Tribune —
La transition écologique d’Ungersheim ne mérite pas un faux procès

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Marie-Monique Robin et Jean-Claude Mensch discutent, dans cette tribune, la façon dont Reporterre a traité le programme écologique mené à Ungersheim, qui est au cœur du film Qu’est-ce qu’on attend ?
Jean-Claude Mensch est maire d’Ungersheim (Haut-Rhin) et Marie-Monique Robin est réalisatrice du film Qu’est-ce qu’on attend ?
À deux reprises dans ses pages (15 décembre 2015 et 10 décembre 2016), les réserves sont venues — dès le titre — oblitérer les succès de la transition écologique développée dans la commune. Là où Rob Hopkins (créateur du concept de transition) s’enthousiasme, le journaliste fait la fine bouche. De notre point de vue, il instruit un faux procès, nous applique un traitement inique, et mal intentionné.
D’abord, une accusation au motif imaginaire : Ungersheim poursuit un beau programme écologique, mais vote à 52 % pour le Front national. Comme qui dirait : près des bureaux de Reporterre, on couche sous les ponts. Mettez-vous à notre place : on ne voit pas bien le rapport avec la choucroute ! Comment répondre à un procès dont l’accusation s’arrête à rapprocher deux événements sans lien, sans formuler plus d’arguments ?
Pour justifier ce traitement, Hervé Kempf [le rédacteur en chef de Reporterre] nous explique dans un courriel que dans les reportages et enquêtes sur les alternatives, « nous ne prétendons pas que tout est toujours parfait ». Dont acte. Nous avons donc parcouru l’ensemble des deux rubriques où Ungersheim a été chroniqué dans Reporterre (« Alternative » et « À découvrir »), en relevant systématiquement les titres des articles. Or, dans aucun de ces titres, nous n’avons trouvé trace d’une objection concernant l’une ou l’autre des multiples actions écologiques rapportées. On n’en attendait d’ailleurs pas moins d’un quotidien attaché à favoriser les initiatives citoyennes en faveur de l’écologie. Et quand une des journalistes de Reporterre a expliqué, le 17 octobre 2016, comment les habitants de Saint-Hilaire-de-Brethmas (Gard) s’opposaient à l’installation d’un golf, à aucun moment elle n’a éprouvé le besoin d’écrire qu’aux élections précédentes ils avaient voté Front national à près de 46 % — d’ailleurs, pourquoi le ferait-elle ? En quelques mots, on éreinte des années d’engagement, alors qu’Ungersheim élit et réélit depuis cinq mandats un maire qui n’a jamais montré la moindre complaisance envers le Front national. Après la publication de l’article de Reporterre, des militants écolos d’Aquitaine nous ont gravement demandé si la municipalité d’Ungersheim était d’extrême droite… Et cette question est survenue plus d’une fois au détour du débat qui suivait la projection de Qu’est-ce qu’on attend ?
Mais jugeons l’arbre à ses fruits, et le journaliste à ses intentions : qu’apporte donc ce rapprochement, entre le score du Front national et le succès des initiatives en faveur de la transition ? Car c’est ainsi qu’Hervé Kempf le justifie : « Pour que les alternatives se multiplient vraiment et créent une contagion, il faut aussi comprendre les problèmes qu’elles rencontrent. » Encore faudrait-il expliquer le problème en question, à savoir : le niveau du vote Front national aux dernières régionales (non pas seulement à Ungersheim, mais dans toute l’Alsace et notamment dans les communes semi-rurales du Haut-Rhin). Ceux qui suivent ce type d’actualité se souviendront sans doute que la liste PS s’était maintenue au second tour contre l’avis même de sa direction nationale, laissant ainsi les premiers rôles à la droite parlementaire et au Front national de Florian Philippot. Ils se souviendront également que ces élections faisaient suite à la création de nouvelles régions administratives, mais ils ne savent peut-être pas la forte réaction soulevée en Alsace par la décision parisienne de fusion avec la Lorraine, la Champagne et les Ardennes. Au point de soulever une forte vague régionaliste (en faveur des autonomistes de Unser Land, mais aussi bien au-delà) déferlant au second tour en vote de dépit et de protestation, qui s’est traduit par la multiplication par deux du niveau habituel du FN (22 % aux précédentes régionales, 26 % au premier tour des présidentielles, etc.)
Pour le coup, cette analyse du succès circonstanciel du FN à Ungersheim, largement admise, n’avait vraiment rien à faire dans l’article que Reporterre consacrait à la transition écologique qui s’y développe. Mais l’auteur de l’article avait une autre ambition, celle d’énoncer sans doute une grande vérité cachée : « Ne perdons pas de vue les urgences dont témoignent ces monstres qui surgissent », conclut-il. Nous voici encore une fois réduits à rivaliser de mauvais esprit : pendant que vous lisez Reporterre, la biodiversité se meurt. Car pour finir, quel est le grand enseignement que vous tirez de votre visite, dans ce village dont il sera dit qu’il a voté Front national ? « La transition ne règle pas tout. » Qui prétendait le contraire ?