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Grands projets inutiles

Le Parlement italien s’alarme de la dérive du coût du projet Lyon Turin

François Hollande et Matteo Renzi signent un nouvel accord pour la réalisation de la ligne Lyon Turin. Aveugles à la dérive des coûts, que vient encore de constater le parlement italien.

Lors du sommet franco-italien de ce mardi 24 février, le président François Hollande et le premier ministre Matteo Renzi vont signer un accord « définitif » pour la réalisation du tunnel transfrontalier du Lyon Turin. En réalité, le document devra être approuvé par les parlements des deux pays et intégrer une certification externe des coûts de l’ouvrage.

Paris et Rome devront présenter un document officiel à la Commission européenne jeudi 26 février, afin d’obtenir un financement de la part de l’Union. Ces fonds ne pourront pas dépasser 40 % du coût total et ne concerneront que les travaux liés au tunnel sous les Alpes.

Mais la polémique est montée dans les dernières semaines en Italie, après la publication des résultats d’une nouvelle analyse du projet menée par la Chambre des députés et révélée par le journal Il Fatto Quotidiano. Il apparaît que le financement prévisionnel pour la ligne a subi une augmentation de 2,36 milliards d’euros.

De ce fait, le coût total de l’ouvrage pour l’Etat italien pourrait atteindre 7,8 milliards !

La raison de cette montée vertigineuse est liée, selon les fonctionnaires de la Chambre, aux règles mêmes que les deux gouvernements ont établies : l’estimation du coût du tunnel entre le Val de Suse et la Maurienne effectuée en 2012 indiquait en effet 9,9 milliard d’euros, dont 58 % à charge de l’Etat italien (5,676 milliards) et 42 % de la France (4,158 milliards). Mais cela ne tenait pas compte de la durée des travaux nécessaire pour la réalisation du tunnel. Or, Michele Elia, directeur général des Ferrovie dello Stato (FS, la SNCF italienne), a confirmé en novembre 2014, dans une audition au Sénat de Rome, que les accords prévoient un mécanisme de réévaluation des financements lié à la durée des travaux. Ainsi, le nouveau calcul, qui inclut cette augmentation, porte le total, coté italien, à 7,8 milliards.

- Michele Mario Elia -

Suivant le même raisonnement, cela pourrait faire remonter la facture du côté français à 5,7 milliards d’euros. Rappelons que, de son côté, la Cour des comptes française avait constaté en 2012 que « l’estimation du coût global du projet, y compris les accès, est passée de 12 milliards d’euros en 2002 à 26,1 milliards en 2012 ».

Le chiffre définitif des travaux « n’est pas encore déterminable avec précision », a admis le président de FS, Marcello Messori, devant le parlement italien.

Pourtant, malgré ce témoignage, et malgré la sonnette d’alarme tirée par la Chambre italienne, le Cipe (Comité interministériel pour la programmation économique) a donné la semaine dernière son feu vert au projet. La plupart des élus du Parti Démocratique (le parti du premier ministre Renzi) sont favorables au projet.

Les réactions des opposants italiens ne se sont pas faites attendre. Arturo Scotto, député du groupe Sinistra Ecologia e Libertà (Gauche Ecologie et Liberté) a demandé l’institution d’urgence « d’une commission parlementaire d’enquête sur les lignes à grand vitesse, pour clarifier les coûts du le Lyon-Turin. La réalisation d’un tel projet pharaonique est incompatible avec la crise économique dramatique qui frappe notre pays », a-t-il expliqué à la presse italienne.

Ces argumentations ont été relancées aussi par les militants No TAV, samedi à Turin, lors d’une manifestation contre le projet. De surcroit, une coalition de maires du Val de Suse a demandé officiellement au gouvernement d’abandonner le projet, en signant une lettre où ils soulignaient encore une fois « l’indétermination des coûts et des financements européens ».

Mais les inquiétudes ne viennent pas seulement de l’incertitude économique. Le 6 février l’Office anti-fraude européen a décidé d’ouvrir une enquête après la saisine en décembre dernier de deux députées européennes écologistes, Michèle Rivasi et Karima Delli.

« C’est la reconnaissance du travail acharné fourni pour monter un dossier preuves à l’appui contre la société Lyon-Turin Ferroviaire. Le sérieux des preuves collectées a convaincu l’OLAF d’enquêter sur ce projet qui fait l’objet d’un co-financement européen. L’ouverture d’une enquête est la preuve même qu’il ne s’agit pas d’allégations, mais bien de faits avérés, effectués au détriment du budget de l’UE », ont expliqué Rivasi, Delli et Daniel Ibanz (auteur du livre Trafics en tous genres) dans un communiqué.

- Sonia Alfano -

De leur part, les gouvernements italien et français, déclarent vouloir « lutter avec détermination » contre la corruption et la mafia, avec « un cadre réglementaire très strict » pour les contrats et les appels d’offre. Le problème est qu’il n’existe pas en France de loi contre les infiltrations de la mafia, comme expliquait déjà en novembre 2013 à Reporterre la députée européenne Sonia Alfano, présidente de la Commission spéciale sur la Criminalité organisée, corruption et blanchiment de capitaux.

À partir de l’ouverture de l’enquête, l’Olaf a six mois pour donner une réponse. Si les enquêteurs constataient des cas de fraudes, le dossier pourrait être transmis aux tribunaux des deux pays et à la Commission européenne, qui pourra décider de bloquer les financements.

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