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En Bretagne, près de Redon, pousseront bientôt des éoliennes citoyennes

Le premier parc éolien citoyen français est sur le point de voir le jour en Bretagne. Financé et contrôlé par des riverains, ce projet prouve que les citoyens peuvent se saisir de la question de l’énergie et proposer des alternatives concrètes, viables et locales au nucléaire.


Après plus de dix ans d’attente, les habitants de Bégannes, près de Redon, verront jaillir de terre en mars prochain quatre éoliennes industrielles. Rien de très surprenant quand on sait qu’il existe déjà plus de 700 parcs de ce type actifs en France. Sauf que ce projet est une première dans notre pays.

C’est la première fois qu’un parc éolien est majoritairement financé et contrôlé par des citoyens du territoire. Ils sont plus de mille à avoir mis leur épargne en commun et ont ainsi récolté 1,8 millions, somme qui les assure de rester majoritaires au capital de Begawatts, société qui exploitera les machines.

« Au départ, il s’agissait d’un projet de petit éolien entre voisins, des gens plutôt militants qui voulaient tendre vers l’autonomie énergétique et désiraient utiliser le vent, une ressource locale. Mais ils se sont vite rendus compte que ce n’était pas trop rentable”, raconte Charlène de l’association Eoliennes en Pays de Vilaine (EPV), qui s’est constituée au début du projet.

Au vu de la production insuffisante et aléatoire des éoliennes individuelles, la bande de copains décide alors de passer à l’échelle supérieure. Ils optent pour des géants de métal de 150 mètres de haut capables de produire l’équivalent de la consommation électrique hors chauffage des 8 000 foyers du canton.

Alternative au nucléaire

Mais même si le projet a changé d’échelle, ses initiateurs n’ont pas perdu de vue son caractère politique et son implantation locale. “Il est question de se réapproprier l’énergie et de proposer une alternative au nucléaire, précise Jean-Paul, expert comptable à la retraite et trésorier de l’association. L’idée est également de s’assurer que ce parc ne soit pas capté par des grands groupes qui vont faire du fric avec ça. Autant que ça bénéficie aux gens du pays”.

En effet, l’électricité produite est revendue à EDF à un tarif de rachat garanti pendant quinze ans, ce qui assure aux investisseurs une rentabilité de l’ordre de 4%. Un bon filon pour les industriels. Dans un premier temps, les membres d’EPV ont tenté de s’associer avec des entreprises maitrisant la marche à suivre. "Mais il n’y avait aucun moyen de s’entendre, se rappelle Charlène. Elles voulaient garder la maitrise du projet”. Inconcevable pour les membres de l’association qui tiennent à ce “que la majorité du projet soit détenue en local par des acteurs du territoire”.

Alors, en 2003, ils se lancent, seuls, sans aucune expertise. Il leur faudra cinq ans pour trouver le terrain adéquat et remplir le cahier des charges imposants requis pour le permis de construire. Pour financer cette phase d’études, les porteurs du projet font appel à l’épargne locale une première fois. Quatre-vingt personnes répondent à l’appel et se joignent aux collectivités locales pour rassembler les 90 000€ nécessaires.

Après de multiples embûches administratives, le permis de construire est finalement délivré en juillet 2009. Il reste alors à réunir les douze millions d’euros nécessaires à l’achat et la mise en route des éoliennes.

Mobilisation locale

Fidèles à leur logique d’implication citoyenne, ils se tournent d’abord vers les riverains. Lors de réunions publiques, ils expliquent le projet et incitent les volontaires à créer des clubs d’investisseurs citoyens (appelés Cigales) pour récolter de l’argent.

Une idée qui a tout de suite séduit Sibylle, habitante de Bégannes : "J’en ai parlé à des amis qui ont adhéré au projet et on a crée un club dont je suis trésorière". Cinquante-trois clubs de ce type ont vu le jour, chacun des mille investisseurs citoyens misant en moyenne 1 700€. Un emprunt bancaire, des structures locales de l’Economie sociale et solidaire, la région Bretagne et Energie partagée (fonds d’investissement citoyen dans les énergies renouvelables) sont venus boucler le financement du projet.

Mais qu’est-ce qui a bien pu pousser ces citoyens ordinaires à placer leur argent dans cette aventure ? "Le fait qu’il y ait un retour sur investissement crédibilise le projet, mais ce n’est pas le but initial", assure Sébastien. Pour cet agriculteur bio qui a investi 2 000 €, la motivation principale était de participer à la transition énergétique.

Et s’il est déjà sensibilisé aux questions environnementales, ce n’est pas le cas de tous les épargnants solidaires. "Il y a des gens qui ne sont pas spécialement convaincus et qui le font parce que c’est une initiative locale qui les concerne directement”, argue-t-il.

C’est notamment le cas de Sibylle : “Un projet d’envergure dans un petit village, ça interpelle". Alors elle n’a pas laissé passer cette occasion de s’impliquer concrètement dans la vie locale. "Ca m’a permis de comprendre comment fonctionnaient les éoliennes, de réfléchir sur l’engagement citoyen et de rencontrer des gens du village", se réjouit cette Bégannaise. Elle ne compte d’ailleurs par s’arrête là. Son club Cigales continue à mettre de l’argent de côté pour financer des projets pédagogiques liés à la consommation d’énergie.

Education populaire en actes

Car en plus de proposer une alternative concrète à l’énergie nucléaire, ce parc éolien est un outil d’éducation populaire. Outre leur implication financière dans le projet, les citoyens ont apporté leurs connaissances et leur temps libre pour le faire aboutir. “Un prof de maths est devenu une pointure niveau juridique et financier alors qu’il était largué en compta. D’autres ont aidé à la rédaction des contrats de maintenance et de gestion", note Jean-Paul.

“Des tas de de gens se sont formés aux questions techniques, juridiques et administratives. Certains ont découvert le monde de l’entreprise. Ca donne des élements de compréhension, du pouvoir et donc d’émancipation. Les gens sont prêts à se transformer quand on leur en donne l’occasion”, résume Jean-Christophe, chargé des questions de gouvernance au sein de Begawatts.

La formule a le vent en poupe. L’association est sur le point d’installer un nouveau parc en Loire-Atlantique et doit aussi répondre à une forte demande de collectifs citoyens et de collectivités désireuses de se lancer dans l’aventure. “Ca nous a pris dix ans, les prochains à le faire gagneront du temps et de l’énergie”, sourit Jean-Christophe.

Et Charlène espère qu’ils seront nombreux. "Beaucoup de gens ont conscience de la nécessaire transition énergétique mais on ne leur donne pas les clés, déplore-t-elle. C’est un projet classique en Allemagne ou au Danemark, mais en France, on est confrontés à un blocage culturel dû à EDF. On a l’impression de ne pas avoir de prise sur l’énergie, que c’est un sujet complexe, qui ne nous regarde pas. Avec ce projet, on leur montre que c’est possible et on leur propose de s’impliquer directement". Et ça marche !

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