois manifestants dans cette ville dans des rassemblements militants, est toujours très sensible. Ce samedi, la mère d’une des victimes demande de baisser leur arme à un groupe de policiers en civil de la BAC. Des policiers qui pointent trois de ces armes vers des manifestants, à moins de dix mètres, malgré des attitudes pacifistes, et ce depuis le début du cortège depuis deux heures.

Un cycliste vient à deux mètres des porteurs de LBD et se déplace pour occulter les cibles visées. Devant ces gens si proches, si peu disposés à en découdre, les policiers de la BAC doivent baisser les canons de leurs LBD puis reculer et disparaitre. La banderole de tête de manifestation persiste à clamer « Tous et toutes terroristes ?! »

A Nantes, la manifestation contre les violences policières a réussi son but : ne pas chercher la confrontation avec la police, qui fera ce bilan « 1.500 manifestants, un policier blessé par un jet de pavé et une dizaine d’interpellations ». A quoi s’ajoutent une voiture sur le flanc, quelques poubelles renversées, trois jets d’eau de camions policiers dotés de canons à eau et d’un peu de lacrymogène à main. Il n’y a pas d’affrontements.
