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Tribune

A quoi EELV sert-il ? La réponse des lecteurs

Le congrès d’EELV s’est achevé dans le malaise ce week-end à Caen. Comme l’a montré notre série, la décevante participation gouvernementale conduit à un doute existentiel. Après Denis Baupin, Daniel Cohn-Bendit, Chantal Jouanno et beaucoup d’autres, le dernier mot revient aux lecteurs de Reporterre.


C’est à l’échelon communal que se joue l’avenir de l’écologie politique

Antoine Lagneau

En 2014, Europe Ecologie Les Verts aura trente ans. Pour l’écologie politique, prise au sens partidaire du terme, cela aurait pu –aurait dû ?- être un anniversaire historique. Deux ministres, des groupes parlementaires dans les deux Chambres, des députés européens, des centaines d’élus locaux... Jamais les Verts, puis EELV, n’avaient été aussi présents dans les institutions depuis la création de ce parti en 1984.

Voilà qui pourrait laisser penser que la fameuse majorité culturelle, Graal si cher à plusieurs générations de dirigeants écologistes, serait aujourd’hui en passe d’être atteinte. Mais en l’espèce, peut être faudrait-il plutôt parler… d’exception culturelle. Car ce nombre record d’élus EELV semble en effet inversement proportionnel au poids de l’écologie dans les politiques nationales.

Et pourtant, souvenons-nous du mardi 15 novembre 2011. Ce jour là, Cécile Duflot et Martine Aubry viennent de signer dans l’euphorie la plus totale, un accord de mandature qualifiée d’« ambitieux » par la direction nationale d’EELV. Las, deux ans après, entre renoncements et reports, les mesures ambitieuses semblent bien loin…

Il est vrai que les promesses n’engagent que celles et ceux qui y croient. Cette phrase sinistre et cynique semble pourtant n’avoir été écrite que pour l’écologie politique. Celle-ci, depuis plusieurs décennies, n’a cessé de se heurter avec plus ou moins de fracas à la réalité du pouvoir et des… promesses non tenues. Tous les ministres de l’environnement qui se sont succédé depuis presque un demi-siècle peuvent en témoigner. Corinne Lepage, titulaire de ce portefeuille entre 1995 et 1997, a ainsi écrit un livre au titre qui en dit long : On ne peut rien faire madame la ministre.

Entre lobbies, méfiance et conservatisme, l’écologie politique parait donc condamnée à n’être qu’une variable d’ajustement dans les politiques publiques nationales. Pour EELV, ce constat est d‘autant plus cruel que l’écologie constitue sa nature intrinsèque. Ce parti cristallise donc davantage encore que les autres, la déception voire la colère des militants de l’environnement face à la faillite du gouvernement sur cette question.

Une amertume qui touche aussi depuis plusieurs mois les propres adhérents d’EELV, à tel point que la sortie du gouvernement n’a jamais été aussi présente dans les discussions internes. Cette question reste cependant tabou pour la majorité des cadres à commencer par les deux ministres, Pascal Canfin et Cécile Duflot, ainsi que la majorité des parlementaires pour qui « il vaut mieux être dedans que dehors ».
Cette absence totale de remise en cause de la participation gouvernementale, que chacun interprétera à sa façon, occulte un débat bien plus profond sur ce qu’est devenu EELV et d’une manière plus générale, sur l’écologie politique confrontée à l’exercice du pouvoir.

Trente ans après le congrès fondateur, les années écoulées semblent avoir effacé ce qui avait permis joué un grand rôle dans la création de la première grande formation écologiste en France.

La naissance des Verts en janvier 1984 était l’aboutissement d’un long processus dont les fondations s’ancraient alors dans les luttes ou les alternatives locales réunissant des centaines de militants et de groupes divers et variés. Une véritable « marque de fabrique » qui avait alors permis aux Verts de s’approprier la fameuse phrase de René Dubos (agronome, biologiste et écologue français) prononcé au premier sommet sur l’environnement en 1972 : « Penser local, agir global ». Un héritage aujourd’hui quasiment dilapidé qui fait d’EELV un parti comme les autres, un comble pour un mouvement qui revendiquait il y a peu « faire de la politique autrement ».

Jamais la relation n’a été aussi exécrable avec les associations, les collectifs et toutes celles et tous ceux engagés dans des résistances ou des expérimentations citoyennes. Ce petit peuple de l’écologie qui avait déjà dû encaisser « L’environnement ça commence à bien faire » sarkozyste, regarde aujourd’hui avec effarement un parti écologiste avaler, sans réagir, couleuvre sur couleuvre. De Notre-Dame-des-Landes à l’enlisement du chantier sur la transition énergétique, du report de l’écotaxe aux inquiétants atermoiements sur le nucléaire, les signaux sont au rouge et le divorce n’est pas loin.

Enfermé dans son obsession ministérielle, prisonnier de sa solidarité gouvernementale, EELV n’est plus très loin de devenir la caution verte du PS. Avec comme dommage collatéral, la lente disparition de ce qui a fait sa spécificité, ses relais locaux, lassés d’avoir le sentiment de ne plus être écoutés et relayés dans leurs combats.

EELV ressemble de plus en plus à une grenouille qui aurait voulu se faire aussi grosse que le bœuf. En imaginant pouvoir jouer d’égal à égal avec les partis traditionnels, en se croyant assez fort pour imposer ses idées, en privilégiant les postes ministériels et parlementaires au détriment d’un vrai travail construit patiemment sur le terrain, le parti écologiste vacille sur ses bases.

A la lumière de ce qui pourrait rapidement se transformer en naufrage, notamment aux élections municipales et européennes de 2014, une question se pose : et si l’écologie politique était incompatible avec l’exercice du pouvoir au niveau national et par-delà, européen ?

Tout semble plaider, au regard de la crise que traverse EELV, pour imaginer une autre voie : renoncer aux élections nationales et supranationales et se concentrer sur les nivaux municipaux et régionaux. Force est de constater aujourd’hui que les plus belles réalisations des Verts puis d’EELV ont été acquises localement, dans des villes ou des régions. A Échirolles ou à Paris, en Ile-de-France ou dans le Nord-Pas-de-Calais, les élus écologistes ont par leur travail de terrain et leur proximité avec les citoyens, réussis à développer des projets de territoire pour améliorer ou changer la vie.

Les liens tissés patiemment dans les communes, avec les associations naturalistes, les défenseurs de l’environnement, les opposants à des grands projets inutiles, les porteurs d’alternatives ont fait bien plus, en terme de légitimité, que n’importe quelle agitation au plus haut sommet de l’Etat.

En écologie plus qu’ailleurs, la question de l’échelle est déterminante. Au début des années 70, Ernst Friedrich Schumacher avait eu cette formule célèbre : « Small is beautiful » ("le petit, c’est beau"). C’est là, à l’échelon communal, que se joue en grande partie l’avenir de l’écologie politique. La crise démocratique que traverse la France trouve en partie son explication dans la perte de confiance des citoyens vis-à-vis de leurs élus. Des élus accusés, avec parfois une pointe de populisme, d’avoir joué avec le mandat qui leur était confié pour assouvir leurs ambitions personnelles.

En retrouvant ses origines, en appelant à la construction d’une démocratie de proximité et participative, en privilégiant la prise décision horizontale plutôt que verticale, en faisant le choix du local pour co-construire et mettre en œuvre son programme, EELV pourrait de nouveau ambitionner de faire rêver.
Aux présidentielles de 2007, Dominique Voynet avait choisi comme slogan, « la révolution écologique ». Il est encore temps de la mettre en œuvre.


Vacciner l’écologie politique, réponse à Jean Claude Guillebaud

Jean Beudou

Dans une tribune récente, Jean Claude Guillebaud, après avoir critiqué EELV, conclut à la hâte que l’écologie politique ne pourra jamais servir ses fins au travers des partis politiques. Généraliser ainsi les prédictions de Jacques Ellul au travers de l’échec d’un seul parti « écologique » français constitue un raccourci particulièrement gênant.

Si il y a un constat de M. Guillebaud avec lequel on ne pourrait pas être en désaccord, c’est bien celui que EELV a contracté « le virus politicien ». Les différentes contributions à la question « A quoi EELV sert-il ? » évoquent avec plus ou moins de justesse ces différents virus politiciens. On peut grossièrement en dénombrer trois, tous liés. Le premier, qu’on ne peut nier depuis les récentes déclarations de Noël Mamère, est la constitution au fil du temps d’un parti ultra hiérarchisé, coupé de sa base et de ses militants, autant que des différentes initiatives locales et associatives. L’aveuglement pour les élections et le pouvoir, se soldant par des stratégies électorales hasardeuses ou des participations à des gouvernements dont les renoncements en matière d’écologie ne se comptent plus constitue le second virus. Enfin, comment ne pas évoquer la corruption progressive des idéaux de l’écologie politique par les Verts puis EELV ?

L’échec d’EELV étant vérifié, arrêtons les partis politiques, tournons-nous vers les ONG, bien plus vertueuses, et vers des initiatives « locales et concrètes ». Cette idylle, souvent entendue dans les milieux écolos, mérite réflexion.

D’emblée, citer en exemple des ONG comme Greenpeace apparaît pour le moins dérangeant. Les reproches qu’on a assigné à EELV sont malheureusement totalement transposables à Greenpeace : en effet, comment nier que Greenpeace est devenue une association hyper centralisée, que ces comités locaux ont peu de pouvoir face aux « chefs » ? On pourrait multiplier les interrogations, mais force est de constater que Greenpeace est « devenu une petite entreprise capitaliste comme les autres » (1), comme EELV en somme.

On peut de plus s’interroger sur certains modes d’action de Greenpeace. Evidemment, les actions spectaculaires ont leur utilité ; mais n’assiste-t-on pas à une mue vers un culte du spectacle, le spectacle pour le spectacle, au détriment des fins de l’organisation ? Plus largement, on peut parler, dans certains cas, dans les milieux associatifs ou les initiatives locales, du culte de l’agir, agir pour agir, et non agir pour ses fins.

Enfin, si certaines associations semblent compromettre leurs fins, on peut se demander si elles en ont de véritables. Greenpeace se bat pour l’écologie, mais quelle écologie ? L’écologie se réduit-elle à la préservation des forêts, des océans, à l’interdiction des OGM et du nucléaire, à lutter contre le changement climatique ? Hélas, trop peu d’associations ont une vision d’un projet global de société, ce qui ne prouve pas leur inefficience, mais plutôt leur incapacité à être, seules, le moteur de la « révolution des consciences », ou plutôt du changement global désigné par Ellul et Charbonneau. Ellul lui-même écrivait : « Il faut l’attaquer [la société] globalement pour atteindre le détail qui nous choque, nous heurte, nous révolte. » (2).

Je soutiens la thèse que la symbiose entre un parti politique, conforme aux aspirations de l’écologie politique, et les acteurs de la « révolte locale et associative », entraînerait une sorte d’immunité anti-virale pour les deux parties.

Aller dans ce sens, c’est d’abord dépasser une contradiction profonde traversant le mouvement de l’écologie politique. Bernard Charbonneau préconisait le dépassement du « partage entre les partisans d’un ’tout est politique’ empruntée aux partis de gauche, et les adversaires des partis et de l’Etat » (3), et nuançait, voire contredisait Ellul : « Il faut rappeler qu’on ne change pas le régime si l’on ne change pas la vie, et pas la vie si l’on ne change pas le régime » (4). Surtout, Charbonneau concluait « Comme les possibilités d’action dans les grands partis, solidement organisés et tenus en main, sont aussi minces, et que l’on ne peut compter sur les syndicats […], l’institution d’un parti politique reconnu explicitement pour tel au service de l’écologie semble inévitable. » (5).

Mais comment rendre conforme un parti aux orientations écologiques, en évitant la contamination ? Charbonneau préconise la formation d’une autorité, dont la fonction ne serait « pas le pouvoir, mais la réflexion, l’information et la communication, le jugement » (6). Elle serait une sorte de contre-institution indépendante veillant aussi bien aux formes du parti qu’ aux orientations de celui-ci, à ses éventuelles dérives et à l’intégrité de ses membres.

Un espace majeur serait ainsi occupé par les associations et initiatives non associatives, majeures pour la révolution des consciences, notamment parce qu’elles permettent aux hommes de « s’associer et se prendre en charge eux-mêmes pour des affaires qui les concernent directement. Et à partir de leur cas particulier, à se poser les vrais problèmes de la société moderne. » (7).

Le triptyque « initiatives à différents niveaux – fédération – parti politique », voilà une manière de vacciner l’écologie politique, proposée par Bernard Charbonneau il y a déjà 30 ans.

Admettons l’échec d’EELV, analysons ses causes, et réapproprions nous un parti politique. Mais arrêtons, Jean Claude Guillebaud, avec ce constat d’échec selon lequel l’écologie politique ne serait pas compatible avec un parti politique : la marginalisation de l’écologie est en jeu !

Notes :
1. Sophie Caillat, Comment Hulot, Greenpeace et WWF ont « tué l’écologie » ? (Fabrice Nicolino), Rue89, 21 mars 2011
2. Jacques Ellul, De la révolution aux révoltes, La Table Ronde, 2010 (éd. originale en 1972), p.458
3. Bernard Charbonneau, Le Feu vert, Parangon, 2009 (éd. originale en 1980), p.105
4. Bernard Charbonneau, op. cit., p.192
5. Bernard Charbonneau, op.cit., p.198
6. Bernard Charbonneau, op. cit., p.188
87. Bernard Charbonneau, op. cit., p.149


Un parti qui a vieilli trop vite...

Gaspard d’Allens

« Peser plus, faire mieux, regarder le verre à moitié plein », l’actuelle direction d’EELV ne manque pas d’artefact et d’emphase pour défendre son modeste bilan au sein d’une majorité si réticente à la transition écologique. Face à la désertion des adhérents, EELV affirme bon an mal an son utilité quotidienne quitte à s’éloigner du militantisme de terrain et de combat.

Devant le manque de confiance et la critique de l’opinion, il se gargarise de son efficacité tout en oubliant sur l’autel des compromis et des alliances politiciennes la question essentielle de la différenciation politique. Difficile parti pris pour ce tout jeune mouvement, qui depuis son succès de 2009, donne l’impression d’avoir vieilli trop vite…

S’il faut évidemment sortir des postures et plonger les mains dans le cambouis doit-on pour autant accepter encore longtemps ces nombreuses reculades aussi pitoyables que désastreuses pour l’opinion publique ?

S’il faut évidemment quitter le confort du commentaire pour rentrer sur le terrain et mettre en branle l’échiquier politique, doit-on forcément accepter toutes les règles du jeu et se ranger derrière l’inertie de la machine technocratique et institutionnelle ?

Le parti évacue bien trop rapidement ces questions, faisant preuve d’un manichéisme aveugle et utilisant un argumentaire binaire réduisant le champ des possibles : il faudrait maintenant faire le choix entre l’actif ou le passif, la présence ou l’absence, l’intérieur ou l’extérieur, l’action ou l’atonie, la responsabilité ou la désinvolture etc.

Mais c’est oublier que sous couvert d’être là où on peut être le plus utile, sous couvert d’être là où ça bouge, au sein des institutions, dans le mouvement et en état de marche, on ferme trop souvent les yeux sur notre horizon commun et la finalité concrète de nos actions. On oublie l’essentiel, d’où on vient et où l’on va. La lumière est éteinte et on tâtonne. Nos pas ne sont plus intelligibles pour personne et l’on titube en rampant dans le noir…

Les écologistes ont beau être partout, s’être doté de groupes solides au Parlement et de deux ministres, avoir les clés des plateaux télévisés et mettre en avant des figures médiatiques, leur parole n’est plus entendue, elle n’est plus écoutée. L’hégémonie culturelle est ailleurs. Leur discours n’a plus de prise. Il glisse sur les rebords de la conscience populaire.

A force de poser des ultimatums, des lignes rouges, toujours modulables et toujours redéfinissables, les orientations peinent à être visibles et les directions souffrent de l’absence de caps tangibles. Alors oui, peut être que le parti avance et que les idées écologistes arrivent à se concrétiser dans certains amendements et quelques politiques publiques, mais le mouvement manque radicalement de cohérence et de structure. Le projet global est avorté. Le principe espérance et la foi en un autre modèle de société abandonnés. L’heure est à la gestion quotidienne et aux petits pas dans un contexte largement défavorable à l’écologie.

Dans cette situation, le mouvement revendiqué par certains, l’utilité acclamée par d’autres prennent les allures du mythe de Sisyphe. Les écologistes, pour être en prise avec le réel, gravissent leur montagne sans relâche et sans remise en cause, se fatiguent et s’usent sans pour autant arriver à des résultats concrets et porteurs. Le regard obstrué par des œillères, ils courent sans relâche pour tenter d’attraper des choses qui ne font pas forcément l’objet du mandat qu’il leur a été confié.

Pendant ce temps, et malgré l’effort de chacun, l’écologie peine à gagner les âmes. La conscience écologique est refoulée au bas fond de l’histoire. Plus que jamais, elle est considérée comme une punition et une sanction quoi qu’en disent les élites dirigeantes. Son potentiel émancipateur, autonomiste et libérateur s’est perdu en chemin au profit d’une doxa aussi insipide que vide sur « l’écologie des solutions ». Entre-soi sclérosant et mutisme accablant, risée de la presse et défiance des citoyens, autant d’éléments qui doivent nous inviter à réfléchir et à repenser les socles qui constituent le parti écologiste.

Alors qu’il a franchi, un à un, chaque étape pour se placer à l’épreuve du pouvoir, alors qu’il a conquis, non sans mal, des places dans chaque institution et gravi les marches pour accéder aux couloirs feutrés des ministères et aux dorures de la République, le parti a, en même temps, découvert l’effroi de la gestion et banalisé son discours. Il est devenu un parti comme un autre, voire pire que les autres, s’éloignant de la Société Civile et des collectifs citoyens pour devenir la succursale d’alliés de circonstance avec qui, idéologiquement, il partage bien trop peu de choses.

Du compromis à la compromission, il n’y a qu’un pas, de l’utilité à l’inertie il n’y a que des nuances, tout est question de point de vue et de choix politiques. L’utilité n’a d’ailleurs de sens qu’a travers la différenciation, l’originalité et l’exemplarité. Dimensions que l’on peut trop souvent oublier dans les affres de la gestion politicienne…

EELV est donc à un tournant et si le congrès peut ouvrir la voie vers une nouvelle séquence ou au contraire pérenniser la situation actuelle, rassurons nous, de toute façon, les atermoiements du mouvement n’ont véritablement que peu de conséquences sur le développement de la pensée écolo. Comme disait l’autre, la vraie vie est ailleurs…


Celui qui oublie ses racines n’atteint jamais sa destination
Un militant antinucléaire, membre du Collectif Fukussenheim

Ce proverbe n’aurait-il pas utilement composé le nom d’une des motions présentes au prochain congrès d’EELV, si ce parti voulait garder l’espoir qu’à son propos on puisse dans l’avenir se poser encore la question : « A quoi EELV sert-il ? » (ou bien « A quoi, à qui sert »la Firme« d’EELV ? ») ? EELV explosé, réduit en charpie ou disparu, une telle question n’aura effectivement plus d’objet.

Depuis son origine le nucléaire a été au cœur du débat de l’écologie politique. Il en demeure l’un des piliers principaux, sinon le pilier central ou la clé de voute. La victoire de Whyl en bordure du Rhin en 1975, la lutte emblématique de Creys-Malville de 1976 à 1997, ou celle de Plogoff (1978-81), comme bien d’autres combats antinucléaires ont forgé l’esprit de toute une génération d’écologistes et de citoyens favorables à l’écologie qu’ils soient ou non militants.

La catastrophe de Tchernobyl, survenant quatre ans après la création du parti « Les Verts - Parti écologiste » en 1982, aurait dû, comme en Allemagne, faire acquérir à tous les écologistes politiques (et la renforcer chez ceux qui l’avait déjà) cette conviction que le nucléaire est une erreur fondamentale, et qu’il devait impérativement faire l’objet d’une place centrale non négociable au sein de leurs luttes politiques.

Ce ne fut pas le cas. Pour des raisons sur lesquelles il conviendrait de se repencher. Tout comme il s’agirait de comprendre pourquoi l’institutionnalisation de la lutte antinucléaire peut, en France tout au moins, enfoncer ses partisans dans des démissions successives quand leur est donnée la responsabilité de faire vivre cette exigence.

Une profonde résignation ?

La survenue de la catastrophe de Fukushima est venue amplifier cette terrible évolution. Et elle exerce un puissant effet grossissant dans l’observation que l’on peut faire de ce qui traverse EELV et qui n’est peut-être qu’une profonde et tragique résignation.

Face à l’urgence croissante d’une indispensable mobilisation mondiale devant des réacteurs en fusion et une piscine de stockage en équilibre précaire, face à l’incroyable décision du Programme Alimentaire Mondial, face à la scandaleuse décision de la Commission Européenne, quelle a été la priorité politique donnée par les dirigeants d’EELV ?

Et bien elle est allée à des sujets, non pas forcément accessoires, comme par exemple le mariage pour tous qui n’a rien d’accessoire, mais si éminemment écologiques ! Et d’une urgence tellement capitale !... Avant la timide montée en puissance du Parti de Gauche sur l’écologie, quel a été par exemple le nombre d’articles ou de communiqués concernant le nucléaire ou Fukushima sur le site officiel d’EELV, et sur les blogs de ses élus ? Terriblement dérisoire. Et le constat est le même pour les OGM, dont on ne parlera pas ici.

Là où l’on aurait pu s’attendre à une explosion de colère d’EELV et des militants écologistes, une véritable démission, un silence impressionnant sont venus occuper l’espace politique. Quelle a été la seule traduction politique par EELV du drame en cours ? La passation à l’automne 2011 d’un accord avec le PS devant inclure l’arrêt de l’EPR de Flamanville (lequel n’a finalement pas été retenu) et la fermeture immédiate de la centrale de Fessenheim, en préalable à celle de 22 autres réacteurs à l’horizon 2025, laquelle fut ignorée une fois le PS installé au pouvoir.

Et il aura fallu une occupation de l’esplanade de la Défense par des indignés et une caravane à vélo des indignés du nucléaire pour empêcher que ce contrat soit destiné aux oubliettes au prétexte intouchable d’une solidarité ministérielle, quel qu’en puisse être son coût.

La désillusion des militants

Malgré ce silence assourdissant post-Fukushima d’EELV, les citoyens défavorables au nucléaire ont continué - parce qu’ils voient dans ce parti l’inscription institutionnelle, autrement dit reconnue, admise et donc incontournable, de l’opposition au nucléaire - à y placer leur espoir d’une traduction politique de ce désastre industriel, de cette « apocalypse » écologique pour reprendre le terme employé par Günther Oettinger, commissaire européen à l’énergie.

A quelle terrible désillusion ont-ils été soumis ! Tandis que les militants dans leur ensemble persistaient à accorder leur confiance à un Réseau Sortir du nucléaire paralysé par le putsch de 2010. Heureusement Greenpeace conservait une part de lucidité permettant de sauver l’honneur.

A part se contenter de voir dans les aimables chaines humaines sans lendemain du Réseau Sortir du nucléaire une hypothétique manifestation de force, le parti EELV n’a-t-il donc jamais perçu en elles l’expression dramatiquement inappropriée (au regard de ce qui se passe à Notre-Dame-des-Landes par exemple) d’une mobilisation massive de citoyens scandalisés, qui attendent une réponse adaptée à l’ampleur du scandale de Fukushima ? Et du nucléaire dans sa globalité ?

Résultat : la chaine humaine de 2013, bien que se déroulant à Paris, fut d’une moindre ampleur numérique que celle du Rhône de l’année précédente. Faudrait-il pour autant en déduire que la situation à Fukushima, au Japon, et dans les reste du monde s’améliore ? Et que va-t-il se passer en France, dans ce pays désormais le plus nucléarisé au monde en densité, aux environs du 11 mars 2014 ? Apparemment d’autres petites chaines dispersées un peu partout en région...

Fukushima : silence radio(actif)

Alors non EELV ne sert pas « à rien ». C’est malheureusement bien pire que cela. Du moins à propos du nucléaire. Investi historiquement de la responsabilité de mener la lutte antinucléaire, mais paradoxalement totalement et tragiquement désinvesti jusqu’à son Conseil Fédéral de mai 2013 de cette responsabilité, ce parti a, de fait, très objectivement, empêché la réalisation d’une mobilisation adéquate, et a contribué, directement ainsi que par ce biais, à installer l’omerta médiatique sur le déroulement de la catastrophe de Fukushima.

Si, comme à l’époque de Tchernobyl, nous n’avions pas internet à notre disposition, qu’aurions-nous su, et que saurions-nous aujourd’hui de ce qui se passe à Fukushima ? En cela EELV porte déjà une très grande responsabilité.

Outre qu’un accident grave peut tout à fait survenir en France durant sa présence au gouvernement, compte tenu de ce qui va se passer à Fukushima dans les prochains jours, il ne reste donc plus beaucoup de temps à EELV pour « changer de cap », avec ou non des ministres au gouvernement.

(Et de mon point de vue de préférence avec - puisque depuis l’affaire Léonarda les ministres EELV se savent désormais indéboulonnables - afin non pas de demeurer la mouche du coche qu’EELV est devenu depuis peu, mais de devenir le frelon ou l’aigle qu’il aurait dû être depuis Fukushima. Et même depuis Tchernobyl...)

A défaut, aux élections européennes il faudra s’attendre à ce que des initiatives citoyennes viennent troubler un jeu électoral - qui devrait être tout sauf un jeu et encore moins narcissique - afin de rappeler à qui de droit que les convictions dans une situation d’urgence, et qui plus est mondiale, ne devrait pouvoir tolérer plus longtemps la moindre compromission ou autre corruption.

« Un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre » disait Winston Churchill. Il en est de même pour qui veut effacer de sa conscience un évènement « apocalyptique ».

PS : A-t-on seulement songé au possible effet délétère de la catastrophe ignorée, et en même temps si peu ignorée, chronique et mal traitée de Fukushima sur le psychisme des populations ? Sur celui des entrepreneurs, et des acteurs économiques d’une manière générale ?

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