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Notre-Dame-des-Landes

A Notre Dame des Landes, la justice fait remonter la tension

Le tribunal administratif de Nantes a examiné jeudi une série de recours déposés par les opposants au projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Une audience importante sur fond d’interrogations quant à la politique que suivra le gouvernement après le délibéré, fixé au 17 juillet.


-  Nantes, correspondance

L’audience est ouverte depuis près d’une heure lorsque les premiers militants commencent à monter banderoles et enceintes pour les prises de parole devant le Palais de justice. C’est presque un rituel, à Nantes.

Cette fois, pourtant, il y a du nouveau. Devant les juges, des piles de dossiers attestent de l’importance de la procédure. D’un côté, les organisations requérantes – l’Acipa, l’Adéca, le CéDpa, EELV, EELV Pays de la Loire, la Ligue de protection des oiseaux Pays de la Loire, SOS Loire vivante, Bretagne vivante, FNE, FNE Pays de la Loire, Eaux et rivières de Bretagne – et des particuliers impactés par le projet. De l’autre, Aéroports du grand ouest (AGO), filiale de Vinci Airports, et le préfet, représentés par leurs avocats.

« Cette affaire est hors norme  », concède d’emblée le président de la VIᵉ chambre du tribunal administratif de Nantes. Il détaille : « Dix-sept requêtes dirigées contre cinq arrêtés du préfet de la Loire Atlantique : déclaration d’utilité publique du programme viaire [modification du réseau routier existant]  ; autorisation d’aménagement accordée au titre de la loi sur l’eau  ; dérogation à l’interdiction de porter atteinte à des espèces protégées. » Ces deux derniers arrêtés sont dupliqués, car délivrés à la fois à AGO et à la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal), sous l’autorité du préfet. Chaque association attaquant séparément les arrêtés, parfois avec des arguments légèrement différents pour maximiser les chances d’être entendus.

Au terme de cinq heures d’audience, le rapporteur public (l’équivalent du procureur dans la justice administrative) a recommandé le rejet des dix-sept recours, conformément à l’avis qu’il avait transmis aux parties mardi 16 juin. L’avocat et les juristes des requérants avaient pourtant soulevé l’absence totale, selon eux, de garanties quant à la mise en œuvre de mesures compensatoires à la destruction de zones humides et d’espèces protégées. Ou encore la « soumission » de l’Autorité environnementale au préfet, par ailleurs maître d’œuvre de la desserte routière : « Le préfet a un projet, demande l’avis du préfet et signe l’avis de l’autorité environnementale  », s’est ainsi étonné Thomas Dubreuil au cours de l’audience.

Spécialisé dans le droit de l’environnement, l’avocat de l’Association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d’aéroport (Acipa) et du Collectif d’élus doutant de la pertinence de l’aéroport (CéDpa) a également insisté sur la possibilité d’optimiser l’aéroport actuel (Nantes-Atlantique).

Le tribunal doit maintenant statuer, en première instance, sur la base des éléments du dossier, mais il n’est pas obligé de suivre les conclusions du rapporteur, bien qu’il le fasse dans la plupart des cas. La date du délibéré a été fixé au 17 juillet prochain.

«  On est rassurés, contents d’avoir eu cette opinion mais ce n’est absolument pas une victoire. La victoire on l’aura quand on aura la décision définitive   », a commenté l’avocat d’AGO a l’issue de l’audience. En face, Thomas Dubreuil s’est dit « frustré sur la partie espèces protégées », avant d’affirmer que « si le tribunal administratif ne nous donne pas gain de cause, on ira à la Cour administrative d’appel ». Des paroles quine sont pas tombées dans l’oreille d’un sourd : derrière une banderole de l’Acipa qui le dissimule, Alain Mustière, président de l’association pro-aéroport Des ailes pour l’ouest et ex-président de la chambre de commerce et d’industrie, écoute attentivement les réactions des opposants.

L’avis du rapporteur public intervient deux jours après que la cour de cassation a rejeté les pourvois formés par des riverains, des propriétaires et des exploitants agricoles vivant sur le site du projet d’aéroport, pour obtenir l’annulation de leur expropriation, selon le journal Presse-Océan. Les expropriations, qui concernent 39 particuliers, dont plusieurs figures historiques de la lutte contre le projet, avaient été décidées le 18 janvier 2012.

Le rassemblement a lieu à l’endroit où s’était déroulée une grève de la faim d’opposants en 2012. Celle-là même qui avait débouché sur un accord politique avec le Parti socialiste (PS), alors en pleine campagne électorale, qui prévoit l’arrêt des expulsions des propriétaires et des locataires jusqu’à épuisement des recours devant la justice. Un engagement confirmé depuis par l’ancien Premier ministre et ex-maire de Nantes Jean-Marc Ayrault, actuel député de la 3ᵉ circonscription de Loire-Atlantique, par le président de la République François Hollande… et ébréchée par Manuel Valls dans un entretien à Ouest France, le 18 décembre 2014. Le Premier ministre y déclarait qu’« après la décision du tribunal administratif, il faudr[ait] alors s’engager dans la construction de Notre-Dame-des-Landes ». Conséquence : la question du périmètre de cet accord politique revient en force alors que s’approche la date du délibéré. Si cette interprétation extensive se confirmait, elle pourrait, théoriquement, en cas de décision favorable aux partisans de l’aéroport, donner lieu au retour des bruits de bottes dans le bocage de Notre-Dame-des-Landes.

« Il se moquerait du monde s’il interprétait les recours sans les appels. On ne peut pas interpréter. Si ce n’est pour rassurer les quelques chambres de commerce qui croient encore qu’il y aura un aéroport à Notre-Dame-des-Landes. On peut abandonner des promesses, mais dans ce cas on l’assume », juge Julien Bayou, porte-parole national d’Europe Écologie-Les Verts (EELV), joint au téléphone.

Pour Gilles Denigot, ancien gréviste de la faim, l’affaire est entendue : l’accord concerne tous les recours, sans exception. Ce point fait consensus dans les rangs des opposants.

Du côté de l’État, le silence prévaut depuis la déclaration de Manuel Valls. Contactés mardi 16 juin pour obtenir une clarification des propos du Premier ministre, ses services n’ont pas répondu à notre sollicitation.

Faute de ligne claire, les lendemains de la décision du tribunal donnent lieu à diverses interprétations. Du côté des occupants de la ZAD, on ne veut pas croire à une intervention policière de grande ampleur à quelques mois des élections régionales et de la COP 21, en décembre. D’autant que les élections présidentielles suivront d’assez près. Denez L’Hostis, président de France nature environnement (FNE), qui avait fait le déplacement ce jeudi, est plus pessimiste : « Le gouvernement est de plus en plus autoritaire. Il y a une différence d’appréciation entre ce que dit Valls et Hollande  ; je pense que Valls va l’emporter. » Le coût politique serait élevé. « Nous serons présents dans les mobilisations » en cas de non-respect de l’accord politique, avertit Julien Bayou. « Ils peuvent précipiter les choses et venir voir sur le terrain, déclencher la violence. Nous, nous sommes non violents, notre force, c’est le nombre et la détermination », ajoute Michel Tarin, l’un des grévistes de la faim de 2012. Bien en vue des fenêtres du tribunal, la banderole de l’Acipa s’en fait l’écho : « Un aéroport à Notre-Dame-des-Landes : jamais ». Il fallait bien lire « jamais ».

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