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La bataille de l’énergie se poursuit au Chili

Les pêcheurs chiliens viennent de remporter une victoire juridique contre un projet de centrale thermique polluante. Les conflits autour de l’énergie se poursuivent vigoureusement au Chili, après les grandes manifestations de 2011 contre les barrages.


Une victoire in extremis. Les pêcheurs de Lo Rojas, au sud du Chili, ont finalement été entendus. Vendredi 10 janvier, la Cour suprême du pays a ordonné la suspension de la production de la centrale thermoélectrique de Bocamina. Motif : des pompes mal conçues aspireraient massivement des organismes marins, menaçant la biodiversité et l’économie locales.

- Bocamina, au centre du pays (point bleu) -

Cette décision met fin à une bataille judiciaire de plusieurs mois entre les pêcheurs et le géant espagnol de l’électricité, Endesa. Une parmi tant d’autres. Car la question énergétique donne lieu à de vives batailles au Chili. Ces dernières années, les conflits se sont multipliés, de la Patagonie à l’Atacama, entre gouvernement, entreprises multinationales, populations locales et associations écologistes. D’un côté, des centrales électriques chargées d’enrayer l’appétit insatiable d’un pays en pleine croissance économique, de l’autre des populations qui tentent de préserver leur cadre de vie.

Un pays en quête d’énergie

Le développement économique du Chili repose essentiellement sur l’exportation de minerais, en premier lieu du cuivre. Seulement, l’extraction, le transport et le raffinage demandent beaucoup d’énergie. Près d’un tiers de l’électricité consommée dans le pays est ainsi destiné aux régions désertiques, mais riches en cuivre, du Nord. Symbole de ce lien étroit, le ministre des mines du gouvernement de Sebastian Piñera était également ministre de l’énergie.

D’après le gouvernement, le système électrique chilien devrait donc augmenter de 50 % sa capacité de production actuelle au cours des vingt prochaines années. L’heure n’est donc pas à l’économie d’énergie. Mais l’économie chilienne est trop gourmand en énergie, voire vorace, et du coup dépend de ses voisins. Le pays importe en effet massivement pétrole, gaz et charbon. Seuls 4% du pétrole utilisé dans les centrales thermoélectriques proviennent du Chili. Pourtant le pays regorge de ressources renouvelables : un désert ensoleillé pendant plus de 330 jours par an, des courants marins, un sol volcanique propice à la géothermie... et de l’eau, beaucoup d’eau, dans le sud.

- Une dépendance excessive aux combustibles fossiles -

Le gouvernement mise sur les centrales hydroélectriques pour satisfaire la demande énergétique. Problème : ces centrales sont pour la plupart situées dans le sud, à plusieurs milliers de kilomètres de ligne à haute tension des mines du Nord. L’électricité est donc chère au Chili. D’autant plus qu’elle est principalement gérée et détenue par trois entreprises multinationales, dont Endesa.

Cette quête effrénée d’énergie se heurte pourtant à de nombreux obstacles.

Charbon ou hydraulique, bonnet blanc et blanc bonnet ?

Barrancones, Castilla et maintenant Bocamina. Autant de centrales thermoélectriques stoppées par l’opposition tenace des populations locales. Pourtant, le charbon fournit plus de 80 % de l’électricité pour le Nord. Une ressource essentielle donc, d’autant plus qu’elle peut être « made in Chile ». Le pays dispose en effet de plusieurs mines de charbon, elles aussi très contestées pour leur impact environnemental élevé.

- Manifestation à Riesco, en Patagonie -

Les pêcheurs de Lo Rojas sont parvenus à prouver que la raréfaction des algues, crabes et autres crustacés était en lien direct avec la centrale de Bocamina. Ibis rouges et autruches de Patagonie seraient eux aussi menacés par le projet de mine sur l’île de Riesco. Partout au Chili, des associations et des collectifs se montent pour défendre leur territoire. Personne ne veut supporter le coût environnement de la ruée vers l’énergie.

Mais Bocamina n’est qu’un des pions de l’échiquier énergétique chilien. La reine se situe encore plus au sud, en pleine Patagonie. Son nom : Hydroaysen. Le projet : cinq centrales hydroélectriques géantes et la plus longue ligne à haute tension du monde (plus de 2 000 km), pour approvisionner les mines du Nord. Plus de trois milliards de dollars d’investissement pour produire, in fine, 35 % de l’énergie consommée au Chili.

Un projet pharaonique, qui suscite une levée de boucliers depuis plusieurs années, et des manifestations géantes en 2011. Plus de 70 % des Chiliens seraient opposés à ces méga barrages. Et l’actuelle Présidente, Michelle Bachelet, s’est déclarée hostile au projet... du moins pendant la récente campagne électorale. Dernier signe en date : début janvier, l’entreprise Endesa (toujours elle), actionnaire à 51% de Hydroaysen, a présenté un plan stratégique à ces investisseurs. Et surprise, le projet patagon ne figure plus dans les priorités de la multinationale.

Mais l’histoire mouvementée de l’énergie chilienne n’est pas finie. Car tant que le modèle de développement, fondé sur l’exportation des ressources naturelles et un système socio-économique néolibéral, n’est pas remis en cause, le pays semble condamné à rechercher toujours plus d’énergie. L’essor de mouvements de protestation écologistes peut être vue comme les prémices d’un changement de paradigme. Le mécontentement gronde, jusqu’au sein de la société d’archéologie. Les scientifiques sont montés au créneau cette semaine, dénonçant les risques de destruction de vestiges précolombiens par les voitures et les motos du Paris-Dakar latino-américain.

- Le rallye Dakar pourrait endommager des sites archéologiques -

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