CHRONIQUE - Comme si la guerre était déclarée aux utopies

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"Il y aura donc un « avant » et un « après » Sivens. La mort tragique de Rémi Fraisse a agi comme le révélateur du fossé qui sépare deux visions du monde, de plus en plus antagonistes avec la crise et la raréfaction des ressources de la planète."

- Noël Mamère -
Il y aura donc un « avant » et un « après » Sivens. La mort tragique de Rémi Fraisse a agi comme le révélateur du fossé qui sépare deux visions du monde, de plus en plus antagonistes avec la crise et la raréfaction des ressources de la planète.
Plus nous nous rapprochons du précipice en chantant et plus les tenants du « système » qui nous y conduit se laissent gagner par la violence pour le défendre. Pour mieux nous imposer ce monde, ils déploient des armées de robocops surarmés et prennent le risque du pire, qui est advenu à Sivens.
Comme si la guerre était déclarée aux utopies sociales et environnementales qui fleurissent un peu partout à la recherche d’un autre monde, plus juste, plus respectueux de ses ressources, plus partageux… Bref, plus humain.
Rupture totale
À l’instar d’Edgar Morin, faut-il parler de « guerre de civilisation » ? Non. Mais de rupture, à l’évidence. C’est en ce sens que la mort de Rémi Fraisse prend toute sa dimension politique. Non seulement elle laissera des traces durables dans l’opinion, mais encore elle signe la rupture entre la gauche de gouvernement et les écologistes.
Qu’avons-nous à faire, en effet, avec des élus et un gouvernement qui soutiennent avec bec, ongles et violence d’Etat des projets qui appartiennent à l’ancien monde et mettent en péril le nouveau que nous avons tant de mal à construire ? Qu’avons-nous à faire avec des gens qui nous regardent éberlués, comme si nous venions d’une autre planète, lorsque nous leur parlons de « prospérité sans croissance », de « post-croissance », de « simplicité volontaire » ou de redéfinition du « progrès » ?
Aveuglés par leurs croyances dans les mythes économiques du XXe siècle, adorateurs de la croissance qu’ils attendent tel le Messie qui sauvera le monde, ils sont définitivement incapables d’intégrer notre vision du monde et de la comprendre. Pire, face à un tel fossé d’incompréhension, ils finissent par nous considérer comme dangereux !

- Au Testet, le 9 octobre 2014 -
Criminalisation
C’est ainsi qu’il faut comprendre toutes les tentatives de criminalisation des écologistes auxquelles se sont livrés le ministre de l’Intérieur et le Premier ministre, aussitôt suivis par leurs légions de perroquets se répétant en boucle dans les médias. Le message était simple : non seulement ces gens sont violents, non seulement ils remettent en cause des décisions démocratiques, voulues par des élus représentatifs de la volonté populaire, mais encore ils empêchent le progrès de s ‘accomplir…
Tandis que le plancher est en train de s’effondrer sous leurs pieds, il s’inventent des boucs émissaires offerts en pâture à la presse avide et au bon peuple de France, pour mieux faire oublier la catastrophe qui vient.
Pour eux, il n’existe pas d’alternative au monde qu’ils défendent et quand ils les voient se multiplier, de Sivens à Seattle, de Notre-Dame-des-landes au Rajhastan, ils prennent peur. Parce qu’elles remettent fondamentalement en cause tout le « système » sur lequel ils ont bâti leur conception du monde.
L’écologie est l’alternative au capitalisme
Au sens premier du terme, c’est un effondrement. Et c’est justement ce qui fait de l’écologie la seule idée subversive du 21e siècle : elle n’est pas l’infirmière du capitalisme, mais son alternative, quoi qu’en pensent ceux qui se raccrochent encore à la croissance verte comme à une bouée de sauvetage, dernier soubresaut d’un monde à l’agonie.
Il aura donc fallu la mort d’un jeune homme - dans des circonstances que le gouvernement connaissait depuis la nuit de samedi à dimanche 26 octobre et qui devra nous expliquer pourquoi il a menti pendant quarante huit heures - pour que le débat commence à s’ouvrir sur le côté inutile de ces grands projets et sur la nécessité de revoir nos procédures d’aménagement du territoire.
Il y a une semaine encore, la presse et les politiques confondaient zadistes avec « extrémistes ». Aujourd’hui, le mot « zadiste » n’est plus une insulte mais le symbole d’une jeunesse radicalement opposée à ce monde tel qu’il est, qui préfère vivre son écologie dans la nature et la contre-culture, qui a choisi la liberté contre le déclassement et l’aliénation au travail, qui pense global et agit local.
Le temps est venu de relier toutes les alternatives contre le productivisme aveugle, et pour les écologistes, de retrouver leur autonomie, condition du rôle majeur qu’ils doivent jouer dans la reconstruction de notre pacte social.