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Après l’incendie, le deuil des habitants face à « une nature ravagée »

En Aveyron, en une semaine en août 2022, près de 1~400 hectares de forêts et de landes ont brûlé.

Trois semaines après le grand incendie dans le sud de l’Aveyron, les habitants du coin ont retrouvé leurs maisons. Intactes. Mais le feu couve toujours.

Bellevieille (Aveyron), reportage

« Ça n’avait pas bougé depuis le néolithique. » Ambroise Séguret plaisante à moitié. Dans ce coin de l’Aveyron, limitrophe avec le département de la Lozère et perché à 900 mètres d’altitude, des sites préhistoriques sont disséminés. Bellevieille, en bordure de plateau calcaire, est un « endroit magique, préservé et intact », abonde Mireille Geye, sa sœur. En 1964, le paternel de cette famille de six enfants a racheté pour une bouchée de pain des ruines sur ce contrefort du causse de Sauveterre. Rebâties au fil des années, elles accueillent désormais Mireille et Ambroise depuis leur retraite.

La paix des lieux est chahutée depuis le 8 août dernier. Quelques étincelles provoquées accidentellement par un engin agricole circulant sur le plateau ont déclenché le troisième plus grand incendie de l’été, après celui des Landes et ceux de Bretagne : en Aveyron, en une semaine, près de 1 400 hectares de forêts et de landes ont brûlé sur ce plateau et ces falaises voisines des Gorges du Tarn. Un secteur qui n’avait jamais connu de pareil événement. Bilan : aucune maison touchée mais quatre pompiers blessés et une balafre visible sur le paysage et dans les mémoires locales.

Le jour de l’incendie, dans les hameaux les plus proches du cœur du feu, comme Bellevieille, « on a vu la colonne du feu et le panache de fumée qui se dirigeait vers nous, on a eu juste le temps de prendre nos papiers et quelques affaires avant de dégager en un quart d’heure », raconte Ambroise. Le soir même, le village de Mostuéjouls, en contrebas, a été à son tour évacué. Le 12 août, après quatre jours de lutte de 700 pompiers contre un feu annoncé comme « fixé », un nouveau départ brutal a relancé le brasier sur l’autre flanc du vallon et ravagé en quelques heures 700 hectares supplémentaires. Depuis une ferme voisine sur le plateau, Ambroise a alors vu « des murs de flammes de quarante mètres » à deux pas du hameau. « Là, j’ai pleuré » tant il était « insupportable de voir le Causse partir en flamme » et d’imaginer « que c’était la fin, qu’il n’y a plus rien de chez nous ».

Un engin agricole a déclenché le troisième plus grand incendie de l’été en août, dans l’Aveyron.

La montagne continue de se consumer intérieurement

Et puis il a fallu rentrer. Le 15 août, feu fixé. Soulagement : les maisons et les abords de Bellevieille ont été épargnés grâce au travail intense des pompiers. « Sur le moment, j’étais heureuse », raconte Mireille, « on a cette confiance que la nature peut se reconstruire, mais quand tu peux plus vivre chez toi, là c’est comme la fin ». Sur leurs parcelles, 17 hectares de forêt sur 23 ont brûlé, mais le feu a été stoppé par les pompiers sur le parking à l’entrée du hameau. Dans un hameau voisin, une de leur sœur, a quant à elle perdu le toit d’un cabanon, ainsi que des milliers d’abeilles.

Autour des habitats humains, le feu a agi « comme une grande mise à nue », révélant reliefs et chaos rocheux jusqu’ici enfouis sous le couvert végétal. Passée la découverte, vient alors la tristesse de voir toute cette terre ravagée, et sa faune exilée. De quoi renforcer quelque part l’attachement à cet environnement et son chez-soi, pour Mireille, qui reste « blessée de voir cette nature ravagée, je prends conscience du désastre ».

Au milieu du vert se détache une large zone carbonisée.

Tout un pan du paysage est toujours verdoyant, mais des zones entières sont noires et carbonisées. Sur les toits des maisons, les ardoises sont teintées de rose, l’effet du retardant lâché par les secours. Tout autour les feuilles asphyxiées ont pris une teinte jaune orangé donnant des airs d’automne trop précoce. Pour l’heure, la montagne continue de se consumer intérieurement. Tous les deux-trois jours, des fumeroles, menaçantes, réapparaissent au creux des troncs ou à même le sol, constitué d’une sorte de tourbe, encore chaude à 10 centimètres de profondeur. À chaque fumée visible en lisière des zones encore vertes, c’est une nouvelle course pour éviter que la fumée ne devienne un nouveau feu.

Lire aussi : L’été de tous les feux

« Quand ça arrive, on balise. Et physiquement c’est très dur », raconte Ambroise, « il faut s’équiper en urgence, aller au-devant du point chaud, retourner la terre à la pelle ou au râteau et amener de l’eau encore et encore », jusqu’à l’arrivée des pompiers qui patrouillaient encore la semaine dernière. Enfin une trentaine de millimètres sont tombés sur le secteur cette fin de semaine. La conclusion provisoire d’un été exceptionnel, au cours duquel même la source du hameau réputée « intarissable » a vu son débit diminuer de deux tiers. Si encore hier Ambroise « pensait être relativement préservé », perché à 900 mètres d’altitude, désormais les risques liés au changement climatique « se précisent, et on est dedans ».

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