Alerte au gaz de couche, source de pollution dans le Nord et en Lorraine

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Mines et métauxDepuis 2004, une société cherche à exploiter les gaz de couche de l’est et du nord de la France. Cet intérêt inquiète l’auteure de cette tribune à cause du risque de pollution et de la nécessité d’utiliser la fracturation hydraulique, une technique interdite en France. MM. Macron et Philippe y semblent favorables.
Actualisation - Mardi 29 août 2017 - Les 26 et 27 août s’est tenu en Lorraine, à Adelange, le Festival Gaz pas les Houilles , organisé par le Collectif Stop gaz de couche 57. Le ministre Nicolas Hulot s’est engagé à ne pas permettre de nouvelles exploitations d’énergie fossile, mais l’industrie continue à vouloir extraire le gaz de couche.
Christine Poilly est membre de l’association Houille-ouille-ouille 59/62.
En 2004, la société European Gas Limited (EGL) a demandé un permis de recherche exclusif pour exploiter du gaz de couche (« coalbed methane », CBM) et du gaz de mine (« coal mine methane », CMM) dans l’est de la France. Elle a obtenu le permis dit « Bleue Lorraine ».
Le gaz de mine est le méthane qui s’échappe naturellement des galeries des anciennes mines de charbon. Dans le Nord, l’entreprise Gazonor l’extrait par simple captage depuis 1992, ce qui contribue à la mise en sécurité du bassin minier de la région. Le gaz de couche, lui, c’est le méthane contenu dans les couches profondes de charbon (entre 1.000 et 2.000 m de profondeur). À quelques exceptions près, partout où le gaz de couche est exploité (États-Unis, Australie, Chine), la très controversée technique de la fracturation hydraulique est utilisée.
Pour estimer la ressource en gaz de couche dans l’Est, EGL a fait réaliser le forage de Folschviller (Moselle) en 2008. Il a, d’après la presse, subi une fracturation hydraulique. C’est le seul puits qui a permis une certification de ressources. EGL a foré d’autres puits en Lorraine, mais aucun n’a donné de résultats probants : ennoyage en continu, rencontre de failles très importantes…
Source possible de pollution de l’eau
En juillet 2011, la loi Jacob a interdit la fracturation hydraulique. EGL s’est alors lancée dans la recherche d’une technique alternative : des forages avec des drains horizontaux et la « stimulation du massif rocheux » (terme utilisé dans les « demandes d’autorisation d’ouverture de travaux miniers »). Mais cette technique tant vantée par EGL et utilisée à Tritteling (Lorraine) ne permet pas de certifier d’autres ressources : sans fracturation hydraulique, le gaz de couche est-il vraiment exploitable ?
En 2016, EGL a été rebaptisée La Française de l’énergie (LFDE) pour se donner une couleur locale. Elle a été introduite en bourse en juin 2016. Cette introduction a permis à LFDE de racheter Gazonor et de se tourner vers les bassins du Nord, car, en Lorraine, pas un seul mètre cube de gaz n’a été vendu. L’activité « gaz de mine du Nord » est ainsi son seul revenu pour continuer des activités de recherche en Lorraine, où 16 forages d’exploration sont d’ores et déjà programmés.
Le charbon est une roche fragile, naturellement fracturée. Aussi, le gaz pourra emprunter les failles et fissures et aller contaminer les nappes phréatiques. L’eau qui a servi au forage, additionnée de nombreux produits chimiques (soude, lubrifiants, antimousse…) [1], est une autre source possible de pollution de l’eau. L’entreprise aurait-elle rémunéré un hydrogéologue pour travailler sur « le déplacement possible d’une pollution dans la nappe phréatique » si la contamination était impossible, comme elle le prétend ?
LFDE avec ses actionnaires assumera-t-elle ses responsabilités ?
En Lorraine comme dans le nord de la France, les terrains ont été fragilisés par les galeries creusées lors de l’exploitation du charbon ; des affaissements de terrains s’y produisent régulièrement. Les forages ne feront qu’augmenter ces risques ! LFDE prétend que les nappes seront isolées par x couches de ciment : quel ciment résiste aux affaissements de terrains ? Mais aussi, quels bâtiments leur résistent ?
Et surtout, le gaz de couche est pour l’instant enfoui dans les couches géologiques profondes du sous-sol et ainsi n’alimente pas l’effet de serre (fuites de méthane, CO2 issu de la combustion), alors que les scientifiques lancent des cris d’alerte sans cesse plus inquiétants sur le changement climatique.
Tous ces risques pour une production totale ne couvrant qu’une seule année de consommation française : les prévisions en Lorraine sont de 5 % par an de la consommation française pendant 20 ans ! Après la fermeture des puits (5 à 15 ans en moyenne), lorsqu’il faudra gérer les conséquences (fuites de gaz, nappe phréatique polluée, affaissement de terrains…) : LFDE avec ses actionnaires assumera-t-elle ses responsabilités ?
- Devant le site du forage de Lachambre, en Moselle.
Pour l’activité gaz de mine dans le Nord–Pas-de-Calais, LFDE a choisi de transformer ce gaz en électricité, avec un rendement de 37 %, ce que nous considérons comme un formidable gaspillage de ressources qui sert surtout, pour LFDE, à engranger les subventions et à faire mousser sa production de gaz de mine auprès de ses investisseurs.
Notons que M. Macron, dont la campagne n’a guère laissé de place à l’écologie, s’est prononcé avec enthousiasme pour l’exploitation du gaz de couche en Lorraine. Si le besoin de fracturer est avéré, soutiendra-t-il l’abrogation de la loi Jacob ? Ou son aménagement pour l’exploitation des gaz de couche ?
L’entreprise se targue d’avoir l’adhésion de la population locale. Pourtant, l’opposition se lève
De plus, M. Macron est un fervent défenseur du Ceta, le traité commercial entre l’Union européenne et le Canada, qui pourrait, s’il était ratifié, nous imposer le choix du pire.
La nomination d’Édouard Philippe nous interroge : il s’est prononcé favorablement pour la réouverture du dossier gaz de schiste à l’Assemblée nationale.
M. Alain Liger était directeur de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) de Lorraine jusqu’en février 2016, date à laquelle il a démissionné. Quelques mois plus tard, le voilà au conseil d’administration de La Française de l’énergie. Il fut aussi président du comité de pilotage de l’initiative « Mine responsable » lancée en 2015 !
L’entreprise se targue d’avoir l’adhésion de la population locale. Pourtant, l’opposition se lève et des collectifs et associations d’opposition à ces projets se sont créés en Lorraine comme dans le nord de la France. Une marche de protestation a lieu chaque mois en Lorraine ; un rassemblement a eu lieu le 30 avril dernier.
Les conseils municipaux de Zimming, Lachambre et Longeville-lès-Saint-Avold ont exprimé leur désaccord à la suite de l’enquête publique, des communes commencent à refuser de laisser leurs terrains à la FDE…
Dans le nord de la France, de nombreuses actions ont déjà été menées et beaucoup d’autres sont prévues.