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Tribune

Le tenace lobbying d’Arnaud Montebourg pour le gaz de schiste

Le ministre du Redressement productif est la figure la plus en pointe du lobby du gaz de schiste. Et poursuit une stratégie durable pour imposer l’exploitation en France de ce combustible fossile.


Après un long silence sur la question du gaz de schiste, Montebourg revient dans le débat public en déclarant le jeudi 23 janvier, sur la radio d’Europe 1, vouloir « convaincre » François Hollande « d’avancer sur la recherche de techniques propres à l’exploitation écologique du gaz de schiste ».

Le retour du ministre du redressement productif est loin d’être surprenant, il participe à une stratégie patiemment mise en place visant à se servir de la problématique environnementale pour rendre acceptable la recherche du gaz de schiste et à terme son exploitation.


EXTRAIT – Gaz de schiste : "il faut travailler... par Europe1fr

Acte 1 – Le gaz de schiste "écologique"

Lors de son audition, en juillet 2013, par la Commission des Affaires Economiques de l’Assemblée Nationale, Montebourg souhaite arriver « avec la technologie, dans très peu de temps, au gaz de schiste écologique, où il n’y a pas de pollution » feignant d’ignorer le bilan carbone de son exploitation et de son impact sur le réchauffement climatique.

Il réaffirme avec conviction que le gouvernement n’a jamais fermé la porte à la recherche et que celle-ci figure dans la loi du 13 juillet 2011, s’appuyant aussi sur les paroles prononcées par le Président de la République déclarant, en novembre 2012, au cours de sa conférence de presse, qu’il ne pouvait interdire la recherche et qu’elle est possible sur d’autres techniques que celle de la fracturation hydraulique.

Acte 2 – Le rapport de l’OPECST

Montebourg est aidé par l’OPECST (l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques ) qui adopte, en novembre 2013, le rapport Lenoir/Bataille sur les alternatives à la fracturation hydraulique. Ce rapport recense les différentes techniques ayant "des effets positifs sur l’environnement". L’OPECST demande dès lors de démarrer les recherches sur ces différentes techniques en soulignant la rapidité avec laquelle la recherche progresse et qu’ elle se développe partout dans le monde, sauf en France et en Bulgarie.

L’OPECST appelle la création d’un programme de recherches sur la fracturation hydraulique et sur les techniques alternatives pouvant inclure des forages expérimentaux

Acte 3 – La réforme du code minier

Cet impératif de recherche est envisagé dans le processus de la réforme du code minier, actuellement en cours, qui fera l’objet d’un futur projet de loi.

Thierry Tuot, Conseiller d’État, chargé d’écrire les dispositions législatives du futur texte de loi présente, le 10 décembre 2013, au Ministre de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie, ainsi qu’aux Ministres du redressement productif et des Outre-mer, son projet de nouveau code minier.

Une lecture attentive de son contenu nous permet de découvrir la création d’un permis d’exploration particulier (dans le livre II du projet portant sur les dispositions relatives à l’exploration et à l’exploitation) précisant que « les opérations de recherche ou de prospection, tous essais, mis en œuvre pour acquérir des connaissances, évaluer quantitativement ou qualitativement une substance ou l’accès à un usage soumis aux dispositions du présent code sont libres, quelle que soit la manière de procéder ou de mettre en œuvre ces opérations (…) » (article L.222-1, livre II du projet de code du groupe de travail Tuot sur la refonte du code minier).

Ce nouveau permis d’exploration visant la recherche dite purement « académique » permettrait de conduire des travaux en laissant une place, le cas échéant, à une expérimentation quelle que soit la manière de procéder.

Il servirait les desseins de Montebourg dans sa volonté de mettre en place « deux régimes juridiques justifiés, selon lui, par la nécessité d’investigations plus libres, d’une part, et par la légitimité des explorations de nature privée, d’autre part » en insistant que « ce point est important, ne serait ce que pour élaborer en toute indépendance les futurs schémas d’exploration ou d’exploitation », propos affirmés, lors de son audition, en février 2013, par la Commission du développement durable du Parlement

Acte 4 – mise à l’écart du Ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie

- Arnaud Montebourg et Philippe Martin -

Depuis plusieurs mois, une lutte sur la question du gaz de schiste oppose le Ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie à celui du redressement productif avec en arrière plan cette bataille pour être pilote de cette réforme du code minier et en avoir seul la charge de la défendre au Parlement.

L’objectif semblerait être atteint d’après les révélations de l’avocat Arnaud Gossement, spécialiste du droit de l’environnement, pour qui « l’écologie n’en finit pas d’agoniser » avec la mise à l’écart du Ministère de l’Écologie.

Ce qui fait dire à Montebourg que « dans le gouvernement, c’est moi qui fais le plus pour l’écologie. Philippe Martin, il a la bio diversité. L’énergie, c’est le président de la République qui l’a. »

Cette bataille se traduit également au niveau du Parlement avec le risque que la Commission du développement durable ne soit pas saisie de l’examen au fond du projet de loi portant réforme du code minier, laissant le soin à la Commission des affaires économiques de porter le texte législatif. Son président, François Brottes, ne l’avait-il pas laisser entendre, en juillet 2013, lors de l’audition de Montebourg, « que sa commission étant compétente sur les questions industrielles et énergétiques, il va de soi qu’elle doit se saisir au fond de ce qui touche au code minier (…) tel est le point de vue que je défendrai. »

Nous pouvons maintenant mieux comprendre le « faux » retour de Montebourg, conforté par la Commission européenne qui, dans ses recommandations, annoncées le 22 janvier 2014, laisse la voie libre à l’exploitation du gaz de schiste en Europe à condition de respecter des "principes communs" minimaux, notamment sanitaires et environnementaux.

Acte 5 – Activation de la Commission nationale d’orientation, de suivi et d’évaluation des techniques d’exploration et d’exploitation des hydrocarbures liquides et gazeux ?

Ces recherches académiques ne visent-elles pas les expérimentations prévues aux paragraphes 2 et 4 de la loi du 13 juillet de 2011 ?

Cette loi a prévu la mise en place d’une "Commission nationale d’orientation, de suivi et d’évaluation des techniques d’exploration et d’exploitation des hydrocarbures liquides et gazeux", chargée d ’évaluer les risques environnementaux liés aux techniques de la fracturation et aux autres alternatives. Elle offre la possibilité de mettre « en œuvre des expérimentations réalisées à seules fins de recherche scientifique sous contrôle public ».

Cette commission a été créée par décret du 22 mars 2012, elle compte 22 membres et se compose de cinq membres de droit représentants de l’Etat, un député et un sénateur, trois représentants des collectivités territoriales et douze membres nommés par arrêté interministériel pour une durée de trois ans dont trois représentants du personnel des industries gazières et pétrolières .

Pour l’instant, seuls le Sénat et l’Assemblée Nationale ont désigné leur représentant en la personne de Michel Teston, sénateur de l’ Ardèche et de celle de Fabrice Verdier, député du Gard, les cinq membres de droit représentant l’État n’ayant toujours pas été nommés par le gouvernement. Mais jusqu’à quand ?

Une activation de cette commission parachèverait cette stratégie cherchant à définir les conditions dans lesquelles les réserves potentielles de gaz de schiste pourraient être explorées voire exploitées et à ouvrir les conditions d’une expérimentation sous contrôle des pouvoirs publics tant réclamée par les industries pétrolières et gazières.

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