La Collecterie redonne vie aux objets et crée des emplois

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A Montreuil (Seine-Saint-Denis), une ressourcerie a ouvert ses portes au début de l’été. Cet écosystème socio-professionnel lutte contre le gaspillage en recyclant les déchets.
- Reportage, Montreuil (93)
« Ici, on prend soin des objets brisés, délaissés, déclassés. Et on fait ça avec des gens brisés, délaissés, déclassés. C’est par la médiation des objets qu’on redonne un élan humain à notre territoire ». Léon Wisznia a le sens de la formule. Président de la Collecterie, inaugurée fin octobre par Dominique Voynet, maire de Montreuil, il a aussi l’énergie du militant et les cheveux grisonnant de son expérience dans l’engagement associatif. Ancien soixante-huitard, ce professeur d’économie rêvait depuis plusieurs années de ce projet pour la ville où il vit depuis plus de quinze ans.
Il aura fallu presque deux ans pour y parvenir, le temps de trouver le lieu adéquat et les soutiens financiers d’institutions comme la commune, le Conseil général ou le Syctom, syndicat de traitement des déchets ménagers en Île-de-France.
A l’origine, une rencontre entre deux artisans, Séverine et Giuseppe. Celui-ci, surnommé le ’’danseur-ébéniste’’, raconte : « Nous en avions marre de travailler de manière isolée, chacun de notre côté. J’étais menuisier, elle était tapissière, on se croisait souvent sur les brocantes, et nous nous sommes dit qu’en mutualisant ces compétences et notre débrouillardise, on pouvait monter une structure autour de la récupération ». Des enseignants, des éducateurs et quelques motivés se joignent au projet et, en mars 2012, l’idée prend tournure : le collectif de la Collecterie est né.
Le local de 50 m2 fait l’affaire pour dépanner au début, mais les encombrants s’entassent et l’équipe s’attèle à trouver un espace plus grand pour stocker ces premiers objets collectés. Finalement, le choix se porte sur un entrepôt de 410 m2 auquel on accède par la rue Saint-Antoine, petite rue prospère et tranquille du Haut-Montreuil. Le 6 juin dernier, la Collecterie ouvre ses portes au public. Sur son tract de présentation, il est inscrit « La collecterie collecte, trie et transforme ». Ca y est, l’est parisien a sa ressourcerie.
Paris intra-muros en possède déjà huit. Les ressourceries, structures nouvelles de l’économie sociale, se sont rapidement développées ces dernières années. On en comptait moins de dix en France au début des années 2000, elles seraient aujourd’hui plus de cinquante, selon le Livre Blanc des Ressourceries sorti en 2010.

Mais qu’est-ce qu’une ressourcerie, exactement ? Un endroit qui « collecte les objets dont vous souhaitez vous débarrasser pour les réparer et les revendre sans but lucratif », explique le réseau des ressourceries. Derrière cet outil, il y a l’idée de réduction, de réemploi et de recyclage des déchets. Les ressourceries appliquent le principe de l’économie circulaire, en réinsérant les biens dans un cycle de production et de consommation courantes.
A la collecterie, lorsqu’on pénètre dans le hangar, c’est une caverne d’Ali Baba qui se dévoile. Mais ici, rien n’est volé, tout est récupéré : « On soustrait juste à l’enfouissement ces objets destinés à finir à la déchetterie » explique Léon. On trouve de tout : des meubles, du textile, des appareils électro-ménagers, des livres, des outils informatiques, etc.
Tout le flux entrant n’a pas encore pu être trié. Mais il est pesé. A la fin de l’année, environ vingt-cinq tonnes de déchets qui auront ainsi été récoltés, en à peine sept mois d’activité. Celle-ci n’est pas vraiment rentable, à l’heure actuelle, la ventes des objets ne rapportant pas plus de 3 à 4 000 euros par mois. Mais la rentabilité n’est pas l’objectif premier.
Comment le prix des objets est-il fixé ? « C’est l’éternelle question » souffle Giuseppe. Un haut tabouret de bar confectionné en bois trône à l’entrée. Un écriteau à côté détaille les matériaux utilisés pour sa confection ainsi que le volume horaire de travail que cela a nécessité – vingt heures environ. A la fin du paragraphe, une question : « Combien coûte selon vous cet objet ? ». Chacun est invité à inscrire sur un bout de papier son estimation. Ce sera donc peut-être la moyenne des avis qui fixera le prix de vente.
Apprendre à réparer les chaises
De chaises, la collecterie n’en manque pas. Tout un pan de murs en révèle des dizaines suspendues, de couleur, de taille et de forme différentes. « La chaise est un peu notre mascotte, explique le président. C’est à la fois ce qui s’use le plus vite et ce face à quoi on est le plus démuni en terme de réparation. Peu de gens savent remettrent un pied de chaise ».

Un des projets pour l’avenir consiste à monter des ateliers collectifs pour apprendre aux gens à réparer des chaises. C’est là une autre valeur fondamentale des ressourceries : la pédagogie au changement. Pour le réseau des ressourceries, la sensibilisation constitue une fonction à forte valeur ajoutée : « La Ressourcerie sensibilise son public aux gestes éco-citoyens de réduction des déchets (choix de consommation, entretien des objets, produits de seconde vie, tri, etc.) ».
Car derrière les objets, il y a des hommes. A l’image de la Petite Rockette à Paris, la Collecterie s’attache à créer du lien social sur son territoire. Le collectif attend un agrément pour janvier 2014 afin de pouvoir proposer des contrats d’insertion. « Six en menuiserie, six en tapisserie » se réjouit Léon.
Florence, accompagnatrice en chantier d’insertion, justifie la démarche : « Pour des gens éloignés de l’emploi, marginalisés et souvent précaires, la ressourcerie est un très beau support de réinsertion. Outre les métiers manuels que cela offre, il y a plein de domaines d’apprentissage : du tri, de la vente, de la mise en rayon, de l’aménagement de l’espace, du design, etc. Ce qui est intéressant, c’est la polyvalence, les gens ne sont pas cantonnés à une seule filière ».

A voir Roland, bénévole à temps presque complet, tatcher le quidam pour lui vendre la dernière merveille retapée, on se dit que le projet est porteur. Il espère une place prochainement en contrat d’insertion, et en attendant, il se rend presque quotidiennement à la collecterie. « Il n’est pourtant censé être là que deux jours par semaine » sourit Florence. Luc, le service civique engagé au début de l’aventure, confirme cette bonne ambiance. Pour lui qui a passé un bac pro d’ébéniste, la Collecterie est l’expérimentation de la mixité sociale : « C’est un mélange avec plein de gens au quotidien, c’est génial. Et mine de rien, ça permet de développer l’imagination ce genre d’endroits ! ».

- Inauguration par Dominique Voynet -
Lieu d’échanges matériels tout autant qu’immatériels, la Collecterie prouve qu’un projet écolo-responsable peut aussi être un incubateur social. Avant le traditionnel « coupé de ruban » - fait d’un assemblage de cravate pour l’occasion - le président parle dans son discours d’inauguration de cette « activité millénaire qui consiste à faire du neuf avec du vieux. Malgré tous nos mérites, comparables à ceux de beaucoup d’autres, nous n’avons pas inventé le fil à couper le beurre... ».
Le but : redonner un sens aux objets en fin de vie, et une nouvelle vie à des hommes en quête de sens.