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Tribune

Le Nouvel Observateur, à la botte

L’interview complaisante de M. Sarkozy dans « Le Nouvel Observateur », autrefois un journal plutôt intéressant, est un symptôme supplémentaire de l’état dégénéré de la presse.


Les derniers vaisseaux de la presse sont donc en train de sombrer.

Les derniers. Ceux qui au prix de pas mal de compromis dans leurs cales, flottaient encore entre deux eaux.

Ma perception, jeune journaliste au Matin de Paris dans les années 80, était que nous vivions alors une heureuse parenthèse. Un miracle, une étrange oasis que nous traversions en riant. Une certaine facilité économique, la liberté et l’ivresse de la contre-culture se propageant au reste de la société. Les journaux étaient « libres ». Même au Figaro de Giesbert, on vous recrutait sans demander de quel bord vous étiez.

Jamais les journalistes ne se sont sentis aussi proches de leurs lecteurs que durant les années 80 et 90.

Les journaux étaient alimentés par la base. Un reportage, une enquête, l’envie ou la proposition d’un journaliste, forgée au feu du réel, était le bien le plus précieux d’une rédaction.

Lorsqu’après le Quotidien de Paris, le Figaro, France Soir, je vois les derniers journaux (Le Monde, La Canard, L’Obs, Charlie...) sombrer, se livrer à des groupes d’influence, inverser leur culture (des produits, formatés, mis en scène par des rédactions en chef stériles et cloîtrées dans leurs bureaux) il semble en effet se confirmer qu’est revenu les temps des chefs et des journaux médiocres.

Ce n’est pas la première fois. Parfumeurs, groupes du textiles, compagnies d’armement ont déjà écrasé la presse dans ce pays. Et contrairement à ce qu’ils prétendent, il a toujours été du souci des politiques et des acteurs sociaux dans ce pays d’organiser structurellement, notamment par les systèmes de diffusion, la paupérisation et le musellement de la presse. Voir la presse fragilisée et possédée par des amis puissants constitue la précieuse garantie de la voir rester dans le rang.

Il ne manque ni de rédacteurs en chefs ni de directeurs aux pantalons lustrés par leurs chaises pour appliquer ce programme. Donnez-leur la rosette. Ils rougiront de plaisir et de dévotion.

L’Obs constituait une manière d’exception. Certes, un compromis entre liberté et obédience. Je ne lis plus depuis longtemps. Mais même cela était encore trop. Plus les moyens de résister, même de façon cacochyme.

Les cons. Un journal n’est ni un produit ni une chose industrielle. Il est surtout, je veux parler des journaux d’information, cette choses fragile et aussi brumeuse qu’une sensation, que produit la rencontre d’un lecteur et d’un auteur : le terrain du désir et du partage.

Si les journaux disparaissent, c’est que cette précieuse envie de la rencontre s’en est allée s’épanouir ailleurs. Elle resurgira dans des lieux de nos sociétés. Les blogs ? Des encyclopédies en ligne ? Qui sait où. Et aux prix de quelles dévastations.


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