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Rencontres de l’écologie

L’écologie ? Oui, mais par le collectif ! La rencontre de Reporterre

Jeudi 10 octobre a eu lieu à Paris la première Rencontre de Reporterre. Elle réunissait Charles Piaget et Pierre Rabhi, mais aussi Thomas le boulanger et Florent le paysan, pour une discussion sur le rapprochement entre l’écologie et « le social ». Mais l’on est parti sur une piste inattendue, où s’est imposée l’idée de la nécessité de reformer des collectifs, de travailler et de lutter ensemble, pour faire ce nouveau monde où la nature et les humains trouveront leur vraie place. Voici notre récit, et les vidéo de la soirée.


L’un arrive de Besançon, ancienne cité industrielle. L’autre vient des montagnes cévenoles. L’un a passé sa vie à animer la lutte ouvrière, l’autre à militer pour l’agro-écologie. L’un est une figure du syndicalisme, l’autre de l’écologie. Tous deux sont pourtant de la même génération : ils ont 85 et 75 ans. Ce jeudi 10 octobre, la première rencontre de Reporterre a donné l’occasion à Charles Piaget et à Pierre Rabhi de se rencontrer de nouveau.

« Lier l’écologique et le social : j’ai trouvé l’idée de cette rencontre extraordinaire », s’enthousiasme Catherine, un petite dame de 71 ans. Elle a amené un cahier pour prendre des notes. « Ce sont deux luttes fondamentales. Mais on les a toujours séparées. Je fais partie de l’association Attac : on s’intéresse aux deux sujets. Mais on a des réunions pour l’un, et des réunions pour l’autre. »

Pour Françoise et Régis, la cinquantaine, « a priori, ce sont deux mondes qui n’avancent pas vraiment main dans la main. Les syndicats ont des soucis immédiats, il s’agit de garder son boulot. » Mais Charles Piaget et Pierre Rabhi « ont tous les deux évolué en dehors des appareils, et ils ont réfléchi sur l’autogestion. »

En tout, près de 350 personnes sont venues assister au débat et la salle est pleine. Sur l’estrade, aux côtés des deux hommes représentant la sagesse et l’expérience, deux plus jeunes ont accepté de donner le point de vue de leur génération. Thomas Arnestoy, la quarantaine, est boulanger à Montreuil. Le commerce est autogéré par les 8 employés. Florent Sebban, lui, a la trentaine. Avec sa femme Sylvie, ils se sont installés en maraîchage et herbes aromatiques bios à Pussay, un village du Sud de l’Essonne.

Intervention filmée de Charles Piaget

Hervé Kempf, co-fondateur de Reporterre, ouvre cette première rencontre : « C’est un débat pour se donner de l’énergie intellectuelle. Car c’est elle qui nous donne ensuite l’énergie de changer le monde. » Puis il donne la parole Charles Piaget. Apprêté dans sa veste couleur bleu de travail, le vieil homme a aussi soigneusement préparé un texte de quelques pages. D’une voix de conteur, il entame son histoire : « On a lutté contre le capitalisme, pour mettre en place une société solidaire ».

Il parle des mille ouvriers du fabricant de montres Lip. En 1973, l’entreprise annonce un plan de licenciement. Mais les salariés ne se laissent pas faire. Ils s’emparent du stock de montres. Tout en s’opposant à la fermeture de l’usine, « les Lip » continuent de vendre ces montres et même d’en fabriquer. Quand la police vient occuper l’usine, ils installent des ateliers clandestins. Une stratégie qui leur permet de tenir la grève durant de longs mois. L’entreprise trouve finalement repreneur, tous les salariés sont réembauchés. « On nous demandait toujours : mais comment faites-vous pour vous entendre si bien ? Quel est votre ’truc’  ? Mais il n’y a pas de ’truc’, sourit Charles Piaget. On avait surtout quinze ans d’expérience commune qui nous ont permis de créer un collectif. »

Le thème de la soirée est lancé : le collectif. Comment le créer, l’entretenir, ne jamais le perdre de vue dans la lutte ? Collectifs de salariés, d’ouvriers, de militants écolos, de citoyens : tous peuvent s’inspirer les uns des autres.

Charles Piaget donne quelques pistes. « Par exemple, en 1968, c’est la grève générale. Les salariés sont réunis en assemblée générale. Mais les représentants de la direction sont dans la salle, personne n’ose parler. Alors on a interrompu l’assemblée. On a dit aux gens de sortir et de discuter. Tout le monde s’est rassemblé en petits groupes et ça a marché : les salariés ont débattu et ensuite on a voté. » Autre élément clé : « L’ouverture de notre conflit sur l’extérieur. Avant, quand il y avait une grève, on barricadait l’usine et personne ne rentrait. On a été les premiers à ouvrir les portes. »

Intervention filmée de Pierre Rabhi -

Pierre Rabhi, lui, n’a pas supporté le monde de l’entreprise. Quand il arrive à Paris en 1959, il devient « ouvrier spécialisé » dans une usine de Puteaux : « Tout fonctionnait en pyramide, selon une hiérarchie. J’ai compris que cette organisation n’instaure pas la justice et l’équité mais la disparité. Pour moi c’était véritablement de l’esclavage. Les gens troquent leur vie contre un salaire. » Pierre Rahbi décide alors de quitter un monde qui ne permet pas le collectif, la solidarité, l’humanisme : « La seule issue, c’était le retour à la terre. »

Mais à l’époque, déjà, l’agriculture demande d’investir dans du matériel très lourd, très cher. « Il fallait détruire pour produire, déplore Pierre Rahbi. C’est par là que je suis rentré dans l’écologie, quand j’ai compris que l’humain détruit son milieu naturel. »

Témoignages de Florent Sebban et Thomas Arnestoy -

« Nous aussi, avec Sylvie, on a vécu l’expérience du retour à la terre », poursuit Florent Sebban, le maraîcher bio. « On a tous les deux senti au bout de quelques années que notre vie rythmée par les transports était intéressante mais pleine d’incohérences. » Mais pas facile de trouver des terres en Ile-de-France, et d’autant moins quand on n’est pas fils de paysans. L’opportunité s’est présentée quand la mairie de Pussay (Essonne) leur a proposé de s’installer en maraîchage bio sur quelques hectares.

Le système de l’AMAP (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne) s’impose dès le départ. Florent explique ce choix : « Avec ce système, on gomme ce lien artificiel entre producteur et consommateur, plein d’intermédiaires. Pour nous les membres de notre AMAP sont des co-producteurs. On est un groupe de cent familles, dont on fait partie, qui a décidé d’installer des agriculteurs en production bio pour se nourrir localement. Donc, quand on a un problème, c’est celui de tout le groupe. »

Autre projet, autre forme de collectif : celui de la boulangerie anarchiste « La conquête du pain », à Montreuil. Thomas Arnestoy, un des fondateurs, détaille les principes qui permettent à ce commerce sans patron de fonctionner. « Dabord, on voulait faire de la qualité. Donc du bio : on voulait montrer qu’il peut être accessible à tous. (...) Ensuite, on essaye de prendre les décisions de manière collective, pour que tout le monde soit impliqué. (…) Et puis on veut être un acteur social local, insiste Thomas. On organise des repas de quartier, on livre du pain aux restos du coeur ou aux grévistes, on pratique des tarifs sociaux... »

Le débat dans la salle -

La parole passe au public. Baptiste demande s’il serait possible de créer collectif susceptible de proposer une alernative aux partis politiques traditionnels. « Mais pourquoi s’inspirer des partis politiques alors que l’on sait que ça ne marche pas ? », répond Thomas. Florent reprend : « Dans mon village il y a 25% de vote Front national. Mais avec de petites initiatives locales, on glane des gens qui sont touchés par la proximité des projets. »

« Conseillez-vous un exode citoyen ? », demande quelqu’un à Pierre Rabhi. La réponse est oui, il faut réinvestir les campagnes : « On arrive à saturation dans les villes. On risque de rencontrer des problèmes d’approvisionnement, affirme-t-il. Les villes vont devenir des lieux de violence : regardez, on en a déjà un avant-goût en Grèce et en Espagne. C’est la preuve que la civilisation occidentale est en échec ! »

Mais alors, doit-on changer les choses de l’intérieur, comme Charles Piaget, ou créer un collectif alternatif, comme l’ont fait les trois autres intervenants ? « Cela dépend, répond Charles Piaget. Aujourd’hui, la citoyenneté se réduit. Pour la faire progresser, il faut créer des collectifs mobilisés sur des problèmes concrets. » Pierre Rabhi propose un modèle : « On peut s’inspirer des oasis, comme le Hameau des Buis, c’est un prototype de ce dont nous aurons besoin demain. » Thomas a le mot de la fin : « Pour nous émanciper, l’important c’est le lien entre tous les gens qui luttent. »

A la sortie, ça discute. Le carnet de Catherine est désormais plein de notes. Elle retient que « le local, y’a plus que ça. » Jean-Marie, menuisier, est inspiré par l’autogestion : « Ca fait longtemps que je pense à la SCOP (Société coopérative à responsabilité limitée). Pour l’instant je suis patron mais ce n’est pas très intéressant comme position. » Clémentine, Romain et Flora, la vingtaine, repartent motivés : « On est une génération qui se dit ’c’est beau les idées, mais on fait quoi ? Ce débat donne l’énergie d’y croire. »

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